Algérie.- 112e vendredi de contestation : le Hirak ne démarre plus du centre-ville

Les caractéristiques sociologiques du Hirak sont en train de changer. Il n’est plus le mouvement où fusionnent toutes les couches de la société pour communier autour du besoin de liberté. Il concerne aujourd’hui les couches qui souffrent le plus de la crise économique.

Il a fallu attendre la jonction des vagues de l’est et de l’ouest d’Alger pour que la manifestation commence réellement, aux alentours de 15 heures. La rue Didouche Mourad, la place Maurice Audin et l’esplanade de la Grande poste ne sont apparemment plus l’épicentre du Hirak. Le mouvement populaire prend désormais sa source à El Harrach et à Bab El Oued où des milliers de personnes se mettent en branle avant de faire jonction au centre-ville.

Hier, la principale artère du pays était quasiment vide jusqu’en milieu d’après-midi avant de se remplir par l’afflux massif de manifestants venus à pied des quartiers populaires de la capitale.

Ce changement sociologique est à, probablement, expliquer par la désaffection des habitants aisés des hauts d’Alger et du centre pour les marches. Au début du mouvement, ceux-ci descendaient du Télemly, du Golf, d’Hydra, de Ben Aknoun et même de Chraga, d’Ouled Fayet et Baba Hassen pour communier avec le reste du peuple.

Beaucoup d’entre eux ont déserté les lieux par lassitude ou par un relâchement de l’engagement. « La petite bourgeoisie des beaux quartiers ne se reconnaît plus dans le Hirak, dit un habitué des marches. Les choses se son tamisées. Il ne reste que les plus déterminés, touchés par la hogra du système. »

L’avis est quelque peu nuancé par un autre hirakiste venant d’El Biar : « Je préfère démarrer de Bab El Oued pour l’ambiance. Parfois, je pars à Belcourt pour marcher à côté des gens d’El Harrach, d’Hussein-Dey, de Kouba. Je ne suis pas le seul. Je rencontre parfois des voisins mais aussi quelques personnes d’Hydra ou du Golf ».

Toutefois, à l’œil nu, il est clair que le gros des troupes du Hirak est, d’aujourd’hui, issu des régions les plus défavorisées d’Alger. On le voit dans l’aspect extérieur des marcheurs et on l’entend dans leurs slogans. La jeunesse dorée de la capitale semble maintenant regarder la foule du vendredi d’un peu plus loin.

L’atmosphère de ces dernières semaines alimentée par des informations sur des présomptions de brutalité policière à l’intérieur de commissariats a dû également refroidir l’ardeur de certains.

Quoi qu’il en soit, la composante du Hirak devient de plus en plus populaire et il est fort à parier qu’elle ne tardera pas à prendre une coloration sociale au vu de la cherté de la vie. En effet, la flambée des prix à la veille du ramadan est sur toutes les langues. L’augmentation des prix de la plupart des produits alimentaires risque de faire sortir les Algériens non pas pour réclamer plus de liberté mais plus de nourriture.

Mourad Fergad

La Nation, 10 avr 2021

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