Relations Algérie-France : embellie durable ou énième occasion manquée ?

Le Premier ministre français Jean Castex, accompagné de 8 ministres, dont ceux des affaires étrangères, de la Défense, de l’économie, de l’intérieur et d’hommes d’affaires et chefs d’entreprises, est attendu à Alger le 10 et 11 avril prochain, pour une visite qui s’inscrit dans le cadre de la 5e session du CIHN (comité interministériel de haut niveau).

Prévue en fin d’année 2020, cette visite a été reportée, en raison de la pandémie du coronavirus, avant d’être reprogrammé pour le 18 janvier dernier, puis repoussée pour des raisons d’agenda.

Finalement elle vient d’être annoncée pour le 10 et 11 avril.

Intervenant dans un contexte de «réchauffement» des relations entre Alger et Paris, au vu d’un certain sentiment de confiance et de cordialité, qui s’est établi entre le président algérien Abdelmadjid Tebboune et son homologue français Emmanuel Macron, cette visite devrait donner un nouvel élan aux relations entre les 2 pays, dit-on.

Au menu de cette visite, de larges discussions sur les sujets d’intérêts bilatéraux qui s’ouvriront sur la coopération économique, sur la question mémorielle, la libre circulation des personnes, les échanges scientifiques, culturels, les questions diplomatiques et aux crises et conflits régionaux, ainsi qu’à la sécurité au Maghreb, et dans la région subsaharienne, notamment la situation malienne.

La volonté de relancer et de resserrer les relations entre les 2 pays, est manifeste, indique une source diplomatique algérienne. Elle devrait se concrétiser par des actes effectifs et se hisser à la hauteur des ambitions, que veulent lui imprimer les présidents des 2 pays, souligne la même source.

Ainsi, dans le domaine de la coopération économique et industrielle, elle devra être abordée par les 2 premiers ministres, le projet de construction automobile Renault, sur lequel le gouvernement français s’est engagé à réaliser, via le prédécesseur de l’actuel premier ministre français, avec une enveloppe qui avoisinerait les 500 millions de dollars, mais qui s’est juste résumé à un investissement de 30 millions seulement. Refusant d’être un simple pays d’assemblage automobile, le gouvernement algérien souhaite un taux d’intégration à hauteur de 70%.

Partenariat d’exception, traité d’amitié, traité de paix, relations stratégiques, comité interministériel de haut niveau : Ah bons mots de la diplomatie française ! Plus littéraire que technique, plus doucereuse que sincère et plus jargonneuse que franche.

Étrange mécanique que cette relation, qui a chaque visite de nos « amis français », distille un indéfinissable malaise : on signe des contrats, des pactes, on se fait la bise.

Puis dès que le « au revoir » cingle, cela déraille, se fissure. Et installe la figure d’une désillusion résignée.

A qui la faute ? Au personnel politique versatile ? Est-il possible de changer les relations sans changer soi-même ? Ou bien la relation serait-elle le coup tordu d’un sort programmé ?

Quid des IDE (investissements directs étrangers), du solaire et son corollaire, la transition énergétique, de l’industrie automobile, du développement ferroviaire, du réaménagement des installations voire la création d’autres installations portuaires ?

On signe pour tout à Alger et c’est le Maroc qui rafle la mise : le TGV, le port de Tanger-Med, l’industrie automobile qui fait du royaume alaouite un producteur- exportateur automobile de haut rang en Afrique. Etc.

Débarquant à Alger, en janvier 2020, Jean Yves le Drian, ministre de l’Europe (appréciez la nuance) et des affaires étrangères, et premier officiel à se rendre en Algérie après l’élection de Abdelmadjid Tebboune, il affirme, micro tendu, la volonté de son pays de travailler avec le gouvernement issu des dernières élections. Profession de foi ou langage diplomatique éculé ?

Le MAE français donne presque à comprendre, que venir à Alger est presque une sinécure…Lorsqu’il déclare : «l’Algérie a connu au cours de l’année écoulée une phase décisive de son histoire, et nous avons répété que c’est aux algériens et à eux seuls de décider de leur avenir, et de trouver le chemin d’un dialogue démocratique, parce que cela fait partie du respect que nous avons pour la souveraineté de l’Algérie».

Oula ! Il s’excuserait presque d’être venu nous déranger le cher ami français. Après l’alacrité nous voilà dans la gravité. Ça navigue presque entre cynisme et sincérité.

Questionné par la presse sur l’inévitable visa, le ministre français a dit : mobilité. Exit la circulation des personnes, vocale relégué au siècle dernier.

Alger réclamait plus de souplesse et de flexibilité…C’est dit sur l’air du reproche et signifierait presque : le visa ouvrira tout ou n’ouvrira rien. Ah le visa et sa délicieuse férocité…une tonne de papier, une tonne de suspicion, une tonne de refus .C’est presque l’influence de la lune gauloise, sur les marées humaines de l’ancienne colonie, voulant voir de quel fer est faite la Tour Eiffel.

Mr le Drian louant à la fois, l’espoir démocratique qui bourgeonne et la digue bureaucratique de la mobilité…décidément, la France est toujours tracassière voire chauvine.

« L’Algérie est incontournable pour la France et la France l’est pour l’Algérie » avait déclaré Abdelmadjid Tebboune, après son élection, au journal français l’Opinion.

Va-t-on sortir cette phrase de son contexte ou la laisser flâner ? Quelque soit l’option, les relations sont toujours une montagne de difficultés à escalader. Et dès qu’on essaie d’arpenter le moindre col, la cordée ne suit pas.

Le 10 et 11 avril, une délégation de haut rang débarquera à Alger. Elle intervient en plein débat sur la question mémorielle remise sur rail par le rapport Stora.

Jean Castex, nouveau venu, dans la galère des relations algéro-françaises pourra-t-il démêler l’écheveau de 60 ans de yoyo sous-titré du « je t’aime, moi non plus» ?

Et de 132 ans d’histoire mémorielle où tout chevauche tout : la guerre, la torture, les accords d’Evian, le pardon, la mauvaise foi, octobre 1961, les rotondes du métro Charonne. Et un peu plus loin, les emmurés de Bugeaud, les enfumés de Polignac, Abdelkader, El Mokrani, les cerises d’Ichériden.

Lourde mission du nouveau premier ministre en première virée algéroise. Et ombre planante de Macron, sorte d’Edmund Hilary de la politique, qui pointa la colonisation comme crime contre l’humanité.

Puis Macron-Mozart l’alpiniste, qui s’emmêle plus les piolets entre Frison Roche, le Djebel Amour et la repentance.

Castex en mission de déminage à Alger…Embellie des relations ou énième occasion manquée ?

Wait and see. Car les Algériens, premiers de cordées, quand il s’agit de faire économiquement sans eux au Maghreb, n’en sont pas dupes. Ils sont persuadés aussi, qu’on peut faire politiquement sans eux. Si ce sera le cas cette fois- ci encore, alors, qu’on ne vienne pas nous dire, que les blessures de la colo, ne sont que de légères égratignures. Et qu’on compensera ça la prochaine fois, par de juteux contrats de coopération économique. Honni soit qui mal y pense.

Madjid Khelassi

La Nation, 6 avr 2021

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