Peau noire, masques blancs est une analyse psychologique comme l’auteur le précise dès le début de l’ouvrage. Écrit en 1952, le livre s’inscrit dans le contexte de la négritude, « ce romantisme malheureux », comme ironise Fanon. Alors que des poètes et des romanciers, pour rendre à l’homme noir sa liberté et sa dignité, le chantaient et s’acharnaient à montrer au Blanc qu’il possède bel et bien un passé très riche, le jeune psychiatre martiniquais de 27 ans adopte un chemin tout à fait différent en se donnant pour but de comprendre l’homme noir de l’intérieur afin de le guérir de sa névrose qui est l’aliénation. Si à cette époque la plupart des pays africains luttaient pour obtenir leur indépendance, Fanon était bien conscient que celle-ci ne serait totale et complète qu’accompagnée d’une délivrance du complexe d’infériorité, corollaire de tout processus de colonisation. Cette double libération était nécessaire et indispensable pour créer des rapports sains entre Blancs et Noirs. « Notre but est de rendre possible pour le Noir et le Blanc une saine rencontre », souligne-t-il. Et pour favoriser une telle rencontre, il faudra libérer le « Blanc enfermé dans sa blancheur » et le « Noir dans sa noirceur ».
Il faudra aussi les libérer de l’histoire, du passé. « Seront désaliénés Nègres et Blancs qui auront refusé de se laisser enfermer dans la tour substantialisée du passé ». Ainsi se refuse-t-il, en tant que Noir, le droit « de souhaiter la cristallisation chez le Blanc d’une culpabilité envers le passé de ma race. » Homme, « c’est tout le passé du monde » que le Noir a à reprendre, à s’approprier. Il n’est pas seulement responsable de la guerre de Saint-Domingue qui a provoqué la naissance d’Haïti. Mais aussi de la découverte de la boussole. Alors seulement naîtra l’homme libre et désaliéné. C’est-à-dire celui qui a retrouvé toute son humanité et s’assume sans complexe.
La fougue de Fanon ou un homme en colère
Frantz Fanon est un jeune révolté, plein de fougue, qui fustige jusqu’à l’approche des grands intellectuels blancs qui soutenaient la lutte des Noirs. La préface Orphée noire rédigée par Sartre subit par exemple sa réprobation. Il refuse en effet qu’il incombe à la conscience noire de « rechercher l’universel » comme le voudrait bien le philosophe français qui qualifie la négritude de « racisme antiraciste » qui se doit de « préparer la synthèse ou réalisation de l’humain dans une société sans races ».
L’actualité de l’œuvre
Peau noire, masques blancs est tout simplement une ode à la liberté de l’homme. Prônant dans le même mouvement l’égalité entre toutes les races, le livre dépasse la cause des Noirs et embrasse l’universel.
Aujourd’hui, les luttes pour les indépendances sont presque achevées dans le monde à part quelques pays qui restent encore sous domination : la Palestine, le Sahara occidental… Mais de nouvelles négations de la liberté de l’homme ne cessent d’affleurer, comme dernièrement le mythe de l’étranger-profiteur ou le mythe du musulman-terroriste. Dans certains pays, les étrangers sont vus en effet comme les profiteurs d’un système généreux avant d’être perçus comme des hommes qui ont droit au bonheur. Dans la même foulée, depuis le 11 septembre 2001, la population musulmane est considérée comme une sous-humanité car assimilée à des terroristes ou terroristes en puissance. Un terreau fertile pour les partis extrémistes, autres fossoyeurs de la liberté.
Et tant qu’il subsistera ne fût-ce qu’une seule poche d’étouffement de la liberté de l’humain par l’humain, l’œuvre de Frantz Fanon restera d’actualité. Comme il affirme : « L’homme [est] un oui… Oui à la vie. Oui à l’amour. Oui à la générosité. »
Chez Fanon, la liberté dépasse la liberté du corps et se confond à l’amour et à la générosité. Cette liberté est aussi psychologique et ne sera effective et totale que quand il ne restera plus même dans l’inconscient collectif des peuples anciennement dominés un complexe d’infériorité. Il rêve ainsi d’un monde sain avec des rapports sains entre toutes les races. Et là son œuvre atteint l’universel de plein fouet.
On apprécie au passage la poésie et les phrases lapidaires du livre.
Extraits :
« Un jour, un bon maître blanc qui avait de l’influence a dit à ses copains :
Soyons gentils avec les nègres…
Alors les maîtres blancs, en rouspétant, car c’était quand même dur, ont décidé d’élever des hommes-machines-bêtes au rang suprême d’hommes. »
« L’homme n’est humain que dans la mesure où il veut s’imposer à un autre homme, afin de se faire reconnaître par lui. Tant qu’il n’est pas effectivement reconnu par l’autre, c’est cet autre qui demeure le thème de son action. C’est de cet autre, c’est de la reconnaissance par cet autre, que dépendent sa valeur et sa réalité humaines. C’est dans cet autre que se condense le sens de sa vie. »
Source : Papyrus
Etiquettes : Blancs, noirs, nègres, négrophobie, esclavage, négritude, Frantz Fanon, colonialisme, colonisation,
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