La France est membre actif du Groupe d’Action Financière (GAFI), un organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Aussi, et conformément à la réglementation européenne et locale, les autorités françaises ont mis en œuvre un ensemble étoffé de mesures et de lois pour lutter contre ce fléau planétaire qu’est le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) est une institution intégrée à la Banque de France, fondée en janvier 2010 et chargée de la surveillance de l’activité des banques et des assurances en France.
Le 8 janvier 2020, l’ACPR décide d’ouvrir une procédure disciplinaire à l’encontre de la société Attijariwafa Bank Europe (AWBE), dont le siège social est au 6, rue Chauchat dans le 9ème arrondissement de Paris.
La société AWBE, créée en Octobre 2005, exerce son activité en France mais aussi, par l’intermédiaire de succursales, dans cinq autres pays européens (Allemagne, Belgique, Espagne, Italie et Pays-Bas). AWBE est détenue à 99,77 % par la holding Attijariwafa Euro Finances, elle-même filiale à 100 % du groupe bancaire Attijariwafa Bank dirigé par Mohamed El Kettani, et dont l’actionnaire de référence est la Holding Al Mada, propriété de la famille Royale marocaine…
Si le groupe Attijariwafa, compte environ 20 000 collaborateurs dans le monde et plus de 10 millions de clients, AWBE a réalisé, au travers de ses 61 agences en Europe et ses 87.000 clients, un produit net bancaire de 46,4 millions d’euros en 2019 de et une perte nette d’environ 5 millions d’euros.
Mais comment cette filiale de la première banque au Maroc, qui affirme être la 4ème banque d’Afrique selon le total de ses actifs contrôlés à 46% par le fonds d’investissement Al Mada, dont l’actionnaire principal n’est autre que Siger, la holding personnelle du Roi Mohamed VI, a pu se retrouver sur le banc des accusés ?
Tout a commencé à la suite d’un contrôle de l’ACPR en 2012, se concluant par une sévère mise en demeure adressée à la banque marocaine AWBE, aux fins de remédier aux manquements constatés par la mission de contrôle en matière de contrôle interne et de Lutte Contre le Blanchiment et le Financement du Terrorisme (LCB-FT) !
Deux années passent, avant qu’une mission de suivi de la mise en demeure constate que le projet de remédiation n’a pas été finalisé, malgré le constat de quelques tentatives d’actions correctives.
Entre le 3 octobre 2018 et le 1er février 2019, AWBE fait de nouveau l’objet d’un contrôle portant, entre-autres, sur le dispositif LCB-FT, qui sera suivi le 13 décembre 2019, après le constat de flagrantes insuffisances, de l’ouverture d’une procédure disciplinaire.
Les équipes de contrôle et d’inspection de la Banque de France ont en effet constaté, que la société AWBE ne se conformait pas à la réglementation et continuer de classer de manière incorrecte les caractéristiques des produits et des services qu’elle offrait, ainsi que ceux de sa clientèle et des risques liés aux pays de destination des fonds.
En exemple, l’activité de transfert de fonds à partir d’espèces, « Trans’espèces », proposé par cette banque détenue majoritairement par la famille Royale du Maroc, et qui permettait à n’importe quel client, titulaire ou non d’un compte dans ses livres, de transférer jusqu’à 20.000 Euros d’espèces à destination d’un compte à son nom ou sur celui d’un bénéficiaire ayant un lien de parenté avec lui, ouvert dans l’un des établissements du groupe Attijariwafa Bank dans toute l’Afrique !
De même, Attijariwafa Bank Europe contrôlée majoritairement par la famille du Roi Mohamed VI, proposait un service de transferts de fonds à partir d’espèces à destination du Mali, alors que ce Pays fait l’objet d’une surveillance rapprochée par le Groupe Intergouvernemental d’Action contre le Blanchiment d’Argent en Afrique de l’Ouest (GIABA), une institution spécialisée de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), chargée du renforcement des capacités des États membres dans la prévention et la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme dans la région.
Le GIABA affirmait que le dispositif malien de Lutte Contre le Blanchiment et le Financement du Terrorisme (LCB-FT), nécessitait clairement « des améliorations importantes afin d’être conforme aux pratiques et standards internationaux ». En outre, dans son rapport de novembre 2019, le GIABA a relevé, une fois encore, que Bamako « fait face à des risques importants de Financement du Terrorisme (FT) en lien avec des terroristes locaux et étrangers » !
