Un lobby pro-marocain aiguille le parlement français

Par Nadji Azzouz

« Je pense honnêtement que l’Algérie et la France sont appelées a connaître des lendemains meilleurs grâce a la volonté politique affichée par les deux chefs d’Etat. Cependant, il y a en dessous des lobbies qui freinent cette coopération et ne souhaitent pas voir une entente cordiale entre l’Algérie et la France. Ce sont des lobbies organisés, financés par certains milieux que nous connaissons fort bien. Ils n’ont pas intérêt dans un rapprochement entre Alger et Paris. Ils connaissent parfaitement le poids de l’Algérie et de sa diaspora en France, qui englobe la quasi-totalité des secteurs d’activités. On a beau avoir la même religion, appartenir à la même région, mais pas forcément les mêmes intérêts ».

Ces récentes paroles de M. Antar Daoud, ambassadeur d’Algérie en France, tenus avant l’annulation, sine die, et à la demande de la partie algérienne, de la visite du Premier ministre français Jean Castex à Alger, sont assez claires sur l’identité des « lobbies organisés, financés par certains milieux », même si le représentant diplomatique de l’Algérie à Paris ne les nomme pas. Des coteries politiques que les Algériens « connaissent fort bien » et qui « n’ont pas intérêt dans un rapprochement entre Alger et Paris », selon « la volonté politique affichée par les deux chefs d’Etat » Emanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune.

Diplomate par définition, M. Antar Daoud n’identifie pas directement ces « lobbys organisés » en France et les « certains milieux qui les financent ». Secret de Polichinelle, il s’agit en fait du parti majoritaire à l’Assemblée nationale française, La République en marche (LREM), la formation que le président Emanuel Macron a créée en 2016 pour conquérir l’Elysée. Et précisément de son groupe à l’Assemblée, et, en arrière-plan, du Groupe d’amitié France-Maroc à la chambre basse du Parlement.

A l’intersection du Groupe LREM à l’Assemblée et du Groupe d’amitié France-Maroc en son sein, on retrouve la même personnalité politique, Mme Marie-Christine Verdier Jouclas, députée du Tarn (2ème circonscription), membre de la Commission des Finances de l’Assemblée, porte-parole de La République en marche à l’Assemblée et, détail intéressant, vice-présidente du Groupe d’Amitié France-Maroc, dont le président est un député LREM franco-marocain.

C’est cette ancienne banquière au Crédit Agricole à Albi, porte-parole depuis janvier 2019 du groupe LREM à l’Assemblée nationale, qui a annoncé, bien opportunément, 48 heures avant le début de la visite du Premier ministre à Alger, la création d’une antenne (comité) du parti présidentiel à Agadir et une autre à Dakhla, au Sahara occidental annexé par le Maroc. Ces deux comités, selon le communiqué publié à cet effet et signé de Mme Marie-Christine Verdier Jouclas et de M. Jaouad Boussakouran, cadre franco-marocain de LREM et en l’occurrence « référent LREM Maghreb et Afrique de l’Ouest ». Jaouad Boussakouran, chargé de structurer LREM au Maghreb et en Afrique de l’Ouest et auparavant animateur du Comité LREM à Casablanca, est membre du CCME, le Conseil de la communauté des Marocains à l’étranger. Il est donc et depuis novembre 2020, référent et porte-parole de LREM pour le Maghreb et l’Afrique de l’Ouest.

Le « Comité Dakhla », lit-on dans le communiqué en question, est destiné aux « Français de la ville » de Dakhla, comme si les expatriés français qui résident au Sahara Occidental, et notamment à Dakhla, pouvaient constituer une communauté assez importante, de surcroit votant au profit de LREM, alors que l’on sait que la grande majorité des Français qui vivent au Maroc (51521 enregistrés en 2020 auprès des services consulaires, chiffre du Quai d’Orsay) sont concentrés principalement dans les zones touristiques, les grandes villes de la côte et a l’intérieur du royaume, essentiellement à Fès et Meknès.

L’agent Jouclas

Dans une tribune publiée le 12 février 2021 par le journal du Makhzen en France AtlasInfos, Mme Marie-Christine Verdier Jouclas a souhaité que la France ne reste pas indifférente à ce qu’elle a qualifié de nouvelle donne géopolitique après la reconnaissance des Etats Unis sous la présidence Trump de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, souveraineté non encore reconnue par l’ONU. Cette haute responsable du parti macronien avait estimé également que la France doit envisager d’élever le niveau de son engagement en faveur de la prétendue marocanité du Sahara occidental, en adoptant une attitude plus active et en prônant un discours plus explicite. Autrement dit, continuer à considérer le plan d’autonomie marocain comme « La » solution unique, et non plus, comme depuis un certain temps, « une » solution dans le cadre de négociations sous l’égide des Nations Unies.

