par Amine Bouali
Grisé vraisemblablement par les ventes record de ses ouvrages (qui se chiffrent par dizaines de millions d’exemplaires à travers le monde), l’écrivain Yasmina Khadra, lors de ses dernières apparitions sur des chaînes de télévision outre-Méditerranée, a tenu des propos pour le moins immodestes qui donnent un aperçu, peut-être erroné, sur sa personnalité (mais, dans le domaine de l’art, ne faut-il pas toujours distinguer l’homme de l’artiste et est-il bien raisonnable, par exemple, de réduire le grand Mozart à son caractère orgueilleux ou capricieux ?).
Ainsi, notre célèbre écrivain prolifique -après avoir accusé son confrère marocain Tahar Ben Jelloun de lui avoir bloqué l’accès aux médias français et surtout au prix Goncourt (un prestigieux prix littéraire parisien qu’il pense sans doute mériter cent fois)-a jugé étrangement que la reconnaissance de ses nombreux lecteurs ne lui suffisait pas («Ah non, non, ça ne suffit pas !» s’est-il exclamé), avouant donc implicitement que l’adoubement par les médias comptait autant sinon davantage pour lui : «Les miens se posent pas mal de questions. Ils commencent à douter : un bonhomme exclu de l’ensemble des institutions littéraires françaises et des jurys littéraires ! Mon dernier livre, «Le sel de tous les oublis», a été bloqué par toutes les télés et radios françaises».
Il s’est plaint également du silence des médias arabes qui entourerait, d’après lui, son œuvre : «A Singapour, mon roman «Les hirondelles de Kaboul» a été lu plus que dans tous les pays arabes réunis. J’ai cinq millions de lecteurs en France, quinze millions dans le monde, dans 57 pays. Il n’y a aucun écrivain arabe aussi traduit que moi dans le monde mais je suis peu connu dans les pays arabes. Mes lecteurs au Brésil sont plus nombreux que dans l’ensemble du monde arabe. Cela vous donne une idée de l’intérêt qu’on porte à notre génie («Le génie arabe», il voulait dire certainement. NDLR)». Et d’ajouter plus loin sans sourciller : «En tant que romancier écrivant en français, je n’ai aucun complexe. Je ne peux imaginer un écrivain qui me dépasse dans le domaine du roman».
Sursaut d’orgueil d’un écrivain qui pense être injustement blacklisté ou, pire, vantardise déplacée d’un auteur à succès? Dans son pamphlet «La littérature à l’estomac» paru en 1950, Julien Gracq (qui a refusé, lui, le prix Goncourt qui lui a été décerné en 1951 pour son roman «Le rivage des Syrtes») avait fustigé une «littérature contemporaine construite de forme industrielle, destinée à être mâchée par un public domestiqué par les médias» et dénoncé le «tintamarre» médiatique qui accompagnait désormais l’écrivain.
Yasmina Khadra devrait, peut-être bien lui aussi, s’interroger sur tout ce «bruit de fond» fait autour de sa personne, ne serait-ce que pour vérifier s’il en avait réellement besoin pour être un écrivain ?
Le Quotidien d’Oran, 7 mars 2021
Tags : Algérie, Yasmina Khadra,
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