Gestion de la migration clandestine: Pourquoi Alger a changé de politique

par Abla Chérif

Les migrants subsahariens ont fait depuis plusieurs semaines leur réapparition suscitant des commentaires et analyses de spécialistes de la question qui font notamment remarquer l’absence d’opérations de rapatriement comme il s’en menait autrefois. Alger a-t-elle changé de politique sur le dossier de la migration clandestine ?

Abla Chérif – Alger (Le Soir) – Si la question se pose sous cette forme aujourd’hui, c’est qu’elle fait suite à deux points majeurs relevés depuis un certain moment par les experts de la migration clandestine. Le premier a naturellement trait à cette présence massive de migrants enregistrée à travers toutes les grandes villes du pays sans qu’aucune réaction des autorités publiques suive (c’est le second point), alors qu’il en était tout autre quelques années auparavant. De 2014 à 2018, elles avaient, en effet, fait du dossier une préoccupation essentielle des gouvernements successifs qui ont géré la situation, en tentant de contrôler de plus près les migrants en dissociant notamment les travailleurs et réfugiés déclarés en tant que tels et les clandestins condamnés (dans la majorité des cas) à être rapatriés dans leur pays d’origine.

Plusieurs opérations de ce genre ont été menées, parfois tambour battant et sous l’œil des caméras et journalistes, invités à suivre le voyage organisé dans des règles que l’on voulait scrupuleuses. Il faut dire que ces rapatriements se sont déroulés dans un contexte et des circonstances où le sujet de la migration clandestine constituait une grande préoccupation dans différents pays de la Méditerranée et au-delà.

La France, l’Espagne et l’Italie, trois États aidés et soutenus par l’Allemagne sur le sujet, ont même tenté de faire pression pour que l’Algérie accepte de mettre en place une sorte de territoire neutre dans le sud du pays afin d’y concentrer les migrants clandestins, le temps d’étudier les demandes d’asile. Alger a fait part de son refus, tout en mettant l’accent sur les conséquences (sécuritaires surtout) de l’arrivée massive de migrants sur son sol.

Les opérations de rapatriement se sont poursuivies en dépit des critiques et campagnes virulentes menées par des ONG bien connues. La situation bascule cependant en 2019. Les évènements que traverse le pays freinent les migrants mais le phénomène reprend, et de plus belle, deux années plus tard. Septembre 2021 : Hacène Kacemi, expert des flux migratoires et des questions de sécurité dans le Sahel, s’inquiète de la passivité des autorités face à une situation qui prend de l’ampleur dans un contexte sanitaire précaire et un climat régional marqué par de vives tensions au Sahel.

Il met également l’accent sur le trafic des « passeurs » et réseaux spécialisés dans la traite humaine, et évoque leur regain d’activité depuis l’été dernier. « Alger se transforme en capitale de la mendicité », déplore-t-il aussi. La réponse à la principale question qui se pose, à savoir le changement ou non de la politique algérienne vis-à-vis du dossier de la migration clandestine, vient en partie de la présidente du Croissant-Rouge algérien, Saïda Benhabilès.

Les opérations de rapatriement ne sont plus organisées, pour au moins deux raisons bien précises. « Tous les rapatriements qui se déroulaient auparavant se faisaient à la demande des pays d’origine des migrants.
Le gouvernement nigérien a, à titre d’exemple, adressé des lettres à son homologue algérien afin que soient rapatriés tous les Nigériens entrés illégalement sur son territoire, et c’est ce que nous avons fait. Il en a été de même avec d’autres pays, puisque nous avons des conventions bilatérales et qu’ils sont tous, eux-mêmes, attachés à leur application », explique-t-elle. Depuis cette période, apprend-on de la même manière, aucune nouvelle demande émanant de ces pays n’a été transmise aux autorités algériennes. Pas de démarche non plus introduite par ces dernières en raison de la dégradation de la situation sécuritaire dans les États concernés. Une clause (portant sur la migration clandestine), contenue dans les accords passés entre pays, freine le rapatriement des populations pour des raisons humanitaires.

En raison du contexte sanitaire dans lequel ce phénomène fait sa résurgence, un appel à la contribution des organismes internationaux a été lancé par le Croissant-Rouge algérien, pour la prise en charge des migrants se trouvant sur le territoire algérien. Le CICR et l’OIM (Organisation internationale pour les migrations) ont été invités à aider à la procuration de vaccins anti-Covid. « On nous a déjà aidés avec des lots de masques que nous avons distribués. Nous avons donné des boîtes entières », poursuit Benhabylès. Ces boîtes ont été cependant revendues « ou jetées », apprend-on par ailleurs. Le risque d’une contamination par le Covid au sein des migrants, mais également la crainte d’une propagation d’un variant du virus sont suivis en dépit des difficultés qui caractérisent cette population, nous dit-on. « Contrairement aux autres réfugiés, ils sont très mobiles. Il est très difficile d’agir avec eux. Ils refusent de vivre dans les espaces que nous leur avons aménagés », poursuit la présidente du CRA.

Près de deux cents tests PCR ont été effectués, ajoute-t-elle, en formulant l’espoir de voir les organismes sollicités pour les vaccins concrétiser rapidement leur promesse. Les tests effectués se sont tous révélés négatifs, poursuit-elle, « c’est une population jeune et bien bâtie, il n’y a pas de vieux ou de malades parmi elle, c’est ce qui pourrait expliquer cette situation ». Le CRA affirme, par ailleurs, ne pas disposer de chiffres indiquant le nombre de migrants qui se trouvent actuellement sur le territoire algérien.

En 2019, le gouvernement algérien avait indiqué qu’une moyenne de 500 migrants irréguliers entraient chaque jour dans le pays. En 2014, 10 000 mineurs non accompagnés avaient été recensés et reconduits dans leur pays d’origine, fait enfin savoir le CRA.

Le Soir d’Algérie, 31 mars 2021

Etiquettes : Algérie, migration, pandémie,

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