Source : The Irish Times, 6 mars 2021
L’homme que Sarkozy a dit un jour a-t-il «le charisme d’une huître» à courir pour l’Élysée?
Ruadhán Mac Cormaic
En 2009, Nicolas Sarkozy a dépêché son ministre de l’Agriculture, Michel Barnier, à la Commission européenne. C’était une manœuvre élégante qui convenait aux deux hommes.
Le Parisien hyperkinétique et mercuriel et le grand «homme des montagnes» légèrement gauche de la région alpine de Savoie avaient plus en commun que les apparences ne le suggéraient. Tous deux étaient des pragmatiques qui se considéraient également comme des étrangers – Sarkozy, enfant d’origine juive hongroise, Barnier, le montagnard franc-parler. Aucun des deux n’était allé à l’École nationale d’administration, l’école d’achèvement de l’élite parisienne, et cette élite les regardait tous les deux. «Le crétin des Alpes», ses rivaux appelaient Barnier.
Mais Sarkozy, alors à l’apogée de ses pouvoirs après deux ans à l’Élysée, n’était pas particulièrement proche de Barnier, dont il aurait dit un jour qu’il avait «le charisme d’une huître» et qui appartenait à une faction social-démocrate, le gaulliste. social, que Sarkozy avait mis sur la touche au sein du bloc de centre-droit au pouvoir. En nommant Barnier, dont le passage précédent à la commission lui a donné un capital politique et un réseau à Bruxelles, la France sécuriserait le portefeuille influent des marchés internes. C’était un bonus non négligeable que cela irait royalement à Londres, dont le secteur des services financiers ferait face à être réglementé par un homme avec un anglais rudimentaire et un scepticisme de longue date envers le capitalisme financier. Les Britanniques ont été les «grands perdants» dans la bataille pour les meilleurs emplois bruxellois cette année-là, se réjouit Sarkozy. Barnier a obtenu un poste de prune dans une ville où – contrairement à Paris, comme il le voyait – il était respecté. Il était largement admis, y compris peut-être par Sarkozy lui-même, qu’après cinq ans dans l’obscurité relative du Berlaymont, Barnier quitterait la scène.
Condamnation Sarkozy
Douze ans plus tard, les fortunes des deux hommes ont en effet divergé. Mais c’est Barnier qui est largement fêté et Sarkozy dont la réputation n’est plus à faire. Pour l’ex-président, une condamnation cette semaine pour corruption et trafic d’influence marque le point culminant d’une carrière politique qui s’est pratiquement terminée en mai 2012, alors qu’il n’est devenu que le deuxième chef d’État de la république française moderne à ne pas remporter un deuxième mandat. Sarkozy nie tout acte répréhensible et a interjeté appel. Il continue tranquillement d’exercer une influence au sein des Républicains de centre-droit, et nombre de ses collègues aspirent à ce qu’il revienne pour sauver la partie assiégée, mais la décision du tribunal exclut quasiment la possibilité de sa réhabilitation.
Barnier n’a guère fait tout son chemin depuis son arrivée à Bruxelles en 2009. Il a perdu à deux reprises un poste qu’il convoitait, la présidence de la commission – d’abord à Jean-Claude Juncker en 2014, puis à Ursula von der Leyen en 2019 – et est dit avoir cru qu’il était candidat au poste de Premier ministre français lorsque Macron envisageait des candidats l’année dernière. Lorsque son mandat de commissaire a pris fin en 2014, il était largement admis qu’il avait pris sa retraite.
Mais le Brexit a refait Barnier. Après avoir supervisé le divorce UE-Royaume-Uni, suivi d’un accord sur les relations futures, tout en maintenant un niveau d’unité continentale dont beaucoup craignaient qu’il ne disparaisse rapidement sous la pression d’intérêts concurrents, le stock de Barnier n’a jamais été aussi élevé. Pas pour la première fois, il a été sous-estimé. Aujourd’hui, il a l’oreille des dirigeants les plus puissants du bloc, mais il est considéré comme un allié par les petits États, où il entretient habilement des relations depuis qu’il était commissaire à la politique régionale au début des années 2000. Son travail sur le Brexit a fait de lui le Français préféré de l’Irlande. Le Monde l’a récemment appelé «le Français à la plus grande carrière européenne depuis Jacques Delors».
Journaux du Brexit
À Paris, la spéculation est monnaie courante selon laquelle le joueur de 70 ans pourrait tenter de se présenter à la présidence l’année prochaine. Il a encouragé les rumeurs: après avoir mis en place un groupement politique au sein des Républicains, appelé Patriote et Européen, il est devenu un orateur fréquent dans les salles des fêtes et dans les studios de radio, où il discute de la politique intérieure et appelle à un «solide et solidaire ”Centre-droit. En avril, il publiera un livre basé sur ses journaux du Brexit. Dans un champ fracturé dans un parti brisé, déchiré par des rivalités internes, ses espoirs reposent sur sa capacité à bien se montrer dans les sondages d’opinion; en fin de compte, ses collègues soutiendront celui qui a les meilleures chances de se faire réélire. Les premiers sondages l’ont placé à la troisième place parmi les principaux prétendants de centre-droit.
C’est loin. Aucun homme politique français n’a jamais utilisé le succès au niveau de l’UE comme tremplin vers les plus hautes fonctions du pays. Le style de centrisme pro-européen de Barnier est passé de mode au centre-droit, où la dérive réactionnaire et nativiste qui a commencé sous Sarkozy n’a fait que s’accélérer depuis son départ. Barnier bénéficie du même soutien que Macron, mais nombre de ses collègues du parti sont convaincus qu’ils doivent rivaliser avec l’extrême droite pour avoir une chance de revenir au pouvoir. Et comme le sait sans doute Barnier, l’exilé de retour, c’est une loi d’airain des sondages d’opinion français que moins les électeurs voient ou entendent un politicien, plus ils l’aiment.
Il suffit de demander à Nicolas Sarkozy, qui est plus populaire depuis qu’il a quitté ses fonctions qu’il ne l’a jamais été en tant que président.
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