Le 24 juillet 2020 paraissait le premier tome de “Le temps des tempêtes”. Nicolas Sarkozy ignorait, ce jour-là, s’il ferait face, début mars 2021, à une tempête judiciaire qui le condamnerait à 3 ans d’emprisonnement dont un an ferme pour corruption et trafic d’influence dans l’affaire dite des écoutes.
Certains, comme le président du parti ‘Les Républicains’, ont jugé la peine “sévère et disproportionnée”. Pour comprendre pourquoi la droite, contre tout bon sens, soutient Sarkozy, il suffit de lire la réaction de ‘Süddeutsche Zeitung’. Pour le quotidien allemand basé à Munich, “l’affaire Sarkozy-Azibert est la preuve que les élites françaises ont pris l’habitude de vivre hors la loi, coupées du monde.”
D’autres, les plus nombreux, se sont réjouis du verdict car, pour eux, la loi est une pour tous et il est bien loin l’époque où les Parlements de l’Ancien Régime rendaient la justice au nom du roi.
Que le jugement prononcé le 1er mars 2021 déplaise ou non, une chose est certaine : l’ex président français, qui affirmait, le 26 juillet 2007 à Dakar, que l’homme africain n’était pas assez entré dans l’Histoire (une mauvaise compréhension par Henri Guaino de la phrase d’Aimé Césaire :“Laissez entrer les peuples noirs sur la grande scène de l’Histoire”) dans un discours ne reposant que sur des clichés erronés et éculés, vient d’y entrer de la pire manière qui soit car il est le premier président de la Ve République à qui une telle peine est infligée.
Un pays sérieux et vraiment démocratique aurait depuis longtemps enfermé Sarkozy, n’aurait jamais accepté qu’il se rende à Abidjan pour assister à l’investiture de quelqu’un qui a violé la Constitution ivoirienne en briguant un 3e mandat.
Mais, comme le révélait l’historien Emmanuel Todd le 20 janvier 2017, “la France n’est plus une démocratie, on fait tous semblant, on est dans un monde d’illusions, on est dans une comédie, on fait du théâtre, on met en cause la démocratie américaine qui renaît et on fait comme si, nous, on était des démocrates, on est vraiment de gros rigolos quand on met Trump en question.”
Je doute fort que Sarkozy puisse être mis sous les verrous. Pourquoi ? D’abord, parce que la France a profité et continue de profiter de ce qu’il fit en Côte d’Ivoire, le 11 avril 2011 : faire tuer des milliers d’Ivoiriens par la force française Licorne pour remplacer l’insoumis Laurent Gbagbo par une personne qui offrirait facilement les richesses du pays à l’ancienne puissance colonisatrice.
Ensuite, parce que le tribunal a plaidé pour une détention à domicile sous surveillance électronique. Ce tribunal devrait pourtant se souvenir qu’en novembre 2015 le même Sarkozy s’était insurgé contre les mesures d’aménagement de peine, qu’en mars 2012 il avait assimilé la non-exécution des peines à une impunité et qu’en novembre 2014 il avait soutenu qu’une personne “qui revient pour la 17e fois devant le tribunal devait être punie pour l’ensemble de son œuvre”.
Bref, le successeur de Jacques Chirac sera traité moins sévèrement que les Gilets jaunes coupables d’avoir manifesté pacifiquement pour l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail, ce qui prouve une fois de plus que, “selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir” (Jean de La Fontaine).
Un individu honnête et conséquent avec lui-même aurait exigé que sa peine ne soit pas réduite. Hélas, la cohérence et l’honnêteté n’ont jamais été le fort de Sarkozy. À défaut de le voir derrière les barreaux, on devrait savoir gré aux juges d’avoir humilié ce “délinquant chevronné”, tout comme le destin humilia, il y a quelques années, les Goodluck Jonathan, Blaise Compaoré, Toumani Touré, Abdoulaye Wade, Raïla Odinga, François Fillon, Alain Juppé, François Hollande, Manuel Valls et d’autres aventuriers en mettant subitement fin à leur carrière politique.
Mais la plus grande humiliation, pour Sarkozy, restera son assignation à résidence avec un bracelet électronique au moment où Laurent Gbagbo se prépare à retrouver la terre de ses ancêtres. Une humiliation que n’a pas réussi à effacer son passage sur TF1, le mercredi 3 mars 2021.
Sur la chaîne de télévision majoritairement détenue par le groupe industriel Bouygues, Sarkozy se victimisa, accusa la justice de harcèlement avant d’assurer qu’il ne baisserait pas la tête, qu’il se battrait jusqu’au bout pour le triomphe de la vérité et qu’il était blanc comme neige.
Il avait fait de même le 22 mars 2018 avec la même hargne mais son plaidoyer n’avait convaincu personne. Jérôme Cahuzac s’était défendu, lui aussi, d’avoir trahi la confiance des Français jusqu’à ce que le site ‘Mediapart’ le confonde avec des preuves et que l’ancien ministre du Budget de F. Hollande reconnaisse qu’il avait un compte caché en Suisse.
Que Sarkozy mente avec le même aplomb que l’imposteur qu’il installa à la tête de notre pays, qu’il ait de puissants amis comme Bouygues qui complaisamment le laisse fanfaronner sur un plateau de télévision, qu’il milite ouvertement pour une réduction de la population africaine. Qu’il gesticule ou qu’il profère des menaces contre les juges qui l’ont condamné à un an ferme d’emprisonnement, le 1er mars 2021, tout cela n’a aucun intérêt pour les Africains qu’il insulta et méprisa proprement dans la capitale sénégalaise dans un discours où l’ignorance le disputait à l’arrogance.
La seule chose qui devrait nous intéresser, c’est la signification de la décision prise par la 32e chambre du Tribunal correctionnel de Paris. À mon avis, cette décision signifie, premièrement, que Sarkozy n’a pas dit la vérité aux Français en accusant les juges d’acharnement contre sa personne.
Elle veut dire, en second lieu, qu’il pourrait ne pas participer à la présidentielle de 2022 s’il en avait l’intention. Elle prouve enfin qu’un ancien président peut être jugé et condamné. Ici, je voudrais faire deux remarques.
La première, c’est de dire aux Ivoiriens qu’ils devraient emboîter le pas à la justice française en portant plainte, là où cela est possible, contre Sarkozy pour destruction de biens et de vies humaines en avril 2011. La seconde remarque concerne les peuples africains.
La condamnation de Sarkozy est une perche que leur tend l’Histoire. Saisir cette perche, c’est demander des comptes aux anciens chefs d’État coupables d’enrichissement illicite et de crimes contre l’humanité. Qu’ils vivent dans leur pays ou qu’ils se cachent en Occident, les dictateurs et criminels doivent faire face à la justice.
Sarkozy, qui traîne de nombreuses casseroles, semble n’en avoir pas fini avec celle de son pays puisqu’il doit comparaître, le 17 mars 2021, dans le procès de l’affaire “Bygmalion” portant sur les frais de sa campagne présidentielle de 2012.
Celui qui se prenait pour un demi-dieu, qui affichait morgue et mépris, qui faisait montre de condescendance et de suffisance, qui était fier d’avoir fait assassiner le colonel Kadhafi et enlevé Laurent Gbagbo du pouvoir pour y installer son ami Ouattara, n’avait pas compris cette vérité simple mais éternelle : on ne peut être fort éternellement car, pour tout mortel, arrive tôt ou tard le temps des tempêtes.
Une contribution de Jean-Claude DJEREKE
Ivoirebusiness.net, 17 mars 2021
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