La paix des braves… A titre rétroactif!

par Mourad Benachenhou


C’est peu de traverser les montagnes et de battre une ou deux fois les montagnards, pour les réduire, il faut attaquer leurs intérêts. On ne peut y parvenir en passant comme un trait, il faut s’appesantir sur le territoire de chaque tribu, il faut s’arranger de manière à avoir assez de vivres pour y rester le temps nécessaire pour détruire les villages, couper les arbres fruitiers, brûler ou arracher les récoltes, vider les silos, fouiller les ravins, les rochers et les grottes, pour y saisir les femmes, les enfants, les vieillards, les troupeaux et le mobilier, ce n’est qu’ainsi qu’on peut faire capituler ces fiers moontagnards. P34 ( dans «instructions pratiques du Maréchal Bugeaud duc d’isly pour les troupes de campagne.» Leneveu Librairie Pour l’Art Militaire, Paris 1854, p.34)

Benjamin Stora n’est nullement inconnu du grand public algérien. Ses profondes racines dans notre pays l’ont certainement inspiré, non seulement à s’intéresser à notre histoire, dans sa période la plus tragique, mais également à l’écrire avec le regard d’un authentique Algérien . Il faut reconnaitre qu’il ne cherche pas à dissimuler, dans ses ouvrages, pleins d’érudition, son parti-pris pour nos douleurs et nos peines, à relater avec force détails la violence du système colonial tout comme son caractère raciste.

Forcés à s’exiler pour écrire l’histoire de leur pays

Travaillant sur le sol français, Stora a pu, en toute liberté, effectuer ses recherches et en publier les résultats, sans craindre la foudre de ses autorités, ou la censure officielle, quelles qu’aient été, par ailleurs, les vues des autorités publiques françaises ou d’une partie de l’opinion de l’ex-occupant sur la colonisation.

Alors qu’il poursuivait sans entraves son travail de recherche, tout comme d’autres historiens français ayant la passion de découvrir et de faire découvrir l’histoire coloniale dans notre pays, nos propres autorités ont , tout simplement, décidé unilatéralement, que nous n’avions la maturité d’esprit, ni même les capacités intellectuelles, pour reconstituer et raconter notre propre histoire. Ceux des Algériens qui tenaient, tout de même, à consacrer leur vie à élucider notre histoire, ont du s’exiler chez l’ex-colonisateur pour poursuivre leur passion académique.

Non contents de confisquer le pouvoir politique, nos dirigeants ont traité notre histoire comme leur propriété personnelle. Il a fallu beaucoup de combats et de tragédie pour que, finalement, ces autorités, sensées diriger la lourde mission de renaissance de notre patrie, acceptent de nous laisser reprendre possession de ce bien commun qu’est l’histoire de notre peuple.

Arrêter de sous-traiter notre histoire nationale

On doit savoir gré à -, et même exprimer de la gratitude envers- Benjamin Stora et d’autres historiens français ou algériens exilés en France, d’avoir labouré le champs de notre histoire, et d’avoir accumulé, grâce à leurs efforts, une somme de connaissances sur notre histoire contemporaine, somme qui est, sans aucun doute, loin d’épuiser la riche matière. Ces efforts, si louables soient-t-ils, et si impeccables scientifiquement, ne peuvent , en aucun cas, apparaitre comme non perfectibles ou non révisables. Aux historiens algériens, maintenant libérés de toutes entraves, de revisiter, de relire, de réécrire, tout cette vaste littérature , de l’améliorer, bref de l’algérianiser, sans chauvinisme, mais avec la seule fin de nous libérer de la sous-traitance historique à laquelle ont poussée les dirigeants algériens.

