Analyse : Le Maroc fait monter les enchères sur le Sahara occidental

Rabat fait monter les enchères sur le Sahara occidental

En échange de l’apaisement d’Israël, le Maroc a fait reconnaître ses revendications sur le Sahara occidental par Trump. Algérie (entre autres) objets.

par Tiziana della Ragione

En échange de l’officialisation des relations avec Israël, le 10 décembre 2020, le président américain sortant Donald Trump a reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, un territoire stratégique majoritairement contrôlé par Rabat mais revendiqué par le Front Polisario soutenu par l’Algérie, un mouvement indépendantiste représentant la population sahraouie. .

Le Maroc et Israël partagent des liens informels depuis des décennies. Leur coopération en matière de sécurité et de renseignement repose en partie sur le fait qu’Israël accueille la plus grande diaspora juive du Maroc.

Il est donc trompeur d’interpréter l’accord de normalisation entre les deux pays comme un traité de paix ou une sorte de nouvelle relation.

Les nouveautés de l’accord – qualifiées de «normalisation moins» par certains experts pour mettre en évidence la différence avec un processus de normalisation complet (1) – sont principalement la réouverture des bureaux de liaison des deux côtés (2) et la coopération sur les ressources en eau, les finances, l’investissement et l’aviation civile. Cette dernière est marquée par la mise en place de vols directs entre Tel Aviv et Rabat.

Cependant, alors que les médias israéliens ont claironné ces développements, les marocains sont restés presque silencieux à leur sujet. L’attitude différente découle probablement d’un décalage. Pour Israël, il s’agit du quatrième accord de normalisation avec les États arabes depuis août 2020, après les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan. Cela renforce sa position régionale et laisse entendre que la paix avec les États arabes ne nécessite pas de résoudre la question palestinienne. Pour le Royaume du Maroc, au contraire, la fausseté des liens avec Israël est une question controversée, puisque Rabat a traditionnellement plaidé au nom des Palestiniens. L’accord conteste l’appui du Maroc à la solution des deux États et a déjà accru l’opposition intérieure des islamistes, des nationalistes et des factions pro-palestiniennes.

Le vrai plus pour le Maroc est ce qu’il obtient de Washington, à savoir la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara occidental. Ceci est d’une grande pertinence, car le Sahara occidental est le principal objectif de la politique étrangère de Rabat depuis le milieu des années 1970 – lorsque le Royaume a commencé à occuper la région après le retrait de l’Espagne, en 1976. Le traité légitime désormais sa souveraineté sur la région sans avoir besoin d’un annexion formelle. En fait, le statut du Front Polisario, les droits des réfugiés sahraouis en Algérie et le statut juridique de la région restent en suspens. (3)

Légitimer la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, dont 75% est déjà contrôlé par le Royaume, ne pose pas seulement des problèmes au Front Polisario représentant la République arabe sahraouie démocratique (RASD) (4). Elle provoque également des tensions au niveau international, notamment avec l’Algérie.

Au niveau régional, le Maroc a mené une politique d’occupation progressive du territoire contesté, utilisant des incitations telles que des subventions, des salaires élevés et des allégements fiscaux pour que ses citoyens s’y installent. Le Front Polisario a toujours perçu l’occupation marocaine comme une usurpation illégale de terres sahraouies et s’y est constamment opposé. Après des années de combats, la résolution 690 de l’ONU a réussi en 1991 à négocier un cessez-le-feu entre les deux parties. Cependant, le référendum promis sur l’autodétermination du peuple du Sahara occidental – un choix entre l’intégration au Maroc ou l’indépendance – n’a jamais vu sa lumière. Un élément crucial était en fait de décider qui devait voter, ce que les deux parties considéraient comme essentiel pour aboutir à un résultat favorable. Malgré les efforts de l’ONU pour arbitrer le processus de paix, aucune solution appropriée n’a été trouvée (5).

Le 15 novembre 2020, le cessez-le-feu de 29 ans a été rompu par le Maroc menant des opérations militaires contre des militants indépendantistes au point de passage d’El Guergarat, une zone frontalière patrouillée par l’ONU au Sahara occidental (6). L’acte a été considéré par le Front Polisario comme une provocation et ses dirigeants ont exhorté les Nations Unies à intervenir.

Au cours de toutes ces années, l’Algérie a été le principal soutien du Front Polisario, certainement motivée par une conviction idéologique dans la cause de l’autodétermination et de l’indépendance de l’Afrique postcoloniale. Cependant, une raison peut-être encore plus forte de soutenir le Polisario était son propre intérêt à contrôler l’expansionnisme du Maroc au Sahara occidental.

En effet, le Sahara Occidental bénéficie d’un emplacement stratégique directement sur l’océan Atlantique et possède une vaste richesse en ressources naturelles telles que les phosphates, notamment dans la partie 2/3 contrôlée par le Maroc. Les phosphates sont des ingrédients clés et finis pour les engrais synthétiques, faisant ainsi une ressource de base dans la production alimentaire mondiale. Le Maroc et le Sahara occidental occupé par le Maroc abritent de loin la plus grande réserve devant la Chine, l’Algérie et la Syrie.

