La géopolitique océanienne de la Covid

Au 31 mars, 343 morts de la Covid-19 avaient été recensés dans le Pacifique insulaire, hors Australie et Nouvelle-Zélande, dont 141 au fenua,qui devance Guam et la Papouasie.

Par Damien Grivois

Plus d’un an après le début de la pandémie, onze pays insulaires océaniens (Îles Mariannes du Nord, Fidji, Polynésie française, Guam, Nouvelle-Calédonie, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Îles Marshall, Samoa, Îles Salomon, Vanuatu et Wallis et Futuna) ont signalé des cas et des décès liés à la Covid-19. La maladie constitue une difficulté majeure pour la région, estime la Communauté du Pacifique (CPS) qui, en qualité de chef de file du Conseil des organisations régionales du Pacifique (CORP) dans le domaine de la santé publique, dit avoir pris toutes les mesures nécessaires pour lutter contre sa propagation.

Dans la plupart des pays océaniens, l’accès à des services sanitaires de qualité est limité du fait du manque d’infrastructures, de matériel et de personnel qualifié. Dans la situation actuelle, cela peut poser un problème d’accès aux soins, si le nombre de personnes touchées augmente.

La plupart des pays de la région ne possèdent pas le matériel de laboratoire nécessaire à l’analyse des tests sur site, ce qui complique l’identification des cas. Les échantillons de tests doivent être envoyés dans d’autres pays pour être analysés.

A l’image de Tahiti et ses îles, les États et Territoires insulaires océaniens sont des endroits touristiques dont l’économie est fortement dépendante de la présence de visiteurs.

Cela représente un risque lié aux mouvements des personnes en provenance et à destination de ces pays (même si des restrictions ont été mises en place), et constitue une menace pour les économies locales : la Polynésie française n’est pas la seule affectée puisque le tourisme représente par exemple également près de 40 % du PIB de Palau, de Vanuatu et des Fidji.

L’insularité, atout et handicap
Seuls cinq pays de la région peuvent pratiquer eux-mêmes le dépistage : les Fidji, Guam, la Nouvelle-Calédonie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et la Polynésie française. Les dix-sept autres doivent envoyer leurs échantillons en Nouvelle-Zélande, en Australie ou dans l’un de ces cinq pays.

Toutefois, compte tenu des restrictions mises en place sur les déplacements, leurs capacités à envoyer ces échantillons à l’étranger sont faibles. La collaboration entre les pays du Pacifique dans le contexte épidémique.

Dès l’apparition de l’épidémie du Covid-19, le Forum des îles du Pacifique a mis sur pied une réponse collective par l’instauration d’un couloir humanitaire entre ses membres, baptisé le PHC-C (Pacific Humanitarian Pathway), qui a été officiellement lancé le 7 avril 2020.

« Il s’agissait avant tout de se fournir en matériel médical (masques-kit de tests, respirateurs). C’est dans ce cadre que la Polynésie française a transporté pour le compte des membres du Forum (Samoa, Tonga, Fidji, Vanuatu) le matériel médical qui leur a été fourni par la République de Chine lors d’une mission en Chine d’ATN en mai 2020 », explique Manuel Terai, délégué aux affaires internationales, européennes et du Pacifique. « La Polynésie française se joint à la déclaration du Forum pour un accès équitable au vaccin dans le cadre de l’initiative Covax pour les pays les plus vulnérables. Hélas, la Polynésie française, à ce jour, ne bénéficie pas de ce dispositif Covax. »

En sa qualité de membre du Forum, la Polynésie française est informée de l’évolution de la situation sanitaire par les rapports transmis par les instances politiques en charge de la coordination opérationnelle et fournit le soutien nécessaire requis par le Groupe interétatique sur le Covid.

« À titre d’exemple, le concours des membres a été sollicité pour faciliter le rapatriement des citoyens du Forum travaillant en qualité de gens de mer et particulièrement ceux de Kiribati et Tuvalu » précise le Pays.

Une « bulle touristique » entre Taiwan et Palau
Taiwan a annoncé le 17 mars la création d’une bulle touristique avec son allié diplomatique de Palau, Etat insulaire de Micronésie, selon Taiwan Infos.

Ce programme prévoit l’organisation de séjours en groupe soumis à un protocole sanitaire spécifique. Cette bulle touristique, a indiqué le ministère des Affaires étrangères, met non seulement en évidence les excellentes performances des deux pays en matière de prévention de l’épidémie, mais « symbolise aussi la solide amitié entre Taiwan et Palau, ainsi que la confiance réciproque qu’ils s’accordent ».

Depuis le début de la pandémie, Palau n’a enregistré aucun cas positif, alors que Taiwan en a dénombré seulement 998, dont 882 importés. Il n’y a pas eu de cas local à Taiwan depuis une quarantaine de jours. Les agences de voyages taïwanaises sont désormais autorisées à organiser des séjours de groupes à Palau.

Depuis le 1er avril, deux vols aller-retour hebdomadaires sont opérés, avec à leur bord un maximum de 110 passagers.

