Deux jours après la dernière sortie du Hirak et deux ans après son déclenchement, les avis divergent sur l’avenir qu’il dessine pour l’Algérie. Même si une unanimité se dégage pour réclamer le changement, l’inquiétude demeure sur l’aspect que prendra celui-ci.
Vendredi 18 heures 30. Le rue Didouche-Mourad retrouve la quiétude et même une certaine forme de silence après avoir vibré toute la journée au rythme des marches. La chaussée et le trottoir étaient propres. Un étranger qui passerait par-là aurait du mal à croire qu’une heure auparavant des milliers de personnes battaient le pavé en criant et en chantant à tue-tête leur soif de justice et de liberté.
Le lendemain, sous un ciel gris et bas, la vie a repris un train-train ordinaire comme si personne n’était concerné par l’avenir du pays. Chacun vaquant à ses occupations et les discussions n’évoquaient aucunement les événements de la veille.
Erreur. Il suffit de tendre l’oreille ou de provoquer la conversation sur le sujet pour que les langues se délient et les interlocuteurs deviennent volubiles. Pour cet homme dans la soixantaine qui est assis au siège avant d’un taxi collectif clandestin, « l’avenir est incertain. Je suis heureux, dit-il, de ce qui se passe mais en me rappelant l’horreur des années 1990, je commence à trembler. Toute cette agitation peut glisser et nous replonger dans le cauchemar. Je n’ai rien, même pas de quoi terminer le mois. Je prends des cachets pour garder mon équilibre mental et pouvoir dormir, mais au moins je rentre tranquille à la maison sans avoir peur pour ma vie et pour celle de mes enfants. »
Le reprenant à la volée, un autre client presque aussi âgé que lui s’insurge : « il n’y aura rien du tout. Le peuple d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celui d’il y a 30 ans. Il continuera à demander ses droits pacifiquement. Il a compris la leçon. » Le chauffeur, un jeune dans la vingtaine écoute l’échange avec intérêt et avoue ne pas pouvoir imaginer ce qui s’était passé durant la décennie noire. « Je sais une chose, cependant, en cas de grabuge, c’est
« eddawla» (l’Etat) qui va gagner. Ils ont tous les moyens pour réprimer. J’ai un cousin qui est dans les forces spéciales de la police, il m’a dit qu’ils ne dort pratiquement plus et qu’il ne vient chez lui qu’une fois tous les quinze jours. Ils se préparent à frapper.»
Aucun avis ne dépasse l’autre
Un peu plus loin, au centre-ville d’Alger, un ancien enseignant à la retraite et ancien militant de gauche craint que les islamistes profitent de la situation pour tenter de prendre le pouvoir
« comme ils l’ont fait en Iran ». Il espère ne plus revivre la situation où il était obligé de montrer sa carte d’identité à un « ignorant » qui avait senti les effluves de bière sortir de sa bouche.
« Aujourd’hui, je ne bois plus et fais même la prière, mais je ne veux pas vivre sous la dictature des gueux. »
Un de ses amis, barbu mais plus apparemment mieux introduit dans la société hoche la tête en signe de dénégation. «Tu n’as rien compris à la nouvelle société. Les jeunes voient très bien qui est de leur côté et celui qui essaie de les baratiner. Ils ne se feront pas avoir.»
Les mêmes inquiétudes, les mêmes interrogations qui donnent lieu parfois à des querelles opposent les différents courants de pensée qui traversent la société. La plupart des joutes ont tournent autour de divergences idéologiques. Les intervenants se renvoient les accusations de racisme, de sectarisme et parfois de compromission avec le pouvoir.
Il faut dire aussi que des «rixes» sont alimentées par des « communicants» et des leaders d’opinion professionnels dont certains jouissent d’une grande audience.
Toutefois, ce qui est étonnant, c’est que pendant les manifestations du Hirak, toutes ces voix se dissolvent dans un seul flot où aucun avis ne dépasse l’autre, ne fait taire l’autre. Tous revendiquent cependant sur un ensemble de valeurs : Un Etat de droit, la démocratie, la moralisation de la vie publique et le respect de la volonté du peuple.
Mohamed Badaoui
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