Sijoumi (Tunisie) (AFP)
Des centaines de flamants roses pataugent devant les déchets dans les eaux troubles de la vaste lagune de Sijoumi, une zone humide critique au cœur de la capitale tunisienne menacée par une expansion excessive.
Autrefois à l’écart de la ville, la moitié des Tunisiens vivent aujourd’hui sur les rives de la « sebkha », ou vasière, où plus de 100 000 oiseaux d’une centaine d’espèces différentes passent l’hiver.
Les voisins humains des oiseaux se plaignent de la pollution, des inondations récurrentes et des essaims de moustiques de la lagune, l’une des zones humides les plus importantes d’Afrique du Nord qui est devenue un dépotoir pendant des décennies d’urbanisation.
Un projet dirigé par le gouvernement qui comprend des bâtiments, des remblais en béton et des fouilles dans la vasière vise à contrôler la pollution et à régénérer l’habitat, mais certains groupes environnementaux se sont opposés à cette initiative.
Hamdi, un commerçant de 31 ans du quartier ouvrier de Sidi Hassine, espère que le projet embellira la zone et résoudra le « problème des déchets plastiques et des inondations dues aux eaux de pluie ».
La lagune joue un rôle essentiel non seulement pour absorber le trop-plein d’eau lors des fortes pluies, mais aussi comme lieu de reproduction pour les volées d’oiseaux migrateurs qui s’y rassemblent à la fin de l’hiver.
Mais alors que les populations rurales affluaient à Tunis, la construction non autorisée a prospéré dans les anciennes banlieues agricoles de la ville et la lagune est devenue un dépotoir de déchets, principalement de construction.
– Un endroit à éviter –
On estime que plus de 1,8 million de mètres cubes de déchets solides ont été éliminés dans la lagune depuis 2009, selon une étude gouvernementale.
En conséquence, la lagune de 2 600 hectares n’a pas pu absorber autant d’eau de pluie pendant les averses, ce qui a entraîné des inondations qui obligent souvent les entreprises et les écoles à fermer.
Depuis 2015, les autorités tunisiennes étudient un projet d’assainissement de la lagune et de protection de la zone contre les inondations, tout en développant son potentiel économique grâce à de nouvelles constructions.
Environ 48 pour cent des Tunisiens vivent autour de la lagune, selon le dernier recensement de 2014, et les quartiers environnants sont particulièrement densément peuplés, avec quelque 2 800 habitants au kilomètre carré.
Le nord du lagon est bordé de bâtiments en brique et en béton qui ont été érigés sans autorisation.
Une partie des rives sud est restée intacte et sert de refuge aux canards, flamants roses et goélands.
Mais la plupart des gens évitent même les parties sauvages du lagon, avec ses oliviers et ses coquelicots au bord de l’eau, car la zone est considérée comme sale et un endroit à éviter.
Les eaux usées industrielles et domestiques jaillissent dans la lagune et l’épave battue de voitures et de camions s’entasse sur les berges.
– ‘Poumon de la capitale’ –
Compte tenu de sa diversité, la lagune a été ajoutée à la Liste Ramsar des zones humides d’importance internationale en 2007, et elle est considérée comme la quatrième zone humide la plus importante d’Afrique du Nord.
Nadia Gouider, directrice du projet gouvernemental du lac Sijoumi, a déclaré que le développement doit être durable et viser à « sauver et soutenir le poumon de la capitale ».
Mais les militants écologistes s’inquiètent de l’impact potentiel du projet, dont le coût pourrait atteindre 130 millions d’euros (plus de 153 millions de dollars).
L’aménagement de deux quartiers d’affaires, Lac-1 et Lac-2, dans une grande zone marécageuse à proximité au début des années 1990 a déjà fait fuir la plupart des flamants roses vers Sijoumi et d’autres milieux humides.
Imen Rais, un expert du groupe environnemental WWF, a mis en garde contre l’impact négatif du déclin des zones humides en Tunisie, soulignant son importance pour minimiser les « phénomènes liés au changement climatique comme les inondations, la sécheresse et les tempêtes ».
Hichem Azafzaf, coordinateur scientifique d’une association de protection des oiseaux, a déclaré: « Nous ne sommes pas contre le projet de développement en général ».
Mais, a-t-il ajouté, en scannant le lagon depuis un observatoire en bois à l’aide de jumelles, « nous sommes contre la version actuelle », qui comprend l’approfondissement du lagon.
« De nombreux oiseaux seront privés de nourriture parce qu’ils ne peuvent pas plonger profondément. »
Gouider a déclaré que cela ne devrait pas être un problème car « seulement un tiers de la surface du lac sera approfondi d’environ un mètre (trois pieds), ce qui laissera de la place pour les oiseaux ».
En tout cas, a-t-elle ajouté, entre remblayage, déversement illégal et construction non réglementée, « si nous ne faisons rien, la lagune disparaîtra ».
France24, 30 mars 2021
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