Maroc : Nager jusqu’à Melilla : « Les migrants pensent que c’est plus rapide mais c’est surtout très dangereux »

De nombreux migrants marocains ou d’Afrique subsaharienne tentent régulièrement d’atteindre les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla à la nage depuis les ports marocains voisins. Mais une traversée même à une centaine de mètres du rivage reste risquée. Déjà quatre personnes sont mortes noyées au mois de mars 2021.

Mardi 30 mars, une dizaine d’hommes courent sur la plage de Melilla. Ce sont des migrants, ils sont arrivés à la nage, de nuit, probablement du port voisin de Beni Ansar, au Maroc. Selon le compte Twitter du collectif citoyen Adelante Melilla, ils ont été repérés et escortés par les forces de l’ordre jusqu’au seul centre d’accueil de migrants de Melilla, le Ceti.

Depuis plusieurs années, les migrants d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique subsaharienne ou du Maroc, tentent d’entrer à Melilla et à Ceuta, les deux enclaves espagnoles sur le sol marocain, pour y demander l’asile ou dans l’espoir d’une vie meilleure. Les tentatives de franchissement de leurs grillages barbelés sont fréquentes. Des dizaines de migrants lancent chaque semaine des « assauts » – ou des « charges » – contre ces murs de grillages de plusieurs mètres de haut.

« Courants marins trompeurs »

On parle moins, en revanche, de ces étrangers qui tentent de rallier Melilla et Ceuta à la nage, depuis les ports voisins marocains. Il est vrai, par exemple, que seule une centaine de mètres séparent Melilla du port de Beni Ansar : une digue s’enfonçant dans la mer sur plusieurs dizaines de mètres sépare les deux zones, elle rend la traversée un peu plus longue mais envisageable pour les candidats à l’immigration.

Les risques d’une telle traversée à la seule force des bras et des jambes restent pourtant élevés. « Oui, il y a des tragédies, parce que nager dans la zone de Melilla est dangereux. Déjà l’eau est froide et il y a des courants marins trompeurs », explique Mohammed Ben Issa, membre de l’Observatoire des droits de l’Homme au Maroc, joint par InfoMigrants. « Les migrants pensent que nager est le chemin le plus rapide mais c’est surtout très dangereux. »

Dans un article du Figaro, datant de 2014, un migrant camerounais racontait déjà que les traversées à la nage n’étaient pas simples. « À moins d’être un très bon nageur, il vaut mieux avoir un gilet de sauvetage. Tu pars la nuit, tu nages dans le noir, après tu reviens vers le rivage. »

Les traversées à la nage en hausse depuis la pandémie de coronavirus
Ces dernières semaines, quatre personnes sont mortes dans les eaux de Melilla, leurs corps ont été rejetés plus tard sur les plages de l’enclave. Le drame le plus récent remonte au 2 mars 2021, quand un migrant d’Afrique subsaharienne est décédé. L’alerte avait été donnée par un témoin ayant entendu des cris dans la mer. Ce soir-là, deux autres personnes ont été sorties vivantes de l’eau. La même semaine, des corps ont été retrouvés sur les plages de Melilla, à Los Cárabos et à Horcas Coloradas, notamment.

Selon Ali Zoubeidi, professeur à l’Université Hassan 1er et spécialiste de l’immigration, les traversées à la nage se sont multipliées avec la pandémie de coronavirus. « Avant, beaucoup de migrants voulant entrer à Ceuta et Melilla se cachaient dans les remorques, dans les camions, dans les voitures qui s’y dirigeaient. Mais avec l’épidémie et la fermeture des frontières terrestres, les candidats à l’immigration ont cherché de nouveaux moyens pour entrer dans les enclaves, comme la nage. »

L’escalade des triples grillages de barbelés est aussi devenue de plus en plus compliquée. « Les contrôles espagnols et marocains se sont intensifiés autour des routes, autour de la zone terrestre, autour des grillages », explique encore Ali Zoubeidi. Et puis grimper sur les barbelés entraîne souvent des blessures graves : il y a les chutes, les coups des policiers espagnols. Certains migrants préfèrent donc s’engager vers le large, contourner la jetée grillagée pour tenter d’atteindre les plages de Melilla.

« Acheter des palmes pour espérer aller plus vite »

« Le processus est généralement le même pour tous les migrants : ils essaient d’entrer dans le port [marocain] de Beni Ansar tôt le matin, à l’aube, pour ne pas être vu. Ce n’est pas évident, le port est assez surveillé. Ceux qui y arrivent se cachent toute la journée, et ils commencent la nage vers 1h ou 2h du matin », continue Ali Zoubeidi. « Les candidats à la nage achètent généralement des combinaisons et des palmes dans les marchés alentours. Ils espèrent avoir moins froid et aller plus vite. »

« Ceux qui traversent sont aussi ceux qui ne peuvent pas payer des passeurs pour franchir la Méditerranée à bord de zodiac ou de jet-ski. La nage ne coûte rien », ajoute Mohammed Ben Issa, de l’Observatoire des droits de l’Homme.

Selon ce dernier, les passages à la nage entre les plages marocaines et les enclaves espagnoles sont difficilement quantifiables : les migrants qui réussissent ne sont pas souvent répertoriés. D’après lui, plusieurs centaines de migrants ont tenté de rejoindre à la nage les enclaves espagnoles depuis le mois de septembre 2020.

InfoMigrants, 2 avr 2021

Etiquettes : Maroc, migration, Melilla,

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