Il est étrange que tous ces services ‘’royaux’’ proposés par la banque marocaine aient pu être classés dans la rubrique ‘’Normal’’, alors qu’en raison de l’utilisation d’espèces, de telles opérations auraient plutôt dû être classées à un niveau de risque élevé, en raison de l’anonymat qui les caractérise.
Suite au contrôle approfondi qu’elle subissait par les hautes autorités financières françaises, la banque Attijariwafa Bank Europe a également été épinglée sur ses obligations de vigilance, à l’égard des personnes politiquement exposées…
Le Code Monétaire et Financier français, qui regroupe les dispositions de nature législatives et réglementaires concernant les activités des professionnels de la banque, de la finance et de l’assurance, dicte que lorsqu’un client, ou son bénéficiaire effectif, est une personne politiquement exposée, ou le devient au cours de la relation d’affaires, l’établissement financier se doit d’appliquer des mesures de vigilance complémentaires.
Or, au moment du contrôle sur place, plus d’une vingtaine de dossiers de personnes politiquement exposées ne comportaient aucune information précise sur le patrimoine des personnes en cause, ou sur l’origine des fonds impliqués dans la relation d’affaires ou la transaction !
De plus, le nombre d’employés, à peine trois collaborateurs de la banque alloués à la sécurité financière, était insuffisant pour que la banque Attijariwafa Bank puisse traiter, détecter et alerter sur toutes ces opérations frauduleuses, ni lui permettre d’exercer, avant la mi-Juin 2018, une vigilance constante et satisfaisante, menant à un examen renforcé ou à des déclarations de suspicions comme le préconise la loi…
C’est ce qui a permis, par exemple, à associations domiciliées aux Émirats arabes unis, de transférer plusieurs virements pour un montant total supérieur à 500 000 euros, au bénéfice d’une association située au Niger, ou à ce client domicilié en Libye, pays classé comme à risque élevé par l’établissement, à procéder à deux virements, de 15 000 euros et de 250 000 euros, effectués au profit, respectivement, d’une personne physique et d’une entreprise domiciliée à Malte…
Toutes ces opérations n’étaient pas suffisamment documentées, ne disposaient pas d’éléments permettant de connaître la justification économique des opérations, ni leurs motifs annoncés précis !
La banque préférée du Makhzen n’a pas non plus, selon l’ACPR, respecté ses obligations de déclaration de soupçon à Tracfin, l’organisme du Ministère de l’Économie et des Finances français, chargé de la lutte contre la fraude fiscale, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Et pourtant les dossiers suspects ne manquaient pas à l’image de ces opérations portant sur des montants ronds et des sommes élevées, s’élevant à 14 millions de US dollars pour un seul client physique, alors que d’autres étaient mentionnés comme étant des clients dans la base de données des « offshore leaks », publiées par des journalistes d’investigation, à partir de fuites de données qui portent sur des comptes ouverts dans des paradis fiscaux !
Sans parler de ces fonds destinés à un trust domicilié dans les Iles vierges britanniques, et dont la justification par des factures émises pour des frais de gestion, ne permettait pas d’exclure que cette structure ait pu être utilisée à des fins de BC-FT, selon le rapport de la commission de la Banque de France.
Ou enfin de ces 33 transferts de fonds effectués entre le 24 janvier 2017 et le 1er octobre 2018, dont 6 compris entre 30 000 et 45 000 euros, qui n’avaient pas pu être justifiés par les informations détenues par Attijariwafa Bank Europe sur le client, »un homme politique gabonais de premier plan » !