Mme Marie-Christine Verdier Jouclas, qui s’est déjà rendue à Dakhla, à deux reprises, où elle a notamment rencontré le représentant local du Makhzen, est par ailleurs habituée à saluer « le travail de qualité de la diplomatie marocaine, sous la conduite du roi Mohamed VI » auquel elle « rend hommage pour sa volonté de ramener la paix, notamment en ce qui concerne la coopération Nord-Sud/Sud ». Elle appelle aussi la France à jouer un rôle moteur au sein des instances européennes, c’est-à-dire amener l’UE sur la position française de soutien au Plan d’autonomie marocain au Sahara occidental, comme solution unique. Elle fut aussi à la manœuvre, derrière l’organisation du Forum d’affaires Maroc-France à Dakhla, du 23 au 25 octobre 2019. Il y fut, selon ses propres dires, à titre « privé » et au titre des affaires de son mari, qui est, entre autres activités d’affaires et d’influence, responsable de projets « coopération européenne » au Comité régional du tourisme et de loisirs d’Occitanie.

D’autre part, en février 2021, Mjid El Guerrab, député franco-marocain de la 9ème circonscription des Français établis hors de France, qui couvre le Maghreb et 11 autres pays d’Afrique subsaharienne, ancien du PS, ex-LREM et membre du Mouvement Radical depuis 2018, avait demandé au ministre des Affaires étrangères français M. Jean-Yves Le Drian de créer un institut français (centre culturel) à Dakhla. Tout en se disant favorable à l’ouverture d’une représentation diplomatique française dans la seconde ville sous occupation marocaine au Sahara occidental. Mjid El Guerrab est à la défense des intérêts diplomatiques du Maroc en France ce que le député franco-israélien et pro-sioniste Habib Meyer est à la défense des intérêts diplomatiques d’Israël dans l’Hexagone !

Le jumelage ratée

Dans la vie de tous les jours, Mme Marie-Christine Verdier Jouclas, est l’épouse de Pierre Verdier, un ancien cacique du PS, maire de Rabastens de 2014 à 2019, commune française dans le département du Tarn, en Occitanie, et une des villes les plus importantes de l’aire urbaine de Toulouse. Responsable pour le Tarn d’un mouvement de soutien d’élus locaux à la majorité présidentielle et au président Macron, et alors édile de Rabastens, il avait milité, avec constance mais en vain, pour le jumelage de sa ville avec celle de Bir Gandouz au Sahara occidental occupé.

En juin 2019, le général de division de Gendarmerie Nicolas Géraud, enfant de Rabastens et élu local très impliqué dans la vie de sa ville, avait déclaré à propos de la tentative de jumelage en question : «On ne peut que constater l’instrumentalisation de Rabastens qui se trouve à l’insu de ses habitants mêlée à un conflit international sous arbitrage de l’ONU. Ce projet de jumelage porté par le maire semble obéir à des raisons qui paraissent pour le moins obscures». Ce jumelage, finalement rejeté par le Conseil municipal, devait être consacré fort à propos, à l’occasion d’une semaine du Maroc à Rabastens (18 au 23 juin), organisée sous l’égide de l’Association 7ème art pour tous, présidée par le franco-marocain Lahouari Hamadi, et en arrière-plan par l’active consule général du Maroc à Toulouse, Myriem Nagy, amie dans la vie du couple Verdier.

Mme Marie-Christine Verdier Jouclas est par excellence la figure de proue du Groupe d’amitié France-Maroc, présidé par le Franco-marocain Mustapha Labid, ex-PS et député LREM, première circonscription d’Ille-et- Vilaine depuis 2017. Cet élu est membre de la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale et fait partie également de la Délégation de l’Assemblée aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Il siège aussi dans le Groupe LREM dans la même assemblée.
Le Groupe d’amitié est également composé de la députée Franco-marocaine Naima Moutchou, et des députés français François Cormier Bouligeon et Valérie-Gomez Bassac.

Naima Moutchou, avocate de profession, est députée depuis 2017 de la 4ème circonscription du Val-d’Oise en région Ile de France. Initialement membre de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, au titre de « whip », c’est-à-dire de responsable de groupe. Ex-vice-présidente du Groupe LREM jusqu’en 2019, elle est vice-présidente de la Commission des lois constitutionnelles de la législation et de l’administration générale de la République depuis octobre 2020. Cette éminence grise politique aussi discrète qu’influente, milite parallèlement au sein de la LICRA, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme.
Valérie-Gomez Bassac, avocate elle aussi, est députée depuis 2017 de la 6ème circonscription du Var. Elle est membre de la Commission des affaires culturelles et de l’éduction. De même qu’elle est membre de la Commission des affaires européennes à l’Assemblée nationale. Elle est depuis 2019 porte-parole de LREM à l’Assemblée nationale.

François Cormier-Bouligeon, ancien du PS, est député LREM depuis 2017 de la 1ère circonscription du Cher. Ex-chef de cabinet-adjoint d’Emanuel Macron alors ministre de l’Economie du président François Hollande, puis conseiller du ministre de la ville, de la jeunesse et du sport, Patrick Kanner, sous le règne de François Hollande, il préside depuis février 2018 le Groupe d’études sur le sport à l’Assemblée nationale. Il est aussi secrétaire du Groupe d’études « Vigne, vin et œnologie », un puissant lobby à l’Assemblée, et est par ailleurs membre d’un autre groupe d’influence transcourants politiques, l’Association nationale des élus de la vigne et du vin.

Le Jeune Indépendant, 11 avr 2021

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