Par Frank Gardner
Correspondant sécurité de la BBC
Le récent raid sanguinaire des militants djihadistes du groupe État islamique (EI) dans le nord du Mozambique a choqué le monde entier.
Des centaines de combattants bien armés ont réussi à envahir une ville proche du plus grand projet gazier d’Afrique. Ils ont massacré des dizaines de personnes, locaux et expatriés, laissant des corps décapités joncher les rues.
Alors comment cela a-t-il pu se produire, pourquoi le gouvernement mozambicain ne parvient-il pas à contrôler cette insurrection et que faudra-t-il faire pour la vaincre ?
Qui sont les insurgés ?
Ils se font appeler al-Shabab, un mot arabe signifiant « les jeunes hommes » ou « les garçons ». Ce terme est trompeur car il ne s’agit pas du même groupe que les insurgés somaliens liés à Al-Qaïda, qui portent également ce nom. Au lieu de cela, ce groupe a prêté allégeance en 2019 au groupe rival IS, basé en Irak et en Syrie. Ils ont adopté le titre de province d’Afrique centrale de l’État islamique (ISCAP), ce qui, là encore, est trompeur puisque le Mozambique ne fait pas partie de l’Afrique centrale.
Selon un schéma qui s’est répété ailleurs dans le monde, notamment au Mali, en Irak et au Nigeria, cette insurrection est née des griefs des populations locales qui se sentaient marginalisées et discriminées par leur propre gouvernement.
La province mozambicaine de Cabo Delgado, où ils opèrent, se trouve à plus de 1 600 km de la capitale Maputo, mais elle abrite le plus grand et le plus riche projet de gaz naturel liquéfié (GNL) d’Afrique. Exploité par la société française Total, il est estimé à 60 milliards de dollars US (44 milliards de livres sterling), avec des investissements de pays comme le Royaume-Uni.
Les habitants de la région se plaignent de n’avoir vu que très peu de cette richesse ou de ces investissements parvenir à leur communauté, ce qui a provoqué le début de l’insurrection en 2017, qui s’est ensuite « internationalisée » avec le soutien de l’EI.
Habillés de manière dépouillée et sans uniforme définissable, les djihadistes qui ont envahi la ville de Palma le week-end dernier étaient néanmoins bien armés de fusils d’assaut et de grenades propulsées par fusée. D’après les vidéos mises en ligne ultérieurement par l’IS, leur seul trait commun semble être les bandanas rouges que beaucoup portaient sur le front pour signaler un raid important.
Ils étaient également suffisamment bien motivés et dirigés pour avoir lancé une attaque réussie sur plusieurs fronts qui a rapidement surmonté la sécurité inefficace assurée par le gouvernement mozambicain.
« Même s’il s’agit d’une insurrection djihadiste locale », explique Olivier Guitta, analyste des risques géopolitiques chez GlobalStrat et expert du djihad en Afrique, « al-Shabab a établi des liens avec les milices islamistes d’Afrique de l’Est. Des chefs spirituels radicaux y ont aidé à la formation religieuse et même militaire des jeunes du nord du Mozambique. »
Cette insurrection est donc essentiellement locale et s’est opportunément drapée dans la bannière de l’IS, puis a attiré l’attention du monde entier par sa violence graphique et par sa proximité avec un projet commercial aussi important.
Que faudra-t-il pour les vaincre ?
La réponse est : beaucoup plus d’efforts que ce qui a été fait jusqu’à présent.
Reconnaissant qu’il avait un sérieux problème, le gouvernement mozambicain a engagé, en septembre 2020, plus de 200 « conseillers » militaires auprès des formidables entrepreneurs militaires privés russes, le groupe Wagner.
Ces soldats, pour la plupart d’anciens membres des forces spéciales russes, ont opéré avec le feu vert du Kremlin en Syrie, en Libye et ailleurs. Ils ont apporté avec eux des drones et des analyses de données mais, comme le souligne Olivier Guitta, les choses ne se sont pas passées comme ils l’avaient prévu.
« Après avoir subi une série d’embuscades et près d’une douzaine de morts signalés lors de plusieurs batailles dans des districts densément boisés de Cabo Delgado, les entrepreneurs militaires privés russes ont entamé une retraite stratégique. »
Le problème le plus immédiat est la faiblesse des propres forces de sécurité du Mozambique et peut-être une complaisance déplacée de la part de ses dirigeants politiques.
Selon le brigadier Ben Barry, de l’Institut international d’études stratégiques (IISS), les militants de l’EI ont une capacité avérée à combattre dans les zones bâties, ce qui constitue un défi pour le Mozambique et ses partenaires.
« Pour réussir dans la guerre urbaine, les forces gouvernementales doivent avoir un niveau élevé de leadership et de formation aux tactiques urbaines. Ces facteurs peuvent expliquer l’apparente faiblesse des forces mozambicaines. Elles semblent manquer du soutien des conseillers militaires occidentaux et de la capacité à utiliser la puissance aérienne, les armes de précision et les véhicules blindés, tous essentiels pour l’éviction des forces IS des villes irakiennes et syriennes. »
BBC, 1 avr 2021
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