Algérie-France : Le rapport de Stora occulte les crimes coloniaux

Organisation nationale des moudjahidine : Le rapport de Stora occulte les crimes coloniaux

Le rapport de Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre de Libération a «occulté» les crimes coloniaux, et tenté de résumer le dossier de la Mémoire dans le cadre d’une célébration symbolique, pour tourner la page de la reconnaissance et du pardon, a indiqué le secrétaire général par intérim de l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM), M. Mohand Ouamar Benelhadj.

Dans une vidéo diffusée sur la chaîne YouTube de l’organisation, le moudjahid Mohand Ouamar a indiqué que le rapport remis par l’historien Benjamin Stora à l’Élysée, début janvier, «a montré ses limites» dans le récit des faits historiques, soulignant que le contexte d’élaboration du rapport laisse supposer que Stora a trahi ses idées et qu’on «lui a imposé le texte», pour des raisons purement politiques.
Stora, qui a évoqué, dans des écrits précédents, le côté obscure de l’histoire coloniale de la France, «a omis d’aborder dans son rapport les différents crimes coloniaux perpétrés par l’État français, de l’aveu des Français eux-mêmes», a ajouté le SG par intérim de l’ONM. Pour M. Benelhadj, Benjamin Stora a évité d’évoquer «la genèse du problème mémoriel entre les deux pays qui remonte à 1830 lorsque Charles X a envoyé son armée en Algérie pour la coloniser, piller ses richesses et exterminer son peuple». Soulignant que l’historien français a tenté de faire fi de cette histoire douloureuse entachée «d’enfumades, de massacres et d’épidémies ayant décimé des millions d’Algériens», le même responsable a indiqué que M. Stora avait réduit tous les meurtres dans «l’assassinat d’Ali Boumendjel, en appelant à une célébration commune de cet événement pour clore le dossier Mémoire». Le SG par intérim de l’ONM a mis en doute, par ailleurs, la sincérité de la volonté politique du côté français, estimant que le fait «d’écarter toute possibilité d’excuses de la part de la France officielle pour ses crimes coloniaux est de nature à torpiller les tentatives de réconciliation avec la mémoire». «Les Algériens n’attendent pas de l’État français une indemnisation financière pour les millions de vies, mais l’appellent à reconnaître ses crimes contre l’humanité», a-t-il déclaré. Rappelant, dans ce cadre, les anciennes pratiques de l’État français s’agissant du dossier de la Mémoire, exploité à maintes reprises lors des grands rendez-vous politiques du pays, M. Mohand Ouamar a indiqué que les Français ont de tout temps traité cette question avec «des objectifs cachés», le Président Macron tentant de jouer cette carte, lors de la prochaine présidentielle. Par ailleurs, le responsable a rappelé le 64e anniversaire de la grève des huit jours (28 janvier-04 février 1957) initiée par le FLN dans les quatre coins du pays. La réaction des forces françaises était extrêmement violente. Une campagne d’arrestations a été lancée contre les commerçants, tout en rouvrant les locaux par la force, en sus de l’embargo imposé sur les Algériens qui n’a pas abouti, grâce à la mobilisation du peuple». La grève des huit jours constitue une halte décisive dans le parcours de la Révolution, dont les leaders avaient tenté de convaincre l’opinion publique internationale dans le cadre de la Déclaration du 1er novembre. La grève a coïncidé avec la 11e session de l’AG de l’ONU qui a inscrit la cause algérienne dans le cadre du droit des peuples à l’autodétermination.

Seddik Larkeche, expert international : une tentative de surfer sur un entre-deux périlleux

Le rapport de Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre de Libération surfe sur un entre-deux «périlleux» où «les responsabilités étaient toujours symétriques» face à une «asymétrie des réparations» des victimes, a regretté l’expert international en gestion stratégique des risques, Seddik Larkeche.

«Vous avez fait le pari de surfer sur un entre-deux où les responsabilités étaient toujours symétriques, pour sauver une laborieuse tentative de démonstration qui ne pouvait aboutir pour faire face aux démons du passé. Avec une équation intenable, la symétrie des mémoires et des responsabilités, face à une asymétrie des réparations à l’encontre des victimes, le tout renforcé par une formalisation difficile d’accès comme si volontaire», a-t-il écrit, dans une libre tribune rendue publique et dont une copie a été transmise à l’APS.

Déplorant «un jeu permanent de tentative d’équilibre entre la puissance coloniale, les Européens, les Harkis et les autochtones algériens», ce professeur des universités a pointé du doigt la «subjectivité assumée» de Benjamin Stora et esquissée par la référence à de nombreux auteurs, pour «soutenir un discours orienté sur une histoire mémorielle et de la guerre d’Algérie».

