DÉCLASSIFICATION DE CERTAINES ARCHIVES COLONIALES : Quand Macron fait le jeu de l’extrême-droite
La France vit une période charnière de son existence. Marqué par une gestion de la pandémie au coût économique très fort, par l’exaspération des tensions sociales post-crise des gilets jaunes et par l’émergence de nouvelles formes de violences nées des frustrations de larges couches de la société qui exigent plus que l’intégration, le premier mandat du président Emmanuel Macron est, pour les français, à mettre aux oubliettes.
L’actuel pensionnaire de l’Elysée qui est au plus bas dans les sondages et qui a bâti son autorité par un parti préfabriqué né de l’implosion de ses soutiens du centre et de la droite, fait face à une crise qui risque de lui barrer la route de la réélection en 2022. Actuellement, et pour contrer l’avancée de la présidente du RN, Marine Le Pen et de sa nièce, il tente de brasser large en manipulant le dossier complexe de la mémoire. Et là, également, il s’est planté car il a, selon de nombreux analystes, contourné une loi votée par l’assemblée en 2008 et qui traite de la déclassification de certains dossiers liés à la mémoire. L’universitaire français, Olivier Le Cour Grandmaison a relevé le caractère anticonstitutionnel de la décision de Macron d’ouvrir l’accès à certaines archives. « Le communiqué de presse de l’Elysée est une opération politicienne et de communication destinée à faire croire que le Président tient ses promesses et, sans doute aussi, à désamorcer une mobilisation remarquable par son ampleur et sa durée dans un contexte où la popularité du chef de l’État dans l’enseignement supérieur et la recherche est au plus bas ». Il faut continuer à interpeller le Président, son gouvernement et la majorité qui les soutient afin d’exiger l’application de la loi du 15 juillet 2008, celle-là même qui est encore violée par les propositions élyséennes ».
Le débat sur la mémoire est aujourd’hui un terrain exploité par toutes les forces politiques françaises et chacune y va de son approche pour rappeler au président Macron que sa manœuvre pourrait raviver des rancœurs et aller à l’encontre de la réconciliation qu’il a agitée pour annoncer la déclassification de certaines archives. Pour l’extrême-droite, toutes sensibilités confondues à l’instar du Mouvement pour la France (MPF) de Philippe de Villiers, Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan, les Patriotes de Florian Philippot, le SIEL de Karim Ouchikh ou Les amoureux de la France de Julien Rochedy, Macron est en train de trahir la mémoire de ceux qui sont morts pour la France durant la guerre d’Algérie. Ils estiment que le gouvernement ne devrait pas apporter de l’eau au moulin de ceux qui veulent pousser la France à reconnaître les crimes de sa guerre coloniale. Ils estiment que l’Algérie devrait reconnaître, elle aussi, les crimes commis par les combattants du FLN. Une aberration quand on sait que le rapport de force durant cette époque n’était pas équilibré et que les actes de guerre commis par l’ALN sont des faits de résistance à une force coloniale. D’ailleurs, ces partisans de la «France de papa » ont battu le rappel de leurs partisans pour envahir les plateaux des débats télévisés et présenter l’ouverture des archives, annoncée par Macron, comme une tentative de trahison. La réconciliation franco-française souhaitée par Macron et ses soutiens semble déjà vouée à une mort certaine tant sa manœuvre semble grossière, puisqu’au lieu du rassemblement et de la réconciliation, elle a réveillé les vieux démons. Le Rassemblement national qui s’est saisi de l’occasion pour raviver les frustrations des partisans de l’Algérie française, des Harkis, et de tous les aigris qui n’arrivent pas à comprendre qu’un jour ou l’autre la France devra reconnaître ses crimes coloniaux, joue en réalité une carte maîtresse qui permettra à sa présidente d’atteindre le deuxième tour des élections de 2022.
Pour le directeur de l’Observatoire des armements, Patrice Bouveret, la déclaration du président Macron doit être traduite sur le terrain par des faits qui ne sauraient être possibles sans une modification législative qui doit nécessairement passer par un débat des parlementaires qu’il a appelés à « s’emparer de la question et supprimer l’article bloquant l’accès aux archives sur le nucléaire ». L’historien Gilles Manceron, pour sa part, estime que le libre accès aux archives liées à la colonisation française en Algérie risque d’être contrarié par la mesure prise par le président français ». Il n’a pas manqué de qualifier la démarche d’inquiétante. La réconciliation franco-française et le travail de mémoire tel que préconisé par Benjamin Stora dans son rapport remis à Emmanuel Macron, semble avoir réveillé les vieux démons de tous bords dans la société française. S’agit-il d’une manœuvre gauche du président français ou d’un coup calculé en prévision des élections pour le prochain quinquennat ? Là est la question qui semble agiter les salons parisiens qui sont, à l’heure actuelle, préoccupée par les solutions à apporter à l’impact de la pandémie sur l’économie et la société française.
Slimane B.
Le Courrier d’Algérie, 16 mars 2021
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