Source : The Africa Report, 8 mars 2021
La question du Sahara occidental a empoisonné plus que les relations maroco-algériennes. Le magazine «Jeune Afrique» continue d’être interdit en Algérie, où il est également devenu une victime des tensions entre les deux pays.
Ceci est la cinquième partie d’une série en cinq parties .
En 1964, Mohamed Boudiaf, le plus «marocain» des politiciens algériens, a fait une déclaration prémonitoire: «L’existence d’une atmosphère chargée d’émotion dans laquelle les dirigeants et même les masses, qui restent influencés par un sentiment d’identité régionale et de nationalisme, échangent des insultes, les uns avec les autres crée un fossé entre les gens qui sera difficile à combler. »
Plus de 50 ans plus tard, à notre grand regret, ses paroles continuent d’être confirmées chaque jour qui passe. Le conflit que les ennemis frères de l’Afrique du Nord entretiennent depuis des décennies est de notoriété publique et a saigné dans de nombreux autres domaines, de la mal nommée Union du Maghreb arabe, qui n’a pas tenu de réunion depuis plus d’une décennie, à l’Union africaine, scènario de discussions animées entre Alger et Rabat. Le Maroc n’a réintégré l’institution qu’en 2017, après 33 ans d’exil volontaire.
Cette «paix très froide», comme la décrivent les diplomates de la région, dont l’expression la plus absurde est la fermeture d’une frontière de 1 600 km depuis 1994, est toxique pour tout le continent. Mais cela paralyse le Maghreb avant tout.
Aveuglés par une aversion pavlovienne l’un envers l’autre, l’élite politique, commerciale et intellectuelle de chaque pays insiste pour perpétuer un conflit anachronique. Pire encore, une course folle aux armements se déroule depuis le début de ce siècle, l’Algérie se tournant vers la Russie pour ses biens militaires, tandis que les puissances occidentales approvisionnent le Maroc. Les sommes massives que ces ennemis investissent dans leurs forces armées pourraient certainement être mieux dépensées ailleurs.
Jeune Afrique (JA) a souvent été victime de cette animosité profondément enracinée, comme celle entre chats et chiens, cet enchevêtrement inextricable de bile et d’amertume. Surtout en ce qui concerne l’Algérie, car les dirigeants du pays ont clairement indiqué que nous devions choisir un camp. Nous avons donc été confrontés à un nœud gordien, qui a provoqué de nombreuses crises. Interdit pendant deux décennies en Algérie, de 1978 à 1998, JA a de nouveau été attaqué par les autorités du pays il y a un peu plus de deux ans.
Fin mars 2018, notre distributeur algérien a été prévenu par le ministère de la communication – si on peut l’appeler ainsi! – qu’il devrait cesser d’importer JA avec d’autres titres publiés par Jeune Afrique Media Group (The Africa Report) ainsi que ceux sur son orbite, comme La Revue, publiée par notre président-directeur général, Béchir Ben Yahmed, et Afrique Magazine, propriété de Zyad Limam.
Seuls une centaine d’exemplaires de JA ont été autorisés à circuler en Algérie, mais ils étaient destinés aux membres du gouvernement, au bureau du président et à diverses institutions qui ne pouvaient apparemment pas être privés de leur lecture hebdomadaire du magazine.
Un diktat à l’envers
Avec un peu, et même beaucoup, de fouilles, car il est difficile d’obtenir le moins d’informations hors d’Algérie, nous avons pu identifier la raison de ce diktat en arrière. En somme, JA était perçue comme un éclairage trop négatif sur l’Algérie. Et, bien sûr, d’aller trop doucement sur son voisin marocain. La goutte d’eau a été un entretien avec le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, publié dans JA à la mi-mai 2018.
Certes, Bourita n’a pas mâché ses mots sur le sujet d’Alger. Mais est-ce que cela devrait surprendre compte tenu des tensions accrues qui dominent actuellement les relations entre les frères ennemis du Maghreb?
Ce que le gouvernement algérien omet de dire, c’est qu’outre le fait que nous produisons du journalisme avec le plus d’objectivité possible, nous nous efforçons depuis des années d’essayer de donner une voix aux dirigeants du pays dans nos pages et de leur permettre d’exprimer leurs points de vue.
Nous avons fait d’innombrables demandes pour interroger différents Premiers ministres, ministres des Affaires étrangères, des responsables du parti Front de Libération Nationale et des dirigeants d’entreprises publiques. Tous sont restés sans réponse. Nous n’avons jamais pu en tirer le moindre enregistrement audio ou vidéo.
Il n’y a pas si longtemps, malgré les tensions, les préjugés, les soupçons et les accès de paranoïa, certains canaux de communication étaient encore ouverts. Je peux en témoigner moi-même, après avoir passé de longues heures à discuter de la situation avec Larbi Belkheir, Ali Benflis, Ahmed Ouyahia, Abdelmalek Sellal, Abdelkader Messahel, Djamel Ould Abbes, Hachemi Djiar et d’autres encore.
Ces conversations étaient parfois un peu passionnées, mais au moins elles ont eu lieu. Souvent, JA a été critiquée, plus ou moins sournoisement, pour son prétendu parti pris pro-marocain en ce qui concerne la question du Sahara occidental.
En 2018, alors que l’ère Abdelaziz Bouteflika touchait à sa fin, la présidence, logée au palais El Mouradia, a de nouveau puni JA. Quelques mois après l’élection du président Abdelmadjid Tebboune, lorsque nous avons demandé à la nouvelle administration de lever l’interdiction de nos titres, nous avons enfin pu, pour la première fois depuis longtemps, avoir une conversation avec les dirigeants algériens.
Nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec Belaïd Mohand Oussaïd, conseiller à la communication du président, et avec le ministre de la communication, Amar Belhimer, un ancien journaliste connu pour son ouverture d’esprit. La nouvelle Algérie, issue du mouvement de protestation Hirak et de la chute du régime de Bouteflika, a montré des signes de retour à la normale.
Surprise Surprise
Mais à notre grande surprise, au cours d’une discussion de plus d’une heure avec Oussaïd, une grande partie du débat tournait encore autour du Maroc, l’ennemi juré, son vœu pieux «colonialiste» au Sahara occidental, la duplicité de ses dirigeants à la tête d’un «Royaume des trafiquants» et, eh bien, vous voyez l’idée.
Inutile de dire qu’il n’a pas manqué de nous critiquer pour nos tendances pro-marocaines ou de nous inciter à la sagesse. Au lieu du changement annoncé par la nouvelle administration – à tout le moins celui d’un changement de mentalité – nous avons été confrontés à la même vieille chanson obsessionnelle, encore une autre tirade anti-marocaine qui rappelle quelqu’un qui avait une explosion provoquée par le syndrome de Tourette.
Un tel discours est incompréhensible alors que l’Algérie a tant de défis à relever et de meilleures façons d’utiliser son temps. C’est aussi suicidaire étant donné que l’écrasante majorité de la population souhaite que le gouvernement parle de l’avenir, tandis que les dirigeants algériens de tous bords insistent pour vivre dans le passé, préférant, à la minute où l’opportunité se présente, s’accrocher à de vieilles rancunes contre le Maroc et la France.
Quelque 57 ans après les propos prémonitoires de Boudiaf, l’Algérie continue de lancer des insultes au Maroc. C’est une situation profondément déchirante pour l’équipe de la JA, car nous suivons de si près l’Algérie moderne, un pays pas comme les autres, depuis la guerre d’indépendance.
(traduction non officielle)
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