«Il semblerait que votre cheminement soit construit avec le prisme d’une symétrie permanente des phénomènes observés s’éloignant de la réalité historique qui était tout sauf équilibrée entre les différents protagonistes», a-t-il ajouté, à l’adresse de Benjamin Stora.

Il a reproché à l’historien sa volonté d’esquiver cette «violence inouïe à l’égard des autochtones algériens» de 1830 à 1962, pour «tenter de justifier une symétrie des mémoires et, par prolongement, des responsabilités».
«Alors que la responsabilité de la colonisation est unilatérale, vous feignez de ne pas savoir que du côté de la puissance coloniale et des Européens qui s’y accolaient, la violence était massive et industrielle, alors que du côté des indigènes algériens, elle était en réaction, ponctuelle et artisanale», a-t-il soutenu. Pour Seddik Larkeche, «ce n’est pas la guerre de décolonisation qui fut la plus brutale, mais la conquête avec près de 30% de la population qui fut décimée avec une rare violence».

«Le récit officiel français ne veut s’étaler sur cette tragédie ou, pour certains, l’édulcore —comme vous le faites — avec ce concept de brutalisation», a-t-il dénoncé, expliquant que l’historien utilise ce concept pour «corroborer» sa «tentative de démonstration des symétries des responsabilités et d’une société coloniale qui avait aussi de bons côtés dans un monde de contact et d’interactions positives».

Il a avancé, dans ce contexte, que la ligne de conduite du colonialisme est semblable à celle du nazisme, voire pire. «L’idéologie coloniale est plus pernicieuse que l’idéologie nazie qui a pourtant cultivé le malheur de vouloir explicitement la mort de l’autre dans un système totalitaire.
La doctrine coloniale est plus sournoise, car elle est associée à un modèle démocratique. Elle se cache derrière les fondements républicains, pour mieux asseoir le mythe de la mission civilisatrice par les massacres et la domination», a-t-il affirmé.

L’ignominie française en Algérie, a-t-il poursuivi, «se traduit par les massacres qui se sont étalés sur près de cent trente années, avec une évolution passant des enfumades au moment de la conquête, aux massacres successifs de villages entiers… pour aller vers les crimes contre l’humanité du 8 mai 1945».

Marche arrière dans l’apaisement des mémoires

Il s’est interrogé, à ce propos, sur «cette marche arrière entre 2011 et 2021» de Stora qui ne propose plus, dans ses préconisations, la reconnaissance du 17 octobre 1961 comme crime d’État, mais aussi sur son «silence» concernant la reconnaissance du 8 mai 1945 qui est un crime contre l’humanité.

Selon cet expert, le lecteur ressent le parti pris politique de l’historien dans son rapport, du début jusqu’à la fin, pour «en devenir gênant».
«Nous percevons assez vite que votre objectif est de tenter — par quelques propositions — de ne pas intervenir sur l’essentiel, la reconnaissance pleine et entière de la responsabilité de l’État français dans la colonisation qui a été effroyable pour la majorité des Algériens avec des crimes contre l’humanité et des crimes d’État», a-t-il affirmé.

Il a soutenu, à ce titre, que la posture développée par l’historien français, «supposée ambitieuse, nous fait, en réalité, reculer dans l’apaisement des mémoires», reprochant à celui-ci de ne pas avoir su saisir l’opportunité de franchir un palier qui était celui de la responsabilité et de la reconnaissance.

«Sur vos recommandations, elles n’apportent rien de nouveau que les conclusions des comités mixtes franco-algériens qui se réunissent régulièrement, sinon une marche arrière dans l’apaisement des mémoires», a-t-il jugé, estimant que les quelques propositions avancées dans le rapport «semblent maintenir l’essentiel, en l’espèce la position dramatique de ne pas reconnaître pleinement les responsabilités de l’État français».
«Ce qui est troublant, c’est qu’il semblerait que vous vous soyez raidi avec le temps, comme si votre vocation d’historien avait été supplantée par une dimension politique», a-t-il écrit, regrettant que Stora n’ait pas emboité le pas au président français Emmanuel Macron qui avait ouvert la voie en reconnaissant les crimes contre l’humanité et les excuses nécessaires. «Au lieu de s’inscrire dans cette continuité idéologique du président Macron, vous avez fait marche arrière, avec l’ambition d’esquiver les questions clés et de surfer sur le thème de symétrie des responsabilités et la communautarisation des mémoires qui stigmatise toujours un peu plus les Franco-Algériens», a-t-il déploré. En plus de l’occultation des excuses exprimées par le président Macron, en 2017, Seddik Larkeche a déploré également l’occultation du projet de criminalisation de la colonisation en Algérie ou la question de la réparation initiée par des intellectuels français et algériens, où le Conseil constitutionnel français avait statué favorablement en 2018.

El Moudjahid, 31 jan 2021

Tags : Algérie, France, Colonisation, Mémoire,


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