Condamnation de l’opposant Maati Monjib au Maroc: « Un simulacre de justice »

Plusieurs ONG internationales et marocaines sont montées au créneau fin de la semaine dernière, après la condamnation de l’historien et défenseur des droits humains marocain Maati Monjib à un an de prison ferme. Ainsi, pour Amnesty international, les autorités marocaines doivent immédiatement et sans conditions libérer Maati Monjib.

Car l’intellectuel de 60 ans, enseignant à l’université de Rabat, a souvent été qualifié de bête noire des autorités marocaines. Pour certains, il était même l’homme à faire taire. Auteur de plusieurs ouvrages critiques à propos du pouvoir marocain et sur la monarchie, Maati Monjib était l’un des fers de lance des voix d’opposition dans le pays, et continuait à publier des articles dans la presse arabophone et francophone.

Après des années de poursuites, il a finalement été condamné, avec six autres journalistes et militants des droits humains par le tribunal de première instance de Rabat, mercredi dernier.

Un procès « sans avocats »

Poursuivi depuis 2015 dans le cadre d’un dossier lié à l’institut qu’il avait fondé et qui promeut un journalisme indépendant, Maati Monjib était soupçonné de malversations (« non-dénonciation de financements étrangers », selon les termes de l’accusation) et d’atteinte à la sécurité de l’Etat marocain. L’homme a toujours nié ces accusations, qui, pour lui, avaient pour objectif de l’intimider. Fin décembre, il avait été arrêté pour une nouvelle prévention de fraude. En prison, il avait entamé une grève de la faim, pour dénoncer l’acharnement judiciaire dont il se disait victime.

Après plusieurs renvois d’audiences, son procès s’est finalement ouvert, mais en son absence et en l’absence de ses avocats. Ce sont ces derniers qui affirment avoir découvert la condamnation sur le site du ministère de la justice le lendemain.

Et aujourd’hui, ce sont donc également les circonstances dans lesquelles Maati Monjib a été condamné qui posent question. « Vous avez raison de dire que cela a étonné tout le monde, réagit le journaliste marocain Omar Brouksy. C’est un procès qui a commencé en 2015. Il a été reporté 21 fois. Et comme vous le savez on apprend qu’il a été condamné à un an de prison ferme. Alors que le dossier n’a pas été ouvert, les avocats n’ont pas plaidé, Maati Monjib, qui devait être présent, c’est le b-a BA du procès équitable, était en prison, ils ne l’ont même pas amené au tribunal pour qu’il puisse se défendre et dire sa version! »

« C’est du jamais vu, ajoute Omar Brouksy, je suis l’actualité marocaine depuis l’arrivée de M6 (le roi du Maroc, Mohamed 6, ndlr), c’est véritablement un retour aux années de plomb. »

« Un vrai problème de système politique »

Parmi les autres prévenus, trois ont aussi écopé d’un an de prison ferme, un autre de trois mois avec sursis. Trois prévenus avaient par ailleurs déjà quitté le Maroc, et obtenu l’asile politique en France et aux Pays-Bas.

Exilé en France sous le règne de Hassan II, il était revenu au Maroc mais n’avait pas abandonné son analyse critique. Devenu ces dernières années l’une des cibles des autorités, Maati Monjib avait aussi été, selon les ONG, harcelé, et mis sur écoute. Interdit d’enseigner depuis 2015, il n’avait plus, ces cinq dernières années, que sa plume pour transmettre son savoir et ses analyses.

Cette condamnation représenterait une aggravation supplémentaire de la répression, estime, avec colère, Omar Brouksy.

Le journaliste, qui est aussi auteur d’ouvrages politiques critiques du pouvoir marocain, met en cause une justice au garde-à-vous : « C’est un simulacre de justice, une mascarade, c’est une énième mascarade de la justice marocaine, c’est un carnage judiciaire. Le fait que des juges qui n’ont aucune conscience professionnelle, puissent condamner quelqu’un qui n’est même pas présent, avec rien dans le dossier, pas d’avocats, qu’est-ce que ça veut dire ? Cela veut dire que le vrai problème est dans la justice… Parce que ces juges qui n’ont aucune conscience professionnelle, qui n’ont pas un gramme de courage, sont nommés par le Roi. Parce que le conseil supérieur de la magistrature, il est présidé par qui par le Roi ! Donc il n’y a pas de séparation des pouvoirs. Donc c’est un vrai problème de régime, c’est un vrai problème de système politique. »

Levée de boucliers

« Évidemment tout le monde l’a dit, Amnesty a réagi Human Rights Watch a réagi, Reporters sans frontières a réagi… Tout le monde a réagi. Mais le régime marocain reste indifférent à toutes ces violations qui deviennent de plus en plus fréquentes et de plus en plus inacceptables », ajoute-t-il.

Les autorités, quant à elles, réfutent toute accusation. Dans un communiqué, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire justifie le jugement prononcé le 27 janvier par le tribunal de Rabat en affirmant que Maati Monjib était « informé de la date d’audience » et que « son absence, comme celle de sa défense, émane d’une décision personnelle volontaire ». Une affirmation contestée aujourd’hui par les avocats de Maati Monjib, qui rappellent que ce dernier a toujours été présent à ses audiences quand elles étaient notifiées.

Free Press Unlimited, une des ONG ayant contribué au financement du centre de Maati Monjib, avait souligné mi-janvier qu’il « devrait être acquitté ».

Début janvier, RSF a dénoncé un « véritable harcèlement judiciaire, policier et médiatique » contre Maati Monjib.
En novembre dernier, Amnesty international, la Fédération internationale des droits humains, Reporters sans frontières et d’autres ONG, s’étaient réunies en un collectif pour appeler les autorités marocaines à arrêter le harcèlement mené contre Maati Monjib. Elles demandaient également l’abandon de toutes les accusations infondées contre l’intellectuel.

Dans son dernier rapport annuel, Human Rights Watch estime qu’en 2019, le « Maroc a intensifié sa répression contre des commentateurs des réseaux sociaux, des artistes et des journalistes exprimant des opinions critiques à l’égard de la monarchie ».

RTBF.BE, 1 fév 2021

Tags : Maroc, Maati Monjib, Presse, répression, journalistes,

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