Toujours en groupe, les voyageurs devront suivre aux Palau un itinéraire conçu de manière à éviter les lieux très fréquentés. Sur place, ils sont transportés par des navettes dédiées et désinfectées. Les voyageurs sont logés dans des hôtels dont le dispositif sanitaire a été certifié par les autorités.

Des mesures de distanciation sociale sont appliquées lors des repas et des déplacements. Seules les personnes n’ayant pas voyagé à l’étranger au cours des six mois précédents, n’ayant pas non plus fait l’objet de mesures d’isolement ou d’auto-suivi sanitaire au cours des deux mois précédents, et n’ayant pas contracté le Covid-19 au cours des trois mois précédents, sont autorisées à se rendre dans l’archipel.

À leur retour à Taiwan, les voyageurs sont dispensés de quarantaine mais doivent effectuer un auto-suivi sanitaire renforcé de cinq jours.

Covid-19 : Pékin « remet des chèques » dans le Pacifique
Selon la revue géopolitique Diploweb, une conférence vidéo du ministère des Affaires étrangères chinois a été organisée le 10 mars 2020 au profit des responsables « santé » océaniens et leurs autorités des dix Etats insulaires du Pacifique.

Il s’agissait de souligner le caractère « ouvert » et « réactif » de l’approche chinoise et de partager des informations sur la prévention et la gestion clinique, tout au moins avec les États entretenant des relations diplomatiques avec la Chine, puis sur le terrain par le déploiement d’experts de santé.

Diploweb précise que des équipes médicales auraient également été déployées dans dix pays du Pacifique sud.

« Une politique qui s’est accompagnée, de-ci-delà, par des remises ostentatoires de chèques » souligne l’auteur, François Guilbert. « Il en a été ainsi au Vanuatu pour une somme de 100 000 dollars, 200 000 au Royaume des Tonga et aux Fidji pour 300 000. »

Une politique de communication soignée, s’ouvrant parfois aux journalistes locaux et que l’on a pu observer lors de la remise à la Polynésie française de masques et habits pour les personnels soignants par un vol spécial d’Air Tahiti Nui.

« Il est intéressant de noter que les aides de l’État chinois ont mis en scène plusieurs de ses acteurs d’influence » note encore Diploweb. « Des entreprises privées (ex. Jack Ma – Forum des îles du Pacifique ; Wang Cheng – Polynésie française), des relais du Parti communiste chinois (ex. Association du peuple chinois pour l’amitié avec l’étranger (CPAFFC), des instruments non gouvernementaux récemment mis sur pied spécifiquement pour la région (ex. Association d’amitié de la Chine du Pacifique (PCFA), des dispositifs de jumelage (ex. Faa’a – Jiangyn dans la province du Jiangsu) ; Papeete – Changning dans la province du Hunan), des répéteurs communautaires sont venus en appui des actions de l’appareil d’État chinois. »

La revue géopolitique estime que ce système de mise en œuv re de la diplomatie chinoise en dit long sur l’importance accordée par Pékin au États et territoires du Pacifique. Si cette stratégie a pu faire l’objet de critique en Australie ou aux États-Unis, elle aurait été « globalement bien reçue par les Océaniens, tout au moins en apparence ».

Dr Paula Vivili, directeur de la division Santé publique de la CPS : « Cette crise rendra les pays mieux préparés que jamais »

« Je suis originaire des Tonga, et je travaille à la CPS depuis sept ans. J’ai principalement travaillé dans le domaine de la nutrition, des maladies non transmissibles et de la santé publique. (…)

Gérer une telle pandémie est du jamais vu pour la plupart, sinon la totalité d’entre nous. En Océanie, c’est vraiment la première fois que nous devons faire face à quelque chose d’une telle ampleur.

Nous ne sommes pas étrangers aux épidémies : les épidémies de dengue ou de Zika ne sont pas rares, et l’an dernier, la rougeole a frappé assez durement la région, mais, en Océanie comme dans le reste du monde, jamais nous n’avons été confrontés à un phénomène comme celui-ci. Les autres coronavirus, tels que le SRAS ou le MERS, n’ont jamais touché le Pacifique. (…)

Une autre difficulté majeure réside dans la capacité des pays de la région à gérer les cas de Covid-19. (…)

Bon nombre de pays d’Océanie ne sont en mesure de prodiguer des soins intensifs qu’à cinq personnes en même temps, voire moins. Il est donc essentiel de limiter le plus possible le nombre de cas. (…) Les pays disposent de capacités relativement limitées pour traiter les cas dans le domaine clinique, et la CPS travaille avec ses partenaires pour répondre à leurs besoins de respirateurs, mais aussi d’autres équipements et services pour les patients. Nous nous efforçons également de fournir aux pays des procédures opératoires normalisées, afin de les aider à mieux gérer les patients. (…)

Dans le domaine de la préparation et de la riposte, cette crise rendra les pays mieux préparés que jamais. Les événements leur ont permis d’améliorer leur système de santé ; les partenaires, les bailleurs de fonds et les organisations telles que la CPS savent bien mieux comment aider les pays, et sont désormais bien mieux placés pour le faire. »

Zoom sur la vaccination dans le Pacifique

Palau, premier État vacciné ?

