Il y a comme un sentiment d’un saut dans l’inconnu. Il serait facile de s’opposer à cette incursion des associations dans le champ politique et de pointer l’islamo-conservatisme comme un vrai danger pour les fondamentaux démocratiques. Mais en réalité, l’équation est beaucoup plus compliquée qu’elle ne paraît.
Le scrutin législatif du 12 juin prochain offre un tableau inédit mettant aux prises, dans une arène glissante, une société civile novice face à une mouvance islamiste rompue aux duels politiques. Encourager les jeunes, notamment ceux qui activent dans des associations à aller à la conquête du pouvoir législatif est une louable initiative, mais il faut se garder de croire que ces associations vont se substituer aux partis. On ne connaît pas encore d’exemple de pays dans le monde où le mouvement associatif a remplacé la classe politique.
La société civile n’a pas pour vocation de gouverner. La prise de pouvoir n’est pas inscrite dans ses gènes, contrairement aux partis dont le premier objectif est d’arriver -pacifiquement- au pouvoir pour ensuite appliquer leurs propres programmes.
Le paysage politique algérien de 2021 ne se fige pas seulement aux procédures et aux méthodes, mais il comporte encore d’autres interrogations et des zones d’ombre. On ne connaît pas à ce jour la coloration politique et idéologique de cette société civile. Est-elle démocrate, laïque, progressiste, conservatrice ou à dominante islamiste? Face au vide politique laissé par le boycott des démocrates, la société est appelée à un combat pour lequel elle n’est pas préparée. Contraints d’adopter la démocratie, les islamistes en font un bon usage: ils s’en servent comme marchepied sachant que leur souci fondamental demeure l’islamisation des institutions politiques et la promotion de la chari’a comme source de la législation. On mesure de ce fait le challenge que doit relever la société civile engagée dans ce scrutin.
L’enjeu ne se limitera pas seulement à gagner une élection, mais à trouver des parades intelligentes pour entraver la capacité d’action des islamistes. Immense défi.
La société civile algérienne a-t-elle les moyens, les capacités et les relais suffisants pour mener ce combat?
La mouvance islamique structurée, mieux organisée et au besoin plus rusée, agira à l’aise lors du scrutin. Elle a des représentants à travers le pays et dispose de moyens humains pour fabriquer des listes, ce que ne peuvent pas faire les associations dont la portée est souvent très limitée. Si l’élection de juin prochain a cette particularité de sortir du «rond-point électoral» en se dégageant du statu quo imposé depuis ces 20 dernières années, on ne connaît pas, en revanche, la direction exacte que prendra la suite des évènements. Il y a comme un sentiment d’un saut dans l’inconnu. Il serait facile de s’opposer à cette incursion des associations, dans le champ politique et de pointer l’islamo-conservatisme comme un vrai danger pour les fondamentaux démocratiques. Mais en réalité, l’équation est beaucoup plus compliquée qu’elle ne paraît. C’est toute la problématique de la démocratie et des partis politiques qui se pose. L’on s’interroge alors: les Algériens sont-ils attachés à leur démocratie de partis durement acquise? On n’a pas de sondage fiable dans ce domaine précis mais en la matière, le Hirak est un excellent indicateur.
Les partis politiques, toutes tendances confondues, n’ont pratiquement aucune emprise sur le Mouvement populaire. En deux années de manifestations, ils ont été incapables d’imprimer la moindre idée, de formuler la moindre proposition. La stratégie de la dissolution dans la masse les prémunit des quolibets, les préserve du bannissement de la rue et leur évite les acerbes critiques qui sont légion sur les réseaux sociaux, mais en même temps elle les dépouille de leur principale mission qui est celle de formuler des propositions.
Les ghettos sécurisent peut-être, mais ils stérilisent, c’est sûr. La foule est au mieux un moyen de pression. Elle scande et ne débat pas, elle fonce et ne réfléchit pas. Une organisation politique, produit des idées et esquisse des solutions. Ce cas de figure a définitivement disparu depuis cinq ans en Algérie. Face à la détérioration du climat politique et économique, plus de 17 partis politiques de l’opposition se sont réunis, en mars 2016, à Zéralda, au sud-ouest d’Alger, pour proposer des sorties de crise. C’était un grand moment politique. Est-ce le dernier? Les partis ont-ils compris que leur existence est en jeu? Il y a un malaise général à l’égard du processus politique. Les formations politiques sont perçues comme des relais servant à perpétuer le régime au lieu d’exprimer les aspirations du peuple et sa volonté. De nombreux citoyens sont convaincus que les partis politiques ne sont que l’exacte incarnation de la corruption, du népotisme et des passe-droits. Tout est à refaire, mais par où commencer dans ce tas de ruines?
L’Expression, 8 avr 2021
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