Belgique. En Flandre, un monument à la gloire des Waffen-SS

Proposée par le Vlaams Belang et inaugurée en 2018, une sculpture rend hommage à la Légion lettonne, une unité nazie auteure de nombreux crimes de guerre. Depuis, elle n’a guère suscité de réactions de la part de la classe politique et des institutions belges.

Une étrange ruche de bronze constellée d’abeilles se dresse dans la commune de Zedelghem (Flandre-Occidentale) : la Ruche lettonne pour la liberté. « De jeunes hommes lettons ont été recrutés par l’armée allemande pour se battre contre l’armée soviétique, explique une plaque commémorative. Près de 12 000 d’entre eux ont été prisonniers à Zedelghem de 1945 à 1946. »

Élu au sein du conseil communal de Zedelghem sous l’étiquette Vlaams Belang, Pol Denys est l’initiateur de ce monument. Passionnée d’histoire, cette figure de l’extrême droite locale s’intéresse aux milliers de soldats qui, après avoir combattu sous l’uniforme de la Wehrmacht ou de la Waffen-SS, ont été détenus dans le camp de prisonniers de sa commune. « Environ 150 000 prisonniers ont séjourné dans le camp de Zedelghem entre février 1945 et septembre 1946, explique-t-il . Parmi eux, 12 700 Lettons. »

Les anciens SS touchent même une pension

Ces hommes appartenaient à la Légion lettonne, une unité de la Waffen-SS. Parmi eux, certains étaient des conscrits enrégimentés par l’occupant allemand. Mais beaucoup d’autres étaient des nationalistes lettons engagés volontaires dans la SS, afin de participer aux combats contre l’Union soviétique ainsi qu’aux opérations d’extermination des juifs de Lettonie. Les crimes de guerre des légionnaires lettons sont bien documentés. À lui seul, le Sonderkommando Arajs est responsable de l’assassinat de plus de 100 000 personnes.

Depuis plus de vingt ans, les politiciens lettons se relaient afin de réhabiliter ces légionnaires, qu’ils présentent comme des « combattants de l’indépendance lettonne ». Non seulement aucun de ces anciens SS n’a jamais été jugé en Lettonie depuis 1991, mais ils touchent même une pension. En 1998, afin de leur rendre hommage, le gouvernement a décidé d’instaurer la Journée de la Légion lettone , le 16 mars.

Face au tollé international suscité par cette initiative, elle a été abrogée en 2000. Mais les légionnaires lettons continuent d’être honorés ce jour-là, et des monuments leur sont dressés. Le Conseil de l’Europe affirme que ces hommages sont de nature à « renforcer le racisme et l’antisémitisme » et que « toute tentative pour commémorer les personnes qui ont combattu dans la Waffen-SS et collaboré avec les nazis doit être condamnée ».

Une unité de « résistance » au communisme

Pour comprendre pourquoi un monument glorifiant une légion SS a été érigé en Belgique, il faut remonter à 2008. Pol Denys signe cette année-là un article dans lequel il écrit que le camp de prisonniers de Zedelghem a été un berceau du nationalisme letton d’après-guerre. À cette époque, l’élu d’extrême droite tient un site Internet qui attire l’attention d’une institution publique basée à Riga : le musée de l’Occupation de la Lettonie.

Plaçant sur un pied d’égalité nazisme et communisme, ce musée soutient que « l’occupation soviétique de la Lettonie de 1940 à 1941, l’occupation nazie de 1941 à 1944, et l’occupation soviétique de 1944 à 1991 » ne forme qu’une seule et même « occupation ». Dans ce musée où a été reproduit le baraquement d’un goulag, la Légion lettonne est glorifiée comme une unité de « résistance » au communisme, et ses crimes ont été effacés des annales.

Pol Denys entame une collaboration avec le musée de l’Occupation. Après quoi, il propose à la commune de Zedelghem d’ériger un monument aux légionnaires lettons. La commune accepte. Un sculpteur letton, Kristaps Gulbis, réalise alors une allégorie de la Légion lettone prenant la forme d’une ruche. « Cette colonie d’abeilles est une nation, explique-t-il. Les abeilles sont pacifiques, elle s ne piquent que lorsqu’elles se sentent menacées. Alors elles se défendent, se battent et meurent pour leur ruche. »

Silence de la classe politique

Le monument est inauguré le 28 septembre 2018, en présence de vétérans de la SS, de l’ambassadrice de la Lettonie en Belgique, des représentants du musée de l’Occupation, de la bourgmestre de Zedelghem, et de Pol Denys, l’élu du Vlaams Belang. Un an plus tard, le 18 novembre 2019, Egils Levits, le président de la Lettonie, décore Pol Denys de la Croix de la reconnaissance – l’équivalent letton de la Légion d’honneur.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, des dizaines de milliers de régionalistes flamands se sont engagés dans des partis collaborationnistes ou ont rejoint les rangs de la Légion flamande, une unité de volontaires SS ayant combattu sur le front de l’Est. Aujourd’hui, des élus du Vlaams Belang leur rendent hommage. Le 11 novembre 2020, Carrera Neefs, élue du conseil communal de Wuustwezel (province d’Anvers), a par exemple publié une vidéo d’elle-même en train de fleurir la tombe d’un soldat SS.

Ces hommages ne sont pas de vulgaires provocations mais le fruit d’une stratégie. Ils constituent des mises à l’épreuve de la classe politique et des institutions belges, qui, pour l’heure, se montrent incapables d’y répondre.

En décembre 2020, le député fédéral André Flahaut (PS) a adressé une question au ministre de la Justice à propos du monument de Zedelghem. À ce jour, sa question est restée sans réponse. Quant à la commune où se dresse la Ruche, dirigée par des chrétiens-démocrates, elle affirme ne pas comprendre qu’un monument représentant des abeilles puisse susciter la colère et l’indignation des associations juives ou patriotiques belges.

L’Humanité, 1 avr 2021

Etiquettes : Belgique, Flandre, Vlams Belang, extrême droits, Waffen SS, monument, fascisme,


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