Ces nombreuses carences et défaillances de la banque marocaine sont le fruit d’un dispositif de traitement des alertes aussi permissif que défaillant, dispositif qui a touché l’ensemble des succursales en Belgique et aux Pays Bas. Certaines agences sont même restées sans faire l’objet de contrôles permanents sur leur dispositif de Lutte Contre le Blanchiment et le Financement du Terrorisme (LCB-FT) …
Pis encore, le dispositif de LCB-FT de 12 agences françaises ou européennes d’AWBE n’a pas fait l’objet d’un contrôle périodique depuis 2013 et, pour l’une d’entre elles au moins, depuis 2012, alors que 6 agences n’ont jamais fait l’objet d’un contrôle périodique…
Pourtant sur son site internet, la maison-mère Attijariwafa Bank affirmait s’être dotée « d’une fonction de »conformité » qui a pour mission principale de s’assurer que le Groupe agit conformément aux règles et directives internes, à la législation et aux réglementations en vigueur, aux codes de conduite, et ce afin de se prémunir contre tous risques de non-conformité pouvant exposer le Groupe à des sanctions. »
Malgré l’évidente incapacité d’Attijariwafa Bank Europe à lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du Terrorisme, cette banque financée par les avoirs de la famille royale marocaine, a tout de même osé envoyer à la mi-février 2020, une déclaration au Wolsfberg Group, tentant de prouver qu’elle respecte le cadre et les conseils relatifs à la criminalité financière et le devoir de diligence transfrontalier des correspondants bancaires !
Rappelons que le Wolfsberg Group est une association non gouvernementale de treize banques mondiales occidentales, dont l’objectif est de développer des normes du secteur financier pour les politiques de lutte contre le blanchiment d’argent (AML), la connaissance des clients (KYC) et la lutte contre le financement du terrorisme (CTF). Son travail est similaire à ce que fait le Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI) au niveau gouvernemental.
Des déclarations qui font fi de la réalité des faits et de l’amère vérité sur des pratiques illégales éventées par les autorités financières françaises, et ayant abouti, le 24 décembre 2020, à une lourde sanction contre la banque du Monarque du Maroc.
En effet, même si le rapport d’inspection des organes de contrôles de la Banque de France tient compte, dans une certaine mesure, de la mise en place d’actions correctives, d’actions de formation du personnel et de renforcement des directions des risques et de la conformité par Attijariwafa Bank Europe, les graves manquements retenus par la Commission de l’ACPR ont pleinement justifié le prononcé d’un blâme contre Attijariwafa Bank Europe.
Par ailleurs, et eu égard à sa situation financière déficitaire, il a été prononcé à son encontre une sanction pécuniaire de 500 000 euros !
Notons que les responsables de l’AWBE, ont demandé de ne pas publier les conclusions du rapport financier et les décisions de sanctions prononcées sous forme nominative, soutenant que cela lui causerait un préjudice disproportionné, en raison de l’avantage que pourraient en tirer ses concurrents !
Cette surprenante requête, laisse entendre que les représentants des actionnaires de la première banque du Royaume du Maroc, préfèrent négliger l’exigence d’intérêt général à laquelle ils devraient répondre, pour privilégier le seul intérêt de la société et de ses actionnaires…
La Banque de France n’a pas donné suite à la demande de Rabat, et a décidé de publier sa décision au registre de l’ACPR sous forme nominative pour une durée de cinq ans, sanctionnant ainsi Attijariwafa Bank Europe pour les trop nombreux illégaux flux monétaires internationaux, qui favorisent la corruption, la criminalité et le terrorisme à l’international !
Rappelons que la succursale italienne d’Attijariwafa Bank Europe (AWBE) avait déjà fait l’objet d’une mission de contrôle menée par le régulateur italien, entre le 29 avril et le 19 juin 2019. À la suite de cette inspection, la Banque d’Italie a considéré que la succursale italienne d’Attijariwafa Bank Europe ne respectait pas les règles de transparence régissant l’activité de ladite banque.
Au mois d’Août 2019, l’Italie a alors interdit à la succursale italienne d’AWBE la mise sur le marché de nouveaux produits et services que ceux déjà proposés, tout comme elle a exclu la distribution des produits et services de paiement de la société mère et des banques des pays tiers appartenant au groupe, enfin elle a exigé de la filiale bancaire italienne d’AWBE le remboursement de sommes indûment débitées tout en lui interdisant de créer de nouvelles agences !
La principale banque du Royaume, contrôlée par le monarque Mohamed VI et sa famille, qui se voit infliger blâme et sanctions par les banques centrales françaises et italiennes pour Blanchiment et Financement du Terrorisme, c’est tout sauf anodin !
Bachir Outaghani
Source : Algérie Part Plus, 28 jan 2021
Tags : Maroc, Attijariwafa Bank, blanchiment d’argent, financement du terrorisme,
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