Mohamed Habili
Le blocage politique est aujourd’hui tel en Tunisie que si le président de la République disposait du droit de dissolution de l’Assemblée, nul doute qu’il en aurait déjà usé contre cette dernière, d’autant qu’elle est dominée par les islamistes, qui sont ses adversaires. La Constitution en vigueur concède pourtant ce pouvoir au président. Cependant en des termes qui en font quelque chose de très risqué pour lui. Il ne peut y recourir que deux fois au cours de son mandat. Qui plus est, dans un conflit l’opposant non à l’Assemblée mais au gouvernement, auquel il ferait obligation d’obtenir un vote de confiance.
Si par deux fois en un mandat présidentiel, le gouvernement est soutenu par l’Assemblée en désaccord avec le président, celui-ci doit démissionner. Le président Saïed ne peut pas dissoudre l’ARP directement, juste parce qu’il ne s’entend pas avec elle. Elle-même de son côté ne peut le renverser juste en adoptant une motion de censure à son encontre. Il faudrait qu’en plus de la défiance votée par elle aux deux tiers de ses membres obtenir l’aval de la Cour constitutionnelle, qui n’existe toujours pas. Il n’est laissé au président tunisien, pourtant élu au suffrage universel dans le cadre d’une seule circonscription, le pays en entier, ce qui en fait le mieux élu de tous les élus, que les voies secondaires de l’obstruction. Ce à quoi précisément a recours Kaïs Saïed, aujourd’hui en déplacement au Caire. Par deux fois déjà, il s’est servi de cette arme de fortune, n’ayant qu’elle sous la main.
Une première fois en refusant que le deuxième gouvernement Mechichi prête serment devant lui, et une deuxième, en refusant de promulguer une loi modifiant les modalités d’élection des membres de la Cour constitutionnelle choisis parmi les députés. Il faut dire que s’il avait promulgué cette loi, et que la Cour constitutionnelle ait vu le jour, ses jours à la tête de l’Etat étaient comptés. Dans les circonstances actuelles, la première tâche dont se serait chargée cette Cour, c’eût été en effet de le destituer, en confirmant un vote de défiance de l’Assemblée, un cadeau sur un plateau d’or que ses adversaires n’auraient pas manqué de lui offrir.
Cette voie est d’autant plus indiquée pour l’Assemblée, dominée par Ennahdha, qu’elle ne comporte aucun risque. Si le vote de défiance contre le président de la République n’obtient pas le nombre de voix requis au niveau de la Cour, l’Assemblée n’a pas à le payer de sa propre dissolution. Logiquement, un pouvoir comme celui de censurer le président en vue de le faire tomber devrait avoir la dissolution pour contrepartie, seul moyen en effet d’éviter l’abus. Dans le cas où le président veut se débarrasser d’un gouvernement, et qu’il échoue dans cette entreprise à deux reprises, lui par contre tombe automatiquement.
Ainsi donc, la Constitution tunisienne n’offre pas de levier permettant le dépassement de la crise actuelle, qui d’ailleurs n’est pas seulement institutionnelle. En fait elle est politique avant d’être institutionnelle. Le président Saïed est depuis hier en Egypte sur invitation de Abdelfattah Sissi pour aborder tous sujets d’intérêt commun entre leurs deux pays. Il sera probablement aussi question de la situation dans son pays, dont la portée régionale est évidente. Saïed veut renverser ceux qui en Tunisie veulent en finir avec lui. Cela passe par une révision constitutionnelle, seul moyen pour lui de rééquilibrer le partage des pouvoirs en sa faveur. Il a déjà le soutien du président algérien, qui ne rate aucune occasion de lui témoigner son amitié. Tout porte à croire qu’il a également celui du président égyptien.
Le Jour d’Algérie, 9 avr 2021
Etiquettes : Tunisie, islamistes, Kaïs Saïed, Hichem Mechichi, Ennahdha, El Ghannouchi,