Bis repetita ou pourquoi Jean Castex n’est pas allé à Alger

132 ans de colonisation, 191 années de mépris ?

Par Yazid Ben Hounet(*)


Mercredi 7 avril : diffusion sur Canal Algérie (émission « Géopolitix ») de l’entretien de l’ambassadeur d’Algérie en France, Mohamed Antar Daoud. Celui-ci porte en partie sur la visite ministérielle à venir. On y apprend que les préparatifs vont bon train et que les autorités algériennes accueilleront le Premier ministre Jean Castex et quatre ministres (à partir de la quinzième minute de l’entretien).

Jeudi 8 avril 2021, en fin de journée : annonce du report sine die de la visite, initialement prévue le dimanche 11 avril – et ce, à la demande du gouvernement algérien.

Que s’est-il passé entre-temps ?

Faisons le tri dans les arguments avancés dans la presse.

1) Celui de la crise sanitaire n’est pas valable car, d’une part, la situation ne s’est pas détériorée entre le 7 et le 8 avril au point d’empêcher ce déplacement prévu de longue date et, d’autre part, si cela avait été le cas, la décision de l’annulation aurait été le fait de la partie française et non de l’Algérie.

2) L’explication relative au nombre restreint de ministres – abondamment reprise et mise en avant par la presse française – ne tient pas non plus. Si l’ambassadeur d’Algérie en France s’est permis de donner des informations sur la rencontre, dans un entretien destiné au grand public, c’est que la taille de la délégation était déjà actée, mais aussi que celle-ci convenait à la partie algérienne. Aucun sentiment d’humiliation de ce côté-là – comme on a pu le lire par exemple sur France info le 11 avril .

3) Ce n’est pas non plus la sortie du ministre algérien du Travail et de la Sécurité sociale – la France « ennemi traditionnel et éternel » de l’Algérie – qui aurait courroucé les autorités françaises. D’une part, sa publication intervenait – via le journal en ligne TSA – à peu près au même moment que l’annulation de la visite de Jean Castex ; d’autre part, rappelons-le, c’est à la demande de l’Algérie et non de la France que la visite a été annulée.

L’événement qui a provoqué l’annulation de la visite semble donc bien être l’annonce, le matin du jeudi 8 avril, par le parti présidentiel – La République en Marche (LREM) – de l’ouverture d’une de ses antennes à Dakhla dans les territoires du Sahara Occidental, occupés par le Maroc. Du moins, cette thèse s’articule aux principes plusieurs fois énoncés par les autorités algériennes. La cause sahraouie – tout comme la cause palestinienne – est présentée par ces dernières comme « sacrée » pour le peuple algérien. Une simple consultation du site très officiel d’Algérie presse service permet de saisir l’importance qu’elle revêt. Une rubrique entière lui est consacrée en pleine page ! Cela est compréhensible : on ne saurait demander à l’Algérie – qui s’est foncièrement construite sur le rejet du colonialisme – d’accepter la situation actuelle, qui plus est à ses portes, de la dernière colonie d’Afrique.

Après « la colonisation est un crime contre l’humanité » (propos d’Emmanuel Macron, alors candidat, en février 2017 à Alger), voici donc le moment de la mise en œuvre pratique. La république en « marche verte » – petite allusion à la colonisation de peuplement du Sahara Occidental à l’initiative de Hassan II, en 1975 – et Emmanuel Macron se sont ainsi placés dans le sillage de Donald Trump, selon la formule du communiqué du parti communiste français, repris par Algérie presse service. Et, apparemment, les autorités algériennes ont très peu apprécié le « en même temps » de la Macronie.

Malheureusement, c’est à nouveau l’argutie de la susceptibilité et de la non-maturité des responsables politiques algériens qui a été amplement reprise dans la presse française. Il y avait pourtant là matière à discussion sur quelques grands principes fondamentaux et d’importants sujets relevant du droit international et des droits humains.
Y. B. H.

(*) Anthropologue, chargé de recherche au CNRS. Membre du Laboratoire d’anthropologie sociale (CNRS-Collège de France-EHESS), Paris.

Le Soir d’Algérie, 13 avr 2021

Etiquettes : Algérie, France, Sahara Occidental, Emmanuel Macron, LREM,


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