par Abla Chérif
L’image que renvoient les relations algéro-françaises semble empreinte d’un clair-obscur où l’indéfinissable prend souvent le dessus. L’amalgame ou l’ambiguïté chevauchent ou pressent parfois le pas devant des actions politiques ouvertes qui viennent tempérer une situation que l’on devinait tendue.
Abla Chérif – Alger (Le Soir) – Le dernier évènement en provenance de Paris en est l’exemple type. Ce mardi, Emmanuel Macron reconnaissait ainsi «au nom de la France», que l’avocat et militant Ali Boumendjel avait été «torturé et assassiné» par l’armée française durant la guerre d’Algérie. Il en fait l’annonce devant les petits-enfants du martyr reçus à l’Élysée ce jour-là.
La famille Boumendjel n’a eu de cesse de réclamer la vérité sur l’assassinat de l’avocat, maquillé en suicide. Dans un communiqué rendu public, la présidence française relate les circonstances de cet assassinat, précisant que «les faits se sont déroulés au cœur de la Bataille d’Alger, durant laquelle l’avocat fut arrêté par l’armée française, placé au secret, torturé, puis assassiné le 23 mars 1957 ».
On rappelle aussi que «Paul Aussaresses, l’ancien responsable des services de renseignement à Alger, avait lui-même avoué avoir ordonné de tuer et de maquiller le crime en suicide». Macron promet de ne pas s’arrêter là dans les questions liées à la mémoire. « Ce n’est pas un acte isolé, aucun crime, aucune atrocité commise par quiconque pendant la guerre d’Algérie ne peut être excusé ni occulté », tient à préciser encore le communiqué de l’Élysée. La reconnaissance des tortures subies par Ali Boumendjel et de son assassinat est présentée comme étant un geste d’apaisement, recommandé par le rapport de l’historien français Benjamin Stora.
Remis le 20 janvier dernier, le document censé apaiser les tensions autour de la mémoire a été vivement critiqué aussi bien en France qu’en Algérie, car ne préconisant pas d’excuses de Paris pour la colonisation. Un geste fort de Paris, à l’heure où une grosse polémique née de récents propos tenus par Emmanuel Macron bat son plein à Alger.
Intervenant en février dernier lors d’une réunion du G5, le Président français a cité l’Algérie parmi les pays ayant fait part de leur engagement à prendre part à la Task Force Takouba, une force militaire contrôlée par les Français et destinée à renforcer la lutte antiterroriste qui se mène dans le Sahel.
Le discours ne souffre aucune ambiguïté et ne peut, tel que prononcé, laisser penser un seul instant qu’une erreur de cette taille puisse être faite dans une communication d’un niveau aussi élevé.
Habituée aux appels du pied et manœuvres d’expressions destinées à lui forcer la main en vue d’un engagement militaire au Sahel, Alger garde le silence. Les interprétations auxquelles les propos de Macron donnent lieu poussent, cependant, le ministère de la Défense à démentir de manière très ferme toute intention d’envoyer des troupes se joindre aux opérations qui se mènent au Sahel.
Il tient particulièrement à « rassurer » l’opinion algérienne en faisant savoir que les soldats de l’ANP ne pouvaient obéir qu’à son commandement et au chef suprême de l’armée dans le respect strict de ses prérogatives constitutionnelles. La mise au point est cinglante.
Lors d’une conférence de presse, le sujet est également abordé par le président de la République qui affirme qu’il « n’est pas question d’envoyer les enfants du peuple pour se sacrifier pour autrui, et que décision sera prise en cas de besoin de dissuasion ». Abdelmadjid Tebboune affirme cependant que les « relations algéro-françaises sont bonnes, en dépit de l’action de lobbys en France qui visent à les saper ».
Quelques jours plus tard, un communiqué de l’ambassade de France à Alger vient nuancer les propos d’Emmanuel Macron. La chancellerie rectifie le tir en affirmant que le Président français se félicitait dans son discours de « l’engagement politique d’Alger lors de la réunion du comité de suivi de l’Accord d’Alger à Kidal ». Le texte se veut un démenti aux rumeurs qui circulent sur un sujet de grande sensibilité et dans un pays où le représentant de Paris (l’ambassadeur de France) a fait lui aussi l’objet d’une controverse ces dernières semaines. Très « visible » depuis son arrivée à Alger, François Gouyette est notamment critiqué pour avoir rencontré des représentants de formations politiques et de la société civile.
Ce comportement qu’Alger n’a pas pour habitude de tolérer semble irriter, d’autant plus qu’il intervient dans une période sensible que traverse le pays. Le fait ne donne pas pour autant lieu à une réaction politique publique. L’élément contribue, toutefois, à entretenir l’existence d’un certain flou.
Le Soir d’Algérie, 6 mars 2021
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