Comme historien, donc, Benjamin Stora a fait œuvre, non seulement utile, mais même indispensable et selon une perspective que l’on pourrait appeler algérienne. A ce titre, on ne peut lui adresser aucun reproche, au contraire. Ni son honnêteté intellectuelle, ni ses qualités de chercheur ne peuvent être remises en cause, et si elles le sont, elles ne sauraient l’être que par ses collègues historiens, sur tel ou tel détail de ses écrits. Il ne faut surtout pas que la discussion de son rapport prenne la forme d’une argumentation «ad personam,» l’attaquant directement et à titre personnel.

Un rapport exclusivement politique

Les critiques de ce délicat rapport ne manquent déjà pas et, sans doute, ne manqueront pas dans le proche futur. Mais, il s’agit d’abord de «contextualiser» ce document, ensuite de relever son orientation générale, et , enfin de discuter certaines de ses affirmations , soit incomplètes, soit même délibérément biaisées dans leur présentation pour appuyer la thèse centrale, c’est-à-dire la possibilité de l’écriture d’une histoire commune «apaisée» entre le bourreau et sa victime.

Le contexte politique du rapport

Sur le plan contextuel, Stora n’est nullement l’initiateur de ce document. Cet historien de métier est, dans ce projet, avant tout un haut fonctionnaire français, soumis aux règles de la hiérarchie administrativo-politique de la France, qui est chargé d’une certaine mission ponctuelle. Cette mission n’a pas un objectif scientifique. Il ne s’agit pas d’écrire une histoire du système colonial français, vue de Sirius, et détachée de toute considération autre que la recherche de la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, afin que le tribunal de l’Histoire, réel ou virtuel, prononce finalement son verdict, et tranche quant aux responsabilités des deux parties en conflit, condamnant l’une et rétablissant l’autre dans tous ses droits. L’objectif ressortit d’abord et avant tout de la politique intérieure française: à la fois répondre à un besoin de mettre derrière soi, et une fois pour tout, un pan de l’histoire nationale de cette puissance, qui est loin d’être à son honneur ou d’avoir reflété les valeurs «républicaines» et «humanistes» qu’elle proclame, ensuite apaiser le débat, parmi la population française essentiellement, sur cette période pénible de l’histoire de ce pays, et vider l’abcès des blessures et des brisures qu’ont causées chez le peuple français les événements liés à cette histoire, et finalement faire compter cet apaisement intérieur comme une des avancées politiques justifiant l’appui par une majorité de citoyens français à un second mandat pour le présent chef d’état français.

Stora se devait de présenter un «document politiquement correct» à tous points de vue, répondant à ces trois exigences politiques, et jugé acceptable par le donneur d’ordre, le magistrat suprême du pays.

A la limite, Stora n’avait nul besoin de se demander si ce document était ou non acceptable pour les Algériens, ou s’il ne risquait pas de raviver des rancunes , si ce n’est d’anciennes haines, et donc rater son objectif d’apaisement. Il ne s’agissait pas, non plus, de mécontenter systématiquement les interlocuteurs algériens, donc, ne serait-ce qu’en passant, s’obliger à reconnaitre les torts du système colonial et compatir avec ls souffrances de ceux qui les ont subis.

C’est donc un exercice délicat que Stora a tenté : prendre en charge tous les termes de référence du chef d’état français, tout en laissant entendre, à travers quelques passages, qu’il n’était pas insensible aux doléances des Algériens, mais, en les relativisant, pour prouver que, finalement, dans le grand schéma des choses, les deux parties pouvaient dépasser le lourd contentieux historique qui empêchait une réconciliation totale et sans réserves mentales ou autres, entre les deux peuples, d’autant plus que la perche a été «généreusement tendue,» sur le plan des mots et des symboles, à la «victime algérienne.»

