En Algérie, les islamistes ont-ils fait main basse sur les manifestations?

REVUE DE PRESSE Le Hirak, mouvement populaire lancé il y a deux ans en Algérie, fait face à une nouvelle menace, celle de l’infiltration des islamistes, qui pervertissent les manifestations en scandant notamment des slogans aux antipodes des revendications des manifestants

«Moukhabarate irhabia, tassqot el mafia el askaria!» (les services de sécurité sont des terroristes, à bas la mafia militaire): c’est depuis quelques semaines un des nouveaux slogans scandés lors des marches du Hirak en Algérie.

Du jamais-vu lors de la «première saison» du Hirak, relève le journal El Watan. Contraint de s’interrompre de longs mois à cause de la pandémie de Covid-19, ce mouvement de contestation du pouvoir, né il y a deux ans contre Abdelaziz Bouteflika, a regagné les pavés algériens en février. Avec des mots d’ordre «contraires à l’esprit de la silmiya [du pacifisme, ndlr]».

Chants combattants, allusions religieuses… Depuis plusieurs semaines, les observateurs s’inquiètent d’une infiltration des islamistes dans les manifestations. Pour El Watan, dans un autre article, «la teneur religieuse des cris de ralliement a pour but de détourner le Hirak de ses fondamentaux démocratiques pour l’impliquer progressivement dans un combat idéologique».

Une résurrection du FIS?

Pour «démasquer» ces nouveaux venus dans les manifestations, Algérie Patriotique propose des clés: «Pour [les] reconnaître, il suffit de braquer son regard vers les éléments qui scandent des slogans liés à la décennie noire et brandissent des images d’anciens responsables militaires aujourd’hui à la retraite pour comprendre qu’ils sont en mission commandée.»

Car ces ennemis des hirakistes de la première heure ont un nom: Rachad. Ce mouvement assure suivre les «principes démocratiques et de bonne gouvernance». Sur son site officiel, le mouvement affirme bannir «toute forme d’extrémisme, d’exclusion ou de discrimination» et prôner «la non-violence pour apporter le changement». Mais parmi ses fondateurs, il y a des figures bien connues: Mourad Dhina et Mohamed Larbi Zitout, des ex-membres du Front islamique du salut (FIS) qui rappellent aux Algériens les pires années de la «décennie noire», la guerre civile algérienne qui a eu lieu entre 1991 et 2002. Le FIS, aujourd’hui dissous, avait mené la lutte armée.

Ces militants bénéficient d’un savoir-faire et sont structurés, au contraire des hirakistes, qui refusent de faire émerger un leader. Lors des manifestations, ils n’hésitent plus à prendre la tête des cortèges, note El Watan. «Là où beaucoup de partis, surtout ceux de la mouvance démocratique, ont choisi de marcher tout en évitant de trop apparaître de peur de réactions négatives, les militants de Rachad, eux, sont offensifs et imposent des slogans, des itinéraires.»

Le fantôme de la décennie noire

Pour l’éditorialiste de Liberté, Mustapha Hammouche, la cohabitation entre ces militants islamistes et les hirakistes des débuts du mouvement n’est pas possible: «Le FIS ne peut en assumer ni la finalité démocratique ni le credo pacifiste. Son but est de s’y substituer. En dégarnissant le Hirak de ses forces positives.»

Il prédit un avenir sombre: «Il ne lui restera alors qu’à pousser quelque chair à canon vers l’irréparable, histoire de refaire le coup d’octobre 1988: c’est la jeunesse qui se soulève, qui se fait arrêter, torturer et, éventuellement, tirer dessus, et c’est le FIS qui négocie avec la présidence.»

Mardi, sous la présidence d’Abdelmajid Tebboune, le Haut Conseil de sécurité (HCS) s’est réuni pour réaffirmer l’intransigeance de l’Etat face aux mouvements antidémocratiques. Sans les citer ouvertement, le communiqué du HCS fait référence à deux mouvements «extrémistes», explique Le Soir d’Algérie, dont le Rachad.

«Le président de la République a donné des instructions pour une application immédiate et rigoureuse de la loi, destinée à mettre un terme à ces activités non innocentes et ces dépassements sans précédent, notamment à l’égard des institutions et symboles de l’Etat, et qui tentent d’entraver le processus démocratique et de développement en Algérie», peut-on lire dans le communiqué.

Le Temps.ch, 12 avr 2021

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