Les États Unis au Mali, quels enjeux géopolitiques ?

Par Ezechiel KITA KAMDAR

Au Sahel, la présence des Etats-Unis se manifeste désormais plus publiquement après de longues années de discrétion. La Libye, surtout la Somalie ( ou ils y sont présents depuis 1997) sont les deux pays du continent africain où les soldats américains seraient susceptibles de mener des opérations qui dépassent le cadre de la formation et de l’appui.

La présence militaire des États-Unis en Afrique est aussi discrète que tentaculaire. Le pays a établi son unique base permanente à Djibouti, « hub » de ses activités militaires dans la Corne de l’Afrique où sont stationnés environ 4 000 soldats.
Des documents déclassifiés, émanant du Commandement des opérations spéciales américaines dévoilés en 2016, seulement 1 % des soldats rattachés à ce Commandement, déployés à l’étranger, se trouvaient en Afrique. Ainsi est créé le Commandement des États-Unis pour l’Afrique (en anglais United States Africa Command ou AFRICOM) est un commandement unifié pour l’Afrique, mis en place par le Département de la Défense des États-Unis en 2007 et entré en fonction en 2008. Il coordonne toutes les activités militaires et sécuritaires des États-Unis sur ce continent.

En 2010, ce nombre est passé à 10 %, bondissant à 17 % en 2016. En volume, cela représente 1 700 militaires disséminés dans une vingtaine de pays où ils mènent une centaine de missions concomitantes. Cette donnée place l’Afrique juste après le Moyen-Orient en matière d’opérations spéciales menées par les États-Unis selon le même document déclassifié.

Par ailleurs pour le cas précis du Mali et du Sahel, en octobre 2017, la mort de trois soldats américains tués dans une embuscade au Niger a révélé au grand jour la présence de forces armées américaines dans la région, c’est la première fois qu’une présence opérationnelle de soldats américains est reconnue dans la zone sahélo-saharienne.

Et pourtant, les Américains y étaient présents avant toute autre puissance notamment la France ( l’Operation serval en janvier 2013), Les activités américaines y sont nombreuses depuis le début des années 2000 par le biais de l’initiative Pan Sahel Initiative (PSI) de lutte contre le terrorisme lancée en 2002, renommée en 2004 Trans-Sahara Counter Terrorism Initiative (TSCTI).

Depuis lors, des programmes de formations, d’entraînement et d’équipement y sont effectués . Et, chaque année, des opérations conjointes d’exercice militaire en l’occurrence l’opération la plus médiatisée Flintlock qui s’est d’ailleurs déroulée à plusieurs reprises au Niger où ils ont une base militaire de drones de surveillance et de frappes. Le Mali, à maintes reprises, admis à participer à l’exercice Flintlock, la dernière en date de 2019 sur plusieurs sites en Mauritanie et au Burkina Faso.

Les actions des Etats-Unis sur le continent s’accompagnent généralement de programmes d’entraînement des forces locales, (« train and equip », selon la terminologie militaire américaine) l’unité antiterroriste malienne nouvellement créée (les Forces spéciales anti-terroristes, ou FORSAT) a bénéficié plusieurs formations. Malgré les réticences de l’administration Trump sur le Sahel, cette dernière a créé en 2018, un poste d’envoyé spécial au Sahel face à la recrudescence des attaques terroristes et des groupuscules extrémistes.

L’occasion de rappeler que depuis l’indépendance du Mali, en dépit de son rapprochement idéologique et économique aux soviétiques, a toujours attisé l’intérêt stratégique américain, ainsi les États-Unis organisent des stages de formation pour les parachutistes maliens dès avril 1966 sans toutefois concurrencer la mainmise soviétique. L’assistance technique se résume en 1968 à huit experts en poste au Mali. Et plus loin, une affaire d’espionnage a terni les relations américano-maliennes en février 1966. Les services de renseignements américains via un sous-officier de l’armée malienne récoltaient des informations et des documents de l’État-major. Aussitôt la trahison découverte, le sous-officier fut immédiatement jugé et jeté en prison. S’il ne manque pas de refroidir les relations entre les deux pays, cet incident diplomatique atteste l’intérêt des États-Unis pour les affaires intérieures maliennes.

Depuis le début de la crise malienne, les forces américaines ont travaillé étroitement avec les Français au Mali, les troupes françaises bénéficient sur le champ de bataille du soutien de drones américains Predators et les services de renseignements américains. Les Etats-Unis ont déployé plusieurs drones au Niger, sur une base de Niamey, d’où ils décolleront pour effectuer des vols de reconnaissance sur le Nord malien. Après avoir suspendu son aide militaire au Mali lors du coup d’État d’août 2020, Washington redémarre effectivement une collaboration plus solide avec les autorités de la transition, et le contexte semble bon du côté des État unis avec l’arrivée de l’administration Biden plus favorable à un engagement accru au Mali et au Sahel.

Selon plusieurs spécialistes, cette augmentation de présence américaine dans la région peut être motivée par trois grands enjeux géostratégiques, premièrement la sempiternelle lutte contre la terreur ( le terrorisme). Deuxièmement la géopolitique du pétrole, pour sécuriser les approvisionnements américains par le golfe de Guinée afin d’amoindrir la dépendance aux réserves du Moyen-Orient et enfin la compétition économique, visant à contrer par un pré-positionnement militaire des États-Unis la montée en puissance de la Chine sur le continent africain.

Le commandant des opérations spéciales américaines, Donald Bolduc dit ceci en 2016 dans le document déclassifié “Les défis auxquels est confrontée l’Afrique pourraient créer une menace qui surpasserait celle à laquelle les États-Unis font actuellement face à cause des conflits en Afghanistan, en Irak, et en Syrie ».

Guindo Issiaka, Correspondant Tachad au Mali

Tachad.com, 20 mars 2021

Tags : Etats-Unis, USA, AFRICOM, Sahel, Mali,



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