Débat sur la cultureDes incidents de maltraitance et d’inceste ont secoué la France ces derniers mois, suscitant de nombreux débats et de nouvelles propositions législatives. Et ce, dans un pays qui aime à se considérer comme sexuellement libéral, mais où l’inceste est un sujet tabou. Sinziana Ravini écrit depuis Paris à propos de l’appel « MeTooInceste ».
C’est un article d’opinion. Le but du texte est d’influencer et les opinions sont celles de l’auteur.
Sinziana Ravini
Cela fait trois ans que les femmes du mouvement #MeToo ont révolutionné le paysage médiatique et culturel occidental avec leurs récits de harcèlement et d’abus sexuels. La France est actuellement secouée par un nouveau soulèvement, cette fois de victimes d’inceste qui prennent la parole, sous la bannière #MeTooInceste.
Ceci intervient un an après la sortie de « The Consent » de Vanessa Springora. Le livre, qui raconte comment elle a été entraînée dans une relation avec l’auteur d’âge moyen Gabriel Matzneff à l’âge de 14 ans, a suscité un vaste débat et un rejet radical des abus sexuels sur mineurs en public.
Cette fois, l’étincelle du soulèvement est le livre « La familia grande » écrit par l’avocate française Camille Kouchner, qui raconte une agression sexuelle dont a été victime son frère jumeau pendant son adolescence. L’auteur n’était autre que leur beau-père, le célèbre politologue et commentateur politique à la télévision Olivier Duhamel.
Mais contrairement à l’épisode Matzneff, où certaines voix s’élevaient encore pour soutenir l’auteur ou l' »époque » dans laquelle il travaillait, personne ne défend aujourd’hui Olivier Duhamel, qui a été immédiatement licencié de la chaîne de télévision pour laquelle il travaillait. Le hashtag #MeTooInceste a rapidement été inventé et des milliers de personnes ont commencé à partager leurs propres histoires choquantes sur les médias sociaux.
Curieusement, en France, il n’y a pas eu de véritable loi contre l’inceste, seulement contre les abus sexuels sur les enfants. Mais cela est en train de changer. Dès ce printemps, une nouvelle loi contre l’inceste entrera en vigueur, ce qui permettra aux victimes d’obtenir plus facilement réparation.
Une chose est sûre, le livre de Kouchner a fait sauter le couvercle d’un énorme problème social en France. Un pays où pas moins d’une personne sur dix a été victime d’abus sexuels au sein de sa famille, ce qui est un chiffre gigantesque par rapport aux autres pays. Des chiffres qui ont été occultés jusqu’à présent. Comment se fait-il que la France ait fermé les yeux sur l’inceste et les abus sexuels sur les enfants pendant si longtemps ? Probablement parce qu’il n’était pas vraiment considéré comme un abus dans les années 1970, lorsque les intellectuels français tentaient de dissoudre la morale bourgeoise en adoptant une approche libre de toutes sortes de tabous.
En 1977 encore, plusieurs des intellectuels les plus en vue de l’époque – Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Roland Barthes, Gilles Deleuze, Louis Aragon, Louis Althusser, Michel Foucault, Jacques Derrida et, plus tard, la très respectée pédopsychologue Françoise Dolto – ont signé une lettre ouverte demandant l’abolition de la loi interdisant les relations sexuelles entre adultes et mineurs.
Selon la psychiatre française Muriel Salmona, s’exprimant lors d’une récente émission de radio pour France Culture, la France traverse un moment « historique » : « La lutte contre la propagande pédophile fait s’effondrer tout le système. Aujourd’hui, les gens ont compris qu’il n’est plus acceptable de dire que l’on peut être consentant quand on est enfant. »
L’inceste et le silence vont de pair. Il faut généralement 10, 20, parfois 30 ou 40 ans pour qu’une victime trouve le courage de parler. La honte est centrale et les émotions compliquées vont souvent de pair. Mais le problème n’est pas vraiment que les victimes françaises d’inceste n’ont jamais parlé auparavant, mais qu’elles n’ont pas été écoutées. Lorsqu’ils l’ont fait, et que cela a été remarqué, le tumulte a souvent porté sur la confession d’une personne célèbre, comme l’auteur Christine Angot, qui a publié en 1999 le roman acclamé « L’inceste », qui a été accueilli avec dérision. Par exemple, un journaliste a écrit, il y a quelques années, un commentaire cinglant selon lequel « quelqu’un devrait créer une association pour les crimes contre Christine Angot ».
Comme l’a soutenu Freud dans son livre historique « Totem et Tabou », l’interdiction de l’inceste est le fondement même de notre civilisation. Dans ce sens, l’inceste devient non seulement un crime contre un sujet, mais contre toute l’humanité à un niveau symbolique. L’inceste est tabou, nous le savons tous, mais le paradoxe est que, jusqu’à présent, il était tabou de parler de la violation de ce tabou, en France et dans le monde.
C’est comme si la société redécouvrait sans cesse ce sujet sensible. Selon SOS Inceste, les victimes sont à 80% des femmes et à 20% des hommes. Selon l’Organisation mondiale de la santé, 96 % des agressions incestueuses sont commises par des hommes, ce qui démontre le lien intime entre l’inceste et les structures du patriarcat.
Que peut-on faire pour prévenir l’inceste ? Plusieurs organisations françaises existent depuis longtemps, mais leur message n’a pas été entendu jusqu’à présent. C’est certainement grâce à #Metoo que les choses ont changé, et on ne peut espérer qu’une chose : que la conversation sur l’inceste cesse une fois pour toutes d’être un tabou.
Mais la question demeure : l’inceste lui-même prendra-t-il fin un jour ? Probablement pas. Car l’inceste est à la fois une expression de pouvoir et une perversion, une façon monstrueuse de contourner à la fois les lois et les normes, la rime et la raison. Les lois ont toujours donné naissance à des transgressions, et ce n’est pas parce que les lois sont durcies que ces transgressions disparaissent. Il suffit de regarder l’impact des dix commandements sur la société pour le comprendre.
Mais une chose a radicalement changé depuis la révolution #metoo. Si le silence s’est d’abord imposé du côté des victimes, il s’est maintenant déplacé du côté des auteurs. Duhamel s’est tu. D’autres auteurs présumés d’inceste se taisent également. Ce n’est pas souhaitable à long terme, car s’il y a une chose dont nous avons tous besoin, c’est de comprendre ce qui se passe dans l’esprit d’un auteur d’inceste.
Le dernier tabou – oser écouter l’histoire de l’auteur de l’inceste – demeure donc.
Gotenborg Posten, 21 mars 2021
Tags : France, inceste, péedophilie, pédocriminalité, #Metoo, #MetooInceste, Olivier Duhamel, Camille Kouchner,