A-t-il réussi à ménager, selon l’expression populaire imagée «la chèvre et le choux?» Une lecture froide et approfondie du texte remis au chef de l’Etat français, est loin de permettre de conclure que ce document a ouvert le chemin royal vers une mise à plat des relations «tumultueuses» entre l’ancien occupant et l’Algérie, et qu’il pourrait constituer la chaine manquante dans ce dialogue pénible, qui n’arrête pas de rebondir chaque fois qu’on a l’impression qu’il s’est finalement engagé sur une base libre de tout malentendu entre les deux nations. Stora, qui ne peut que forcer le respect quand il s’agit de porter un jugement sur son oeuvre historique, a rédigé un document exclusivement politique, qui reprend, quasiment, sans nuances, toutes les positions officielles françaises sur son occupation coloniale, y compris ses «bienfaits,» même si cela est dit de manière indirecte. Pour faciliter la compréhension de la thématique de ce document, il apparait indispensable d’en évoquer les points essentiels et de les examiner sous un angle «algérien», même si on comprend que c’est un document à «usage franco-français.»

Participation des Algériens à l’administration de l’Algérie coloniale.

Le rapport évoque «la participation des Algériens» à l’administration de la colonie par l’intermédiaire des «délégations financières,» laissant croire que, finalement, l’Algérie aurait été une sorte de «condominium» franco-algérien, ce qui est tout simplement une falsification de l’histoire, d’abord parce que les Algériens n’ont pris part ni à l’élaboration de ces institutions, ni à leur mise en place, ni à leur contrôle, et ensuite parce que l’objectif de ces délégations était essentiellement de donner une base légale à la domination unilatérale de la population française sur toute la politique de gouvernement de la colonie. Le partage du pouvoir était franco-français, et on y avait ajouté , pour faire croire à une volonté d’équité, des délégués algériens, dont les voix étaient rarement entendues, si ce n’est pour corroborer des décisions prises exclusivement en faveurs de la population européenne. Est-il raisonnable de croire que, s’il y avait équité dans le partage de pouvoir entre «indigènes algériens, « et «Européens,» ces indigène auraient accepté que le budget de l’éducation de la population indigène soit inférieur aux subventions données aux écoles confessionnelles chrétiennes et juives? Auraient-ils appuyé la justice à deux vitesses appliquée par les autorités coloniales , selon qu’il s’agissait de juger un «indigène,» ou un «Européen?» Auraient-ils soutenu le «code de l’indigénat,» et la distinction entre communes dite» mixtes,» mais en réalité entités soumises au maitre absolu qu’était l’administrateur, et «communes de plein exercice» dans les régions à majorité européennes? Auraient-ils applaudi à toutes les brimades, les actes arbitraires, les privations délibérées auxquelles était soumise la population algérienne, soit directement, soit par l’intermédiaire des auxiliaires, caïd et autres bachaghas? La liste des manifestions de la domination coloniale a été rapportée avec force détails, même par Benjamin Stora, dans ses écrits, qu’il apparait quelque peu immodeste de vouloir les lui rappeler dans ce bref écrit.

Sympathie à l’égard de la misère du colonisé algérien.

Quant à la sympathie pour le sort des Algériens, montrée par certains intellectuels ou auteurs, elle a joué un rôle trop faible dans la réduction de la violence coloniale unilatérale. La manifestation de cette sympathie peut, certes, témoigner du fait qu’il y avait des Français et des Françaises qui croyaient dans les valeurs que la France était censée représenter, mais rien d’autre. Ce ne sont pas leurs condamnation du système colonial qui lui on fait lâché prise, mais le refus des Algériennes et Algériens d’accepter d’être sous-humanisés au bénéfice d’une minorité étrangère, qui a forcé ce système à évoluer et à accepter de reconnaitre finalement l’humanité du peuple algérien.

Charles de Gaulle, libérateur de l’Algérie?

