Le CAIRE (AP) – Un rapport de l’ONU a dressé un tableau sombre de la Libye ravagée par le conflit, accusant plusieurs gouvernements étrangers d’avoir transformé ce pays riche en pétrole en une scène où se jouent des rivalités et d’ignorer les sanctions de l’ONU et un embargo sur les armes qui dure depuis dix ans.
Le rapport de 548 pages des experts de l’ONU intervient alors qu’un gouvernement intérimaire a pris le pouvoir en Libye cette semaine, dans le but de conduire le pays d’Afrique du Nord vers des élections dans le courant de l’année.
Selon le rapport, l’embargo sur les armes imposé par l’ONU il y a dix ans est resté « totalement inefficace », les États membres de l’ONU soutenant les parties rivales en Libye ayant fait preuve d’un « mépris généralisé, flagrant et total des mesures de sanctions ».
« Leur contrôle de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement complique la détection, la perturbation ou l’interdiction », ont déclaré les experts.
Le rapport, publié en début de semaine, couvre la période allant d’octobre 2019 à janvier 2021, période marquée par de violents combats entre les factions libyennes pour le contrôle de la capitale, Tripoli.
Il identifie la Turquie et le Qatar comme les bailleurs de fonds des forces loyales à l’administration soutenue par l’ONU à Tripoli, à l’ouest, tandis que les Émirats arabes unis, la Russie et l’Égypte ont soutenu Khalifa Hifter, le commandant militaire qui contrôle les parties est et sud de la Libye.
Le rapport explique également comment ces pays ont alimenté le conflit en Libye, qui a sombré dans le chaos en 2011, lorsqu’une coalition soutenue par l’OTAN a aidé les rebelles à renverser l’autocrate de longue date Moammar Kadhafi, qui a ensuite été tué.
Elle a documenté des dizaines de livraisons d’armes, y compris des drones, des missiles sol-air, des pièces d’artillerie et des véhicules blindés, ainsi que le déploiement de mercenaires – dont des Russes, des Syriens, des Soudanais et des Tchadiens – amenés en Libye pour soutenir ses belligérants, en particulier lors de l’offensive de Hifter sur Tripoli.
Les forces d’Hifter ont lancé une offensive en avril 2019 pour tenter de prendre Tripoli au gouvernement soutenu par l’ONU. La campagne s’est effondrée à la mi-2020 et ses forces ont été contraintes de se replier sur la ville stratégique de Syrte. Elles ont été repoussées en grande partie en raison du lourd soutien militaire turc à leurs rivaux.
Les experts de l’ONU ont également détaillé comment l’entrepreneur américain en sécurité Erik Prince, un proche allié de l’ancien président Donald Trump, a violé l’embargo sur les armes de l’ONU, ainsi que trois sociétés basées aux Émirats arabes unis et leurs principaux dirigeants, pendant la campagne de Hifter sur Tripoli.
Ils ont décrit une opération de sécurité privée appelée « Projet Opus », conçue pour fournir des équipements militaires à Hifter et pour « kidnapper ou achever des individus considérés comme des cibles de grande valeur. »
Les experts ont également documenté le déploiement de quelque 700 soldats des forces paramilitaires soudanaises dans la ville centrale libyenne de Jufra, qui abrite une base aérienne intérieure contrôlée par les combattants de Hifter. Les forces soudanaises, connues pour leur répression brutale dans la région du Darfour, ont séjourné en Libye pendant environ deux mois, mais n’ont pas pris part aux combats, selon les experts.
Le rapport montre comment des compagnies aériennes, des charters et des navires marchands ont été utilisés par des gouvernements étrangers pour transférer des mercenaires et des armes sophistiquées vers le conflit, souvent en déguisant leurs missions.
Il détaille également toute une série d’activités menées à travers la Libye qui menaçaient la paix, la stabilité ou la sécurité du pays. Les groupes militants sont restés actifs dans le pays, « bien que leurs activités aient diminué », selon le rapport.
Les autorités de l’est de la Libye ont poursuivi leurs efforts pour exporter illégalement du pétrole brut et importer du carburant d’aviation, bien qu’en quantités moindres en raison de la pandémie, ont indiqué les experts de l’ONU, tandis que dans l’ouest du pays, l’infrastructure des réseaux de contrebandiers « reste intacte et leur volonté de procéder à des exportations illicites ne faiblit pas ».
« Il faut s’attendre à une reprise de leurs activités illicites, une fois que la demande mondiale de combustible de soute aura repris », indique le rapport.
Le rapport aborde également les allégations de corruption qui ont entaché le processus de sélection du nouveau gouvernement de transition sous l’égide des Nations unies. Au moins trois participants au forum politique organisé début novembre se sont vu offrir des pots-de-vin pour voter en faveur d’un candidat au poste de premier ministre dont le nom n’a pas été révélé, indique le rapport, sans nommer les membres du forum.
Elle a renvoyé les membres du Conseil de sécurité des Nations unies à des détails supplémentaires sur ces allégations dans une annexe confidentielle du rapport.
Par SAMY MAGDY
Egypt Independent, 19 mars 2021
Tags : Libye, embargo sur les armes, ONU, rapport,
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