Les gisements du Maroc ont donc été d’une importance capitale pour la production alimentaire mondiale et l’Algérie est en concurrence avec le Royaume sur les marchés continentaux et mondiaux du phosphate pour ses exportations.

On pense également que le Sahara occidental héberge d’importantes réserves de pétrole et de gaz en mer, mais en raison du conflit non résolu, ces eaux sont officiellement interdites à l’exploration. Ces dernières années, il y a eu une forte tension entre l’Algérie et le Maroc: ce dernier a délivré plusieurs licences d’exploration à des sociétés pétrolières internationales autorisant leurs activités de forage dans les eaux atlantiques au large du Sahara occidental. L’hostilité de Rabat envers le Maroc est enracinée dans le secteur pétrolier et gazier qui est l’épine dorsale de l’économie algérienne, représentant environ 20% du produit intérieur brut et 85% des exportations totales (7).

Le Maroc, en revanche, est pauvre en énergie, important actuellement 95% de ses besoins. La légitimité de son contrôle de fait sur le Sahara Occidental pourrait lui permettre de reprendre ses activités pétrolières et gazières offshore, concurrençant ainsi l’Algérie au Maghreb.

Trump proclamant unilatéralement la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental a été fermement condamné par le gouvernement algérien et diverses organisations (8). Cependant, jusqu’à présent, l’Algérie n’est pas allée plus loin. Le président algérien Abdelmadjid Tebboune et le Pouvoir, l’appareil militaro-politique contrôlant le pays, sont conscients que cette décision n’est ancrée dans aucun droit international. En effet, elle va à l’encontre de la Cour internationale de justice, de la Cour européenne de justice, de l’Union africaine, de l’Assemblée générale des Nations Unies et du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui ont tous toujours reconnu le Sahara occidental comme un territoire non autonome (un colonie) dont le peuple a droit à l’autodétermination (9).

Avant de prendre des mesures supplémentaires, l’Algérie attendra probablement les réponses de l’ONU et de l’administration Biden. Si ce dernier appliquait la décision de Trump, la coopération en matière de sécurité entre les États-Unis et l’Algérie serait probablement sapée. Cette coopération a de vastes implications sur la menace terroriste et l’instabilité du Sahel, comme le savent bien les acteurs régionaux.

D’un autre côté, l’Algérie réfléchit probablement à sa capacité à soutenir davantage le Front Polisario à un moment où elle est menacée par de graves troubles économiques, une épidémie de coronavirus en cours et une forte instabilité politique (10).

De plus, au Sahara occidental, l’Algérie ne peut pas compter sur la Russie, son alliée militaire historique. Si le Kremlin a critiqué les États-Unis pour leur action unilatérale sur le Sahara occidental (11), il détient un intérêt stratégique en Afrique du Nord, où il voit le Maroc comme un partenaire important. D’où une coopération bilatérale croissante dans les domaines de l’énergie, de la sécurité et du commerce (12).

Dans l’état actuel des choses, une escalade du conflit entre le Maroc et l’Algérie au Sahara occidental est peu probable. Mais les tensions régionales devraient rester fortes.

Notes

1. “Israel and Morocco – is it normalization?”, INSS Israel, 24 Dec. 2020.
2. Israel operated the liaison office in Morocco from 1994 to 2000, and Morocco had a similar office in Israel. Following the second Palestinian intifada in 2000, ties with the Kingdom receded from public view.
3. Intissar Fakir, “What’s Next for the Western Sahara Conflict?“, Lawfaire, 18 Dec. 2020.
4. SADR is the government in exile that aims at governing Western Sahara. It’s based in the Tindouf refugee camps in Algeria and controls the area east of the Moroccan Wall in Western Sahara, labelled “Free Zone”.
5. Anna Theofilopoulou, “The United Nations and Western Sahara: a Never-ending affair”, United States Institute for Peace, Jul. 2006.
6. El Guergarat Crossing is a buffer zone between the territory claimed by Morocco and the self-declared Sahrawi Arab Democratic Republic.
7. “Algeria Facts and Figures”, Organization of Petroleum Exporting Countries.
8. “Normalisation Maroc-Israël: Alger dénonce «l’arrivée de l’entité sioniste» à ses frontières”, Middle East Eye, 13 Dec. 2020; “Algeria rejects Trump stance on Western Sahara”, Reuters, 12 Dec. 2020.
9. Alice Wilson, “Trump enables occupation and threatens peace prospects in Western Sahara”, Democracy in Africa, 22 Dec. 2020.
10. Tiziana della Ragione, “Algeria: What the Hirak wants – but can’t get”, Limesonline, 23 Dec. 2020.
11. “The Israel-Morocco peace deal is roiling Western Sahara”, The Economist, 16 Dec. 2020.
12. Dylan Yachyshen, “The Kremlin’s north Africa gateway”, The Republic, 31 Jul. 2020.
Tiziana della Ragione est chercheuse junior au Centre Moshe Dayan (MDC) pour les études sur le Moyen-Orient et l’Afrique, Université de Tel Aviv.

Source : Limes Revista italiana de Geopolitica, 26 jan 2021

Tags : Sahara Occidental, Maroc, Front Polisario, Donald Trump, Joe Biden, Etats-Unis, normalisation, Israël,

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