Au Bénin, plusieurs manifestants répondent à l’appel de l’opposition d’occuper les rues pour protester contre la rallonge du mandat du président Patrice Talon, arrivé à terme le 6 avril à zéro heure selon l’ancienne constitution de 1990. Des routes sont bloquées, des manifestants ont été arrêtés. En face, la mouvance brandit la loi fondamentale modifiée en 2019 pour justifier la légalité de cette rallonge de mandat. Le Bénin, longtemps considéré comme un exemple d’alternance politique en Afrique, est en train d’écorner son image de pays démocratique.
Depuis la Conférence nationale de 1990, ce pays d’Afrique de l’Ouest a rarement connu une situation aussi tendue. A quelques jours de la présidentielle, des troubles ont secoué plusieurs villes du pays, lundi et mardi. Voici les principales raisons qui ont conduit à cette situation.
La prolongation du quinquennat
Avec le slogan « Talon dégage ! », « Cinq ans c’est cinq ans, pas un jour de plus », l’opposition béninoise dénonce avec véhémence la prolongation du mandat du président.
Selon les leaders de l’opposition, son mandat a officiellement expiré le 5 avril 2021 .
Patrice Talon qui promettait de ne faire qu’un quinquennat se retrouve donc avec une rallonge de 50 jours. Suffisant pour que l’opposition appelle les populations à descendre dans les rues.
Pourtant le camp du pouvoir s’appuie sur la révision de la constitution en 2019, induisant la modification du calendrier électoral pour justifier le maintien du président à son poste pour un mois et demi.
Ce changement vise à favoriser l’alignement des mandats (députés, maires et président) mais divise le pays.
En effet, l’opposition béninoise considère qu’il y a vacance de poste car le mandat du président est arrivé à expiration et que la loi fondamentale du pays ne permet pas de rallonger le quinquennat. Le pouvoir s’appuie sur la nouvelle constitution de novembre 2019 pour justifier cette rallonge.
Verrouillage présumé du processus électoral
A quatre jours de l’élection présidentielle du 11 avril prochain, l’opposition dénonce le verrouillage du système électoral par le président sortant Patrice Talon, accusé de créer les conditions de sa réélection à travers des mesures considérées comme anti-démocratiques par certains de ses rivaux.
La révision constitutionnelle de 2019 institue le parrainage et pour être candidat, il faut obtenir les parrainages d’au moins 10 % du total des députés et des maires, soit 16 parrainages. Mais les 159 élus (82 députés et 77 maires) appartiennent en majorité au camp du pouvoir. Il n’y a que six maires qui sont de l’opposition.
Face à de telles conditions, les principales figures de l’opposition béninoise, dont certains sont en exil, ont vu leurs candidatures recalées. Ce qui fait que lors de la présidentielle de dimanche, les électeurs béninois auront le choix entre Patrice Talon, Alassane Soumanou et Corentin Kohoué, deux figures politiques peu connues dans le pays.
Recalés par la Commission électorale, huit candidats de l’opposition avaient déposé un recours devant la Cour constitutionnelle, sans succès.
« Nous avons tout donné, nous avons souscrit à tout dans les dossiers de candidature sauf ce qui n’est pas de notre ressort, notamment le parrainage que le gouvernement a confisqué et a décidé de distribuer aux candidats de son choix », indique l’opposant Joel Ahivo, du Front pour la restauration de la démocratie.
Le ministre de la Communication et de la Poste du Bénin et Porte-parole du gouvernement, Alain Orounla, considère pour sa part que l’opposition participe bel et bien au scrutin du 11 avril.
« C’est une vue de l’esprit que de penser que toute la classe politique n’est pas représentée […]. L’opposition est largement représentée par deux duos de candidats c’est la preuve que nul n’est exclu de cette élection, parce que ce qu’il faut, ce n’est pas que tous les béninois soient candidats à une élection pour qu’elle soit représentative. Dès lors que nous avons la mouvance de l’opposition doublement représentée l’élection est complète et le système démocratique est en marche », déclare-t-il à la BBC.
Des poursuites judiciaires contre des opposants
La Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET), une juridiction d’exception mise en place pour combattre la corruption et les détournements est vue comme un outil de répression de l’opposition. Les opposants Sébastien Ajavon en exil, Reckya Madougou, en détention provisoire depuis le 5 mars pour « financement du terrorisme », et Lehady Soglo, ancien maire de Cotonou, condamné à 10 ans de prison pour abus de fonction, ont tous eu des démêlés par la CRIET.
Tous les trois ont nié les charges retenues contre eux et jugé que les poursuites judiciaires sont motivées par un « acharnement politique ».
« C’est une chasse aux sorcières. Je dirais même que c’est un procès en charlatanisme contre mon client. Parce que, c’est totalement absurde. C’était dans une logique politique d’exclusion, d’élimination d’un homme politique et pas des affaires politiques qui sont vides », avait déclaré Me Alfred Bocovo, un des avocats de Lehady Solo, juste après la délivrance d’un mandat d’arrêt contre son client en 2017.
Essowé Batamoussi, magistrat officiant au sein de cette cours dénonce la pression du pouvoir pour inculper des opposants après son exil en France.
« Le juge que je suis, n’est pas indépendant. Toutes les décisions que nous avons été amenées à prendre, l’ont été sous pression, y compris celle qui a vu le placement de madame Reckya Madougou en détention », déclare à RFI Essowé Batamoussi, magistrat de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), en exil en France. Réagissant à ses propos, le ministre de la justice a estimé que le juge est manipulé.
Pour le porte-parole du gouvernement béninois et ministre de la Communication et des Postes, Alain Orounla, « il n’y a aucune chasse aux opposants ».
« Il s’agit de prévenir et de décourager tout acte de violence ou d’appel à l’incivisme et c’est dans ce cadre que s’inscrit l’action de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme qui a entrepris d’écouter certaines personnalités politiques », dit-il.
BBC, 7 avr 2021
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