Depuis quelques jours, les murs des grandes artères de la ville de Tanger au nord du Maroc ne sont plus les mêmes. À leur peinture blanche et bleu pâle habituelle se sont ajoutées des affiches truffées de messages moralisateurs, «signatures des organisations islamistes les plus extrémistes». Retour sur une affaire pleine de mystère. À quelques semaines du début du mois sacré de Ramadan au Maroc, les «brigadiers de la vertu», appelés ainsi par les Tangérois pour leur fanatisme déclaré, ont fait leur grand come-back dans la ville du détroit, située dans la pointe nord du royaume.
Dans une action visiblement coordonnée, qui a commencé dès dimanche 28 mars dernier, ces mystérieux placardeurs ont collé sur les murs et les poteaux d’électricité des grands quartiers de Tanger, de nombreux tracts «à caractère extrémiste». «Haro sur les parents qui permettent à n’importe qui de jouir des attraits de leurs filles qui se dévoilent et montrent leurs charmes dans la voie publique», ont-ils écrit sur l’une de leurs affiches. Ils affirment vouloir ainsi dénoncer «l’atteinte à la pudeur et à la religion». Ces «indignés» appellent aussi les parents incriminés à ramener leurs «enfants égarés au droit chemin» sous peine de représailles divines. Leur message va encore plus loin, signifiant clairement à ceux qui ne se soumettent pas «à la voix de la sagesse» qu’ils sont «sans honneur, sans vergogne et sans religion».
«Les rues sont devenues des lieux de pornographie et de débauche où des filles âgées à peine de 13 ans ainsi que d’autres en âge d’être mariées déambulent en pantalons courts et serrés. Même leurs sous-vêtements sont exhibés aux yeux de tous… Félicitations donc à tous ceux qui font de leurs femmes et de leurs filles une marchandise bon marché exposée dans les rues et sur les trottoirs», ironisent les auteurs dans l’une des affiches.
Dans une autre, ils s’attaquent aux coaches des salles de sports qui, affirment-ils, «détournent les jeunes des mosquées». De tels jugements ont très vite enflammé les réseaux sociaux le soir même de leur apparition soudaine, créant une vague de colère qui continue de déferler sur la Toile. «Des affiches daéchiennes* dans la ville de Tanger ce matin», décrit cet internaute dont la publication a été commentée plus d’une centaine de fois. S’invitant dans la polémique, le collectif marocain «Mouvement alternatif pour les libertés individuelles» (M.A.L.I) a également fait part de son indignation.
Dans leur grande majorité, les internautes marocains ayant réagi à «ces provocations» estiment que la tenue vestimentaire d’une femme relève de sa liberté individuelle. Ils condamnent donc, fermement, les messages «misogynes» et «obscurantistes» véhiculés par les auteurs de ces tracts. Dans la foulée, certains ont applaudi chaleureusement les messages muraux, sans qu’il soit possible de savoir s’ils avaient pris part active, ou pas, à la campagne d’affichage. «Il ne s’agit pas d’affiches extrémistes. Il est juste question de prêches religieux à l’adresse des ignorants […].
Pour être honnête, je n’ai jamais vu une ville marocaine où la nudité, le dévergondage, la débauche et l’absence de masculinité sont aussi fréquents qu’à Tanger et à Casablanca. Les hommes de cette ville ne sont pas jaloux pour leurs sœurs ou leurs filles, les mères ne conseillent pas leurs filles et celles-ci ne sont pas conscientes que leur seule et unique raison de vivre est l’adoration du Dieu tout-puissant», peut-on lire sur cette page Facebook, qui publie régulièrement des messages à vocation religieuse.
Cette publication illustre néanmoins les échos favorables qu’ont recueillis ces affiches auprès d’autres internautes.
Pour Abdellah Rami, chercheur marocain spécialiste des mouvements islamistes interrogé par Sputnik, ce type de discours relève de «l’islamisme salafiste qui verse dans l’extrémisme rigoriste». Selon lui, le partage des photos des affiches sur les réseaux sociaux a surtout eu un effet amplificateur du phénomène. Le chercheur ajoute que ce genre de dérapage ressort, par moments, dans les rues des villes de Tanger et Tétouan. «Ce sont certes des vagues éphémères, mais cette fois, le bouchon a été poussé un peu loin».
Le Maghreb, 8 avr 2021
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