L’un des autres thèmes récurrent dans l’historiographie coloniale française, et repris dans ce rapport, est le rôle de de Gaulle dans l’indépendance de l’Algérie. On continue à entretenir la légende qu’il aurait consenti à cette indépendance par calcul politique interne, dans le but d’éviter que, par la force de la croissance de la population algérienne, émergerait une force politique détruisant l’équilibre entre «FSE» (Français de souche européenne) et «FSNA»(français de souche nord africaine) , même dans la métropole. Il aurait, sans aucun doute, voulu garder, sous une forme ou une autre, une «Algérie française,» mais la population algérienne , comme les dirigeants de la lutte finale de libération nationale, a refusé de transiger quand à sa volonté de devenir indépendante. Jamais la violence militaire française n’a été aussi intense que pendant les quatre dernières années de l’occupation coloniale, et alors que De Gaulle était le chef d’état. A rappeler, si cela a été oublié, que, lors des massacres de mai 1945, c’était De Gaulle qui était à la tête de la France, nouvellement libérée de l’occupation nazie, grâce à l’appui anglo-saxon.

Amnistie ou amnésie pour les crimes de guerre de l’armée coloniale?

Une autre affirmation que les faits et les textes ne supportent pas, est avancée par l’auteur de ce document, serait que les autorités françaises et algériennes auraient accepté, dans le cadre des accords d’Evian, de passer l’éponge sur tous les crimes commis par l’armée française pendant les «opérations de maintien de l’ordre» entre 1954 et 1962. Rien n’est plu faux, et d’autres auteurs français l’ont reconnu: le GPRA a refusé de discuter ce sujet, et les décisions d’amnistie, traduites dans des textes réglementaires cités par l’auteur, ont été prises unilatéralement par le gouvernement français, sans consultations aucunes avec le gouvernement algérien de l’époque. Toutes les autres mesures d’amnisties prises par les différents gouvernements français , de gauche comme de droite, entre 1962 et 1999, et concernant des actes de militaires français au cours des «opérations de maintien de l’ordre,» n’ont également fait l’objet d’aucune discussion, sous quelque forme que ce soit, entre les deux pays. D’ailleurs, même la reconnaissance des «opérations de maintien de l’ordre» comme étant en fait une guerre (d’Algérie ou en Algérie, peu importe) avait une motivation exclusivement d’ordre social: permettre aux ex-mobilisés français d’être reconnus comme ancien combattants et de recevoir les allocations et autres avantages dont bénéficient ceux qui ont participé à des guerres.

Question des archives nationale: la position française figée.

Pour ce qui est des archives, on ne perçoit aucune avancée dans le traitement par la partie française de la question, qui ressortit de la souveraineté nationale retrouvée. La position officielle française est maintenue, à savoir que le problème est d’ordre uniquement technique, sous ses deux aspects centraux, non seulement la préservation matérielle des archives, mais également le libre accès à ces archives, problèmes, suivant ce rapport, soit résolus, soit solvables par une bonne volonté mutuelle. Le gouvernement français persiste dans sa position que le principe de la succession d’état, tel que défini par les traités et accords internationaux, et dont un volet concerne les archives, ne s’applique pas pour l’Algérie. C’est-à-dire que, jusqu’à présent la reconnaissance de l’indépendance de l’Algérie par la France est incomplète, impliquant la légitimité et la légalité de la présence française dans notre pays, et confirmant la réalité statutaire de «L’Algérie française,» et faisant de l’indépendance algérienne une sécession, une séparation brutale, et la création d’une entité nouvelle , sans autre passé politique que celui de la colonisation.

La France maintient donc la fiction de l’Algérie, «res nullius (c’est-à-dire terre n’appartenant à personne), table rase sur la quelle cette puissance coloniale aurait eu tous les droits de gouverner à sa guise. Derrière le problème des archives, se cache un problème fondamental. Pourquoi ce rapport , qui, en fait, ne propose rien de nouveau, ne fait-il pas mention de l’accord international de 1983 sur la disposition des archives nationales dans le cadre de la décolonisation entre autres? Quant à la circulaire qui restreint l’accès aux archives françaises, sous le couvert de «secret-défense,» rien n’empêche le chef de l’Etat français, chef des armées françaises, de déclarer sa nullité, et le problème est réglé.

Comparaison avec la réconciliation franco-allemande.