Palau, qui compte à peine 21 000 habitants, n’a enregistré aucun cas de coronavirus en 2020 grâce à des contrôles drastiques à l’entrée du territoire. L’archipel fait tout pour rester “covid-free” en 2021: la campagne de vaccination a débuté dès le 2 janvier, avec 3000 doses de vaccin Moderna. La campagne de vaccination doit s’achever au mois de mai. Palau serait alors le premier État vacciné du monde.

Les États-Unis acheminent des vaccins à trois pays insulaires

Fin 2020 et début 2021, les Centres des États-Unis pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) ont envoyé des milliers de doses du vaccin Moderna à Palau, aux États fédérés de Micronésie et aux îles Marshall. L’aide des États-Unis entre dans le cadre de leurs relations à caractère unique avec ces trois pays. Par le biais d’accords bilatéraux de libre association, les États-Unis maintiennent des relations spéciales avec les îles Marshall, les États fédérés de Micronésie et Palau, y compris grâce à une collaboration en matière notamment de sécurité, de secours en cas de catastrophe et de développement économique.

Fidji vaccine avec l’Union européenne

Dix travailleurs de première ligne aux Fidji ont reçu début mars la première dose du vaccin AstraZeneca. Le ministre fidjien de la Santé, le docteur Ifereimi Waqainabete, confirme que les 6 000 travailleurs de première ligne les plus à risque recevront les premières injections. L’Union européenne confirme que les Fidji recevront 108 000 doses de vaccins Covid-19 dans le cadre du mécanisme Covax. L’UE et ses États membres ainsi que la Banque d’investissement de l’Union européenne sont parmi les principaux contributeurs à la facilité Covax.

Rapa Nui a lancé sa campagne de vaccination

À Rapa Nui, où aucun cas n’a été recensé depuis plus de 300 jours grâce à la fermeture totale au tourisme, les vaccins du laboratoire chinois Sinovac sont arrivés début février par le vol hebdomadaire qui relie l’île au Chili. L’île doit recevoir au total 16 000 doses et les autorités espèrent ainsi vacciner environ 8 000 personnes, soit 80 % de la population totale. Sans le tourisme, principal moyen de subsistance de l’île, les Rapa Nui vivent grâce aux approvisionnements du continent et aux traditions polynésiennes basées sur le partage, selon le maire Pedro Edmunds.

AstraZeneca pour Tonga

Le royaume de Tonga a reçu jeudi dernier un lot de vaccins dans le cadre du mécanisme Covax. Nuku’alofa est la troisième capitale à bénéficier de ce dispositif en Océanie. Il s’agit d’un lot de 24 000 doses du vaccin AstraZeneca . Le mécanisme Covax, qui prévoit la distribution de deux milliards de doses, est une initiative mondiale visant à garantir l’accès des pays à revenu faible et intermédiaire aux vaccins.

L’Australie vient en aide à l’Océanie

L’Australie a décidé de procurer des vaccins à ses partenaires du Pacifique et de l’Asie du sud-est. Canberra a voté un budget de 158 million de dollars australiens (environ 1,2 milliard de francs) pour venir en soutien à la vaccination à Fidji, Kiribati, Nauru, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Samoa, îles Salomon, Tonga, Tuvalu et Vanuatu. Début mars, le gouvernement a annoncé un plan de distribution de un million de doses de vaccins dans le Pacifique, espérant couvrir 20% des besoins d’ici juin.

3 834 vaccinés à Wallis-et-Futuna

Selon le préfet des îles Wallis-et-Futuna, 3 384 personnes ont déjà reçu leur première dose du vaccin Moderna à la date du 3 avril. L’archipel était resté exempt de Covid-19 pendant un an, mais un cas hors quatorzaine, qui n’a pas été considéré comme le patient zéro, a été décelé le 6 mars. L’épidémie s’est ensuite très vite propagée, particulièrement sur l’île principale de Wallis, avec 375 cas positifs contre seulement 10 à Futuna.

La communauté du Pacifique en « coordination »

La Communauté du Pacifique (CPS) travaille activement au sein de l’équipe interinstitutionnelle de gestion des incidents chapeautée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Elle est aussi la référente du Réseau océanien de surveillance de la santé publique (ROSSP), groupement de pays et d’organisations qui se consacre à la promotion de la veille sanitaire et s’efforce de répondre efficacement aux problèmes de santé qui se posent dans les 22 États et Territoires insulaires océaniens. La CPS coordonne la mise en œuvre du programme SHIP (Strengthening Health Interventions in the Pacific) de renforcement des interventions en santé publique dans le Pacifique, programme de renforcement des capacités visant à établir et à consolider les compétences en matière d’épidémiologie, de surveillance, d’analyse et de gestion des flambées épidémiques, de communication sur les risques et de présentation de rapports.

Actu.fr, 6 avr 2021

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