Le président tunisien Kaïs Saïed s’est livré ce lundi à l’ouverture d’un Conseil de sécurité national, élargi pour l’occasion, à une véritable diatribe contre le système politique dans son ensemble, celui-là même qui s’était mis en place au lendemain de la chute de l’ancien régime représenté par Zine el-Abidine Ben Ali. Au regard des circonstances tendues qui font l’actualité de la Tunisie, dont des émeutes sur des revendications sociales dans pratiquement tout le pays coïncidant avec le dixième anniversaire de la fuite de Ben Ali, les paroles qu’il a tenues devant une assemblée médusée n’ont pas été sans rappeler le discours du président algérien Chadli Bendjedid en septembre 1988, à la veille du tournant qu’a constitué l’explosion d’octobre de la même année. On sait quelles avaient été les conséquences quasi immédiates produites par le discours virulent digne d’un d’opposant de l’ancien président algérien. On ignore encore, et pour cause, celles qu’aura celui du président tunisien, mais il ne serait pas étonnant qu’au bout du compte elles soient de même nature que les premières. Saïed a tout simplement fait savoir à son auditoire, formé entre autres du président de l’Assemblée et leader d’Ennahda Rached Ghannouchi, et du chef du gouvernement Hichem Mechichi, qu’il récusait le remaniement ministériel effectué récemment par ce dernier, lequel s’est traduit par la réattribution de pas moins que de onze portefeuilles.
Une sortie qui en elle-même n’a pas constitué une surprise pour ceux qui observent d’assez près la scène politique tunisienne, que d’ailleurs son auteur a pris soin d’enrober dans des considérations de droit, sa spécialité universitaire, touchant quatre désignations des onze en question. Une d’entre elles parce que son bénéficiaire est soupçonné de corruption, et les trois autres parce qu’elles concernent des personnes soupçonnées de conflits d’intérêt. En tant que garant de la Constitution, il n’acceptera pas que ces quatre personnes prêtent serment devant lui. Un passage obligé qui à ses yeux n’est pas un acte de pure forme, mais au contraire un moment de grande signification susceptible d’entraîner des conséquences judiciaires pour ceux de ses prestataires qui ensuite n’en respecteraient pas les termes dans l’exercice de leurs fonctions. Saïed n’a jamais caché son rejet de la Constitution en vigueur depuis 2014, et par là même son désir de la transformer de fond en comble. Déjà son prédécesseur, Béji Caïd Essebci, s’était plaint de ce qu’elle n’accordait que peu de prérogatives au président de la République, pourtant élu au suffrage universel.
Le chef de gouvernement actuel, Hichem Mechichi a été choisi par le président, avant d’obtenir la confiance de l’Assemblée pour lui-même et son équipe. Or il a procédé dernièrement, dans la perspective du dixième anniversaire du changement politique de 2011, à un large remaniement de son gouvernement, et cela sans en référer au président de la république, qui l’avait désigné. La coupe de celui-ci s’en est trouvée pleine du même coup. Elle a débordé comme de juste lundi devant un Conseil de sécurité élargi pour l’occasion à son initiative. Dans un discours d’une demi-heure offensif de bout en bout, Saïed a fait éclater à la surface une crise politique latente depuis son élection en 2019. Il ne sera pas possible de faire comme s’il n’avait pas été prononcé. La crise désormais ouverte n’a plus qu’à développer ses potentialités, à l’intérieur des institutions comme à l’extérieur d’elles.
Le Jour d’Algérie, 26 jan 2021
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