Demander de traiter l’histoire commune algéro-française dans les mêmes termes que l’histoire commune germano-française ressortit plus de la mauvaise foi que de la proposition concrète. L’auteur sait fort bien que la Seconde Guerre Mondiale, dans laquelle des centaines de milliers d’Algériens ont versé leur sang du côté des Alliés, s’est terminée par le jugement de tous les criminels nazis, sous l’égide d’un tribunal international, instauré à Nuremberg( 20 Novembre 1945-1er Octobre 1946). Certains ont été condamnés à mort, dont le rédacteur en chef de l’hebdomadaire nazi «Der Stürmer» et le dernier chef d’état nazi, d’autres à de lourdes peines de prison. Par ailleurs, les gouvernements allemands, des deux côtés du mur de Berlin, on procédé à la dénazification de l’armée et de l’administration, à la destruction de la littérature nazie, des manuel scolaires etc. Et jusqu’à présent l’Allemagne continue à payer le prix des crimes nazis, en fournissant gratuitement matériel militaire, y compris des sous-marins, et armement et munitions de tous types, à un état qui s’est autoproclamé héritier des victimes du nazisme. De l’autre côté, pas un responsable militaire français, quelles qu’aient été les preuves accumulées contre lui, y compris pour le meurtre de sang froid de personnalités algériennes, n’a été inquiété. On continue même la tradition de donner les noms des criminels de guerre, dans le sens reconnu internationalement, à des promotions sortis des écoles militaires françaises. Il n’y a pas eu de purge de l’administration française mettant fin aux carrières de tous les Français ou Françaises ayant participé , d’une manière ou d’une autre, aux «opérations de maintien de l’ordre.» Aucun journaliste français n’a été jeté au cachot pour avoir encouragé à la violence contre les Algériens ou au maintien à tout prix de l’Algérie française. Il n’y a pas que le problème des disparus, mis délibérément en relief dans le rapport pour faire croire à un début de remords officiels, mais celui des millions d’Algériennes et Algériens qui ont perdu leur vie, directement sous les coups de l’occupant colonial, ou indirectement du fait de la misère à laquelle cet occupant a condamné le peuple algérien pendant cent trente deux années.

Le Japon et ses excuses à la Chine et à la Corée.

Quant aux criminels de guerre nippons, eux aussi ont été arrêtés, et jugés pour leurs crimes, après Août 1945,(tribunal de Tokyo, Avril 1946-novembre 1948). Et le gouvernement nippon, sous le protectorat américain conduit par le Général Mac Arthur, a veillé à purger l’administration et l’armée et la presse nippones de tous les partisans et acteurs de la politique d’expansion de l’empire du Soleil Levant; à rappeler, en passant, et alors que l’empereur Hiro Hito allait déclarer la reddition du Japon, et que le gouvernement américain en était clairement informé, ce dernier n’a pas hésité à faire bruler une partie de la population de deux villes japonaises, sous le prétexte qu’elles abritaient des installations militaires «pouvant servir à la poursuite de la résistance japonaise.» Effectivement , le Japon a accepté de présenter des excuses à certains pays qu’il a agressés, dont la Chine et la Corée du Sud, mais a refusé de faire amende honorable pour tous ses crimes. Ces excuses étaient-elles sincères ou non? Comment juger de la sincérité d’excuses, même entre particuliers? Ce genre de question demeure sans réponse, mais une excuse, même pas trop sincère, qui est la moitié du chemin vers la reconnaissance d’avoir causé un tort, vaut mieux que pas d’excuses du tout. De plus, et c’est à souligner, ces deux pays ont fait disparaitre toute trace de l’influence linguistique nippone. Alors que le Japonais était la langue scolaire, parallèlement à la langue locale, dans les pays occupés, ceux-ci ont éliminé sans réserve cette langue de leurs curriculum, une fois l’occupation japonaise terminée. La Corée, dont la production intellectuelle , littéraire ou autre, était nulle avant la libération en 1945, après seulement 35 années sous l joug japonais, et dont le vocabulaire était restreint, contrairement à la langue arabe, dont la première encyclopédie moderne a été publiée en 1964, a effacé toute trace de la langue de l’ex-occupant, qui n’est plus écrit et parlé couramment que par les survivants de la génération coréenne ayant vécu sous occupation japonaise.

Le problème des harkis.

Ce drame n’a été créé ni par l’ALN, ni par le FLN. Les autorités coloniales, exploitant le dénuement total de la population rurale dans certaines régions, et jouant de la situation de peur et de sentiment d’impuissance de cette population devant le déploiement de la brutale et impitoyable force militaire coloniale, ont recruté à bon marché, et parfois sous la contrainte et la menace, et entrainé des troupes irrégulières au statut militaire ressortissant du mercenariat, parmi la population locale. A la fin des hostilités, et comme elles l’avaient fait auparavant après la défaite de l’Indochine, les autorités françaises ont tout simplement décidé d’abandonner à leur sort ces mercenaires, qui n’étaient couvert par aucun loi internationale de la guerre. Ceux de ces mercenaires qui ont réussi à être embarqués vers l’ex-métropole, en violation des directives fermes des autorités militaires françaises, ont été jetées dans des camps improvisés, et placés en captivité plus ou bien appliquée. Tout le poids du drame matériel et moral de ces «harkis» tombe, donc, totalement sur ceux qui ont profité de leur ignorance et de leur misère pour les embarquer dans une aventure sans issue. Pendant l’occupation nazie, la France a eu aussi ses «harkis,» mais, eux, volontaires, et qui ont, délibérément et en connaissance de cause, collaboré avec l’occupant nazi. Celui-ci a fait preuve de loyauté envers ces collaborateurs et leur a donné , alors qu’il était en retraite, le choix de se replier en Allemagne; il leur a même reconnu des droits d’anciens combattants bénéficiaires d’une protection sociale. Ceux qui ont choisi de rester en France ont été soit exécutés sommairement, soit après jugement, soit, pour les plus chanceux, emprisonnés. On estime à 72.000 le nombre de collaborateurs des occupants nazis qui ont été tués . La France a, par ailleurs, mené une vaste opération d’épuration de ses administrations et même de ses intellectuels, qui avaient commis le crime de collaboration. Il est faux d’affirmer que les «harkis» originaires d’Algérie, et n’ayant pas pu fuir en France après le cessez-le-feu, aient été l’objet d’instructions officielles écrites ou verbales d’exécution. Il y a eu des actes criminels de caractère individuel, et plus méritant le qualificatif de vengeance parfois personnelle contre certains harkis et dans des régions isolées et individuellement. En fait, les autorités algériennes ont voulu effacer rapidement cette tâche et apaiser les esprits. Ainsi, en Wilaya I, Tahar Zbiri , colonel commandant de cette wilaya, raconte, dans ses mémoires, comment il a fait désarmer ces harkis, et les a renvoyés chez eux, par crainte de provoquer des guerres tribales incessantes. Comme les ex-autorités coloniales stipendiaient ces «harkis,» et qu’elles avaient donc une liste complète de ces mercenaires, qu’elles publient donc les noms de ceux qu’elles ont recrutées et qui ne se retrouvent ni parmi les pensionnés installés en France, ni parmi ceux restés en Algérie, déterminant ainsi les noms des disparus éventuels. On met sur la soi-disante «violence méditerranéenne» la prétendue élimination «massive» des harkis algériens. C’est le jeu habituel de la légitimation de sa propre violence et de la délégitimation de la violence des autres. Comment qualifier l’exécution des 72.000 collabos français après la fin de l’occupation, exécution conduite par des Français contre d’autres Français et Françaises? Car même des femmes ayant eu la mauvaise idée de fréquenter les officiers et soldats nazis ont été exécutées!

Le tiers de la population algérienne dans des camps de concentration.

L’auteur parle du «déplacement de 2 millions d’Algériens» pendant les «opérations de maintien de l’ordre.» déplacements dont il rappelle qu’ils ont été dénoncés par Michel Rocard. En fait, le terme «déplacements» est un euphémisme rsonnant mal, utilisé par un historien, qui sait certainement que cette population n’a pas été déplacée, mais emprisonnée dans des «camps de regroupements,» proches , si ce n’est équivalents des camps de déportation nazis, du type de Ravensbruck, par lesquels sont passés nombre de Français et Françaises, mais dont le nombre ne représentait pas le quart de la population française, comme en Algérie. On estime à 2.700.000 Algériennes et Algériens, dépourvus de toutes ressources qui ont été enfermés dans ces «camps de regroupement,» pendant une période allant de 2 à 6 années.

En conclusion

Benjamin Stora, qui bénéficie, comme historien de la saga algérienne pendant la période de l’occupation coloniale, d’une grande notoriété et d’une opinion favorable de la part du lecteur algérien, a été délibérément choisi par la plus haute autorité française pour exprimer la position inchangée de la France quant au système colonial imposé par une extrême violence, impitoyable, et allant jusqu’à la barbarie, et tenter de la libérer de ses lourdes responsabilités historiques à l’égard du peuple algérien;

Il est dit que le messager est le message. Mais, dans ce cas précis, malgré la crédibilité du messager, le message officiel qu’il fait passer , demeure inacceptable pour le peuple algérien;

Le document de Benjamin Stora ne reflète pas son métier d’historien, respectueux des faits historiques, et , donc, respectable, mais constitue avant tout un document politique émanant de l’ex-puissance coloniale qui veut forcer le peuple algérien à accepter de légitimer le système colonial dont il a été la victime pendant cent trente deux années, et qui l’a déraciné et rendu étranger dans son propre pays;

Les autorités françaises continuent à tenter de faire partager au peuple algérien la responsabilité de la violence coloniale, en exigeant de nous d’aller même jusqu’à délégitimer notre résistance à cette violence unilatérale;

Etablir une liaison, comme le fait ce rapport, entre les actes criminels perpétrés récemment en France par de personnes aux noms à consonance musulmane, et l’ouverture de ce dossier mémoriel , prouve, s’il le fallait encore que l’exercice auquel les ex autorités coloniales invitent officiellement l’Algérie a des objectifs politiques internes à la France, plutôt qu’une démarche visant à régler un contentieux mémorielle avec notre pays;

La responsabilité des autorités politiques algériennes, qui ont, non seulement, imposé un embargo total sur l’histoire de la lutte de libération nationale pendant plus d’un quart de siècle, est engagée dans ce révisionnisme auquel l’ex colonisateur veut nous convenir, sous le couvert de l’apaisement des mémoires, mais également conduit des relations trop confortables avec l’ancienne puissance, rendant quelque peu futile et peu crédible la demande officielle algérienne de contrition, sous quelque forme que ce soit, de la repentance aux excuses;

On ne peut tout de même pas accepter que le peuple algérien efface toute son histoire et que l’on inverse les rôles, en transformant le coupable en victime et la victime en coupable;

Ce qui est demandé, en filigrane de ce rapport, dont le caractère officiel apparait clairement, car il ne fait que reprendre le fil directeur de la gestion de l’histoire du colonialisme français en Algérie, c’est en quelque sorte ceci:» Pardonnez-nous de vous avoir opprimé pendant cent trente deux ans et nous vous pardonnerons de nous avoir résisté pendant toute cette période.»

Qui acceptera ce marché de dupes? L’Algérie passe par une phase de grande faiblesse et de grands danger! Nos autorités seraient-elles prêtes à échanger l’histoire de notre combat, inachevé jusqu’à présent, pour la survie et la dignité contre des visas? Telle est la question!

Le Quotidien d’Oran, 2 fév 2021

Tags : Algérie, France, mémoire, colonisation,

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