Histoire coloniale: un rapport décevant de Benjamin Stora
Par Mohamed Kouini
Ni excuses officielles, ni discours de repentance, ni reconnaissance explicite des politiques génocidaires du colonialisme, ni même pas rétablissement des vérités sur les victimes des essais nucléaires et chimiques, ni réparations encore moins une volonté nette de restituer les biens de l’Algérie notamment le canon “Baba Merzoug”. Il faut bien le dire expressément que le rapport de l’historien Benjamin Stora sur ” les mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie “, remis ce mercredi au président français Emmanuel Macron, est décevant.
Les 22 préconisations ou recommandations de ce rapport, de 146 pages, foisonnent beaucoup plus de gestes symboliques, d’approches plus événementielles ou commémoratives que d’une réelle volonté de faire éclater la vérité ou les vérités ou de rétablir les droits. Le colonisé et le colonisateur pour Stora sont situés au même niveau. Le sentiment que dégage les 22 recommandations de l’historien donnent à penser qu’il tente ménager le choux et la chèvre voire sortir de cette mission qui lui a été confiée par le chef d’Etat indemne et sans susciter du ressentiment dans l’hexagone.
Car, la guerre d’indépendance ou de libération ne sera jamais nommée une guerre d’Algérie ou événements d’Algérie, pour reprendre les périphrases de l’autre côté de la Méditerranée. Le prisme est une emprise, surtout dans une entreprise intellectuelle délicate, qui charrie des histoires, des émotions, des drames et des catastrophes humaines.
Il était évident que Stora, même précautionneux et méthodique dans ses formulations, était otage des lobbies mémoriels français. Son rapport demeure, certes, français, et destiné aux seuls français et ne peut en rien engager les autorités algériennes. Ainsi, il n’évoque ni la restitution totale et inconditionnelle de nos archives historiques, ni de nos biens volés et confisqués, de nos trésors accaparés et de notre propre patrimoine. Comme sur le canon Baba Merzoug, ou la ” Consulaire “, ravi aux Algériens en juillet 1830, aujourd’hui considéré comme objet de patrimoine français et installé à l’arsenal de Brest.
Par un glissement sémantique, Stora semble consacrer le hold-up en proposant la création d’une commission chargée d’établir l’historique du canon et de formuler des propositions partagées quant à son avenir, respectueuses de la charge mémorielle qu’il porte des deux côtés de la Méditerranée. Voilà donc un canon authentiquement algérien qui devient négociable car il porte une charge mémorielle chez les français.
De même, le rapport reste atone sur les victimes des expériences nucléaires et chimiques, sur leurs ravages actuels. Aucun mot sur les razzias, les enfumades, les expropriations des terres et biens, les assassinats collectifs, les destructions. Aucun mot sur les massacres du mai 1945 et ses terribles crimes.
Aucun mot sur les atrocités d’une colonisation qui a dépeuplé un territoire, jeté en exil des millions d’autres, a déraciné des tribus et des communautés. Aucun mot sur les politiques barbares de la terre brûlée engagée par le ” nationalisme impérial français ” du 19e siècle, qui ont désarticulées le peuple algérien, subissant une féroce acculturation et une inique discrimination identitaire, raciale et religieuse.
Comment réconcilier des mémoires, si cela commence par des omissions, des ” oublis”, par des clins d’œil politiciennes, comme le fait de reconnaître l’assassinat de Maurice Audin, uniquement, alors que des dirigeants nationalistes algériens ont été torturés et achevés, et sur la base de témoignages de militaires français. Suffira t-il seulement la proposition de reconnaître seulement l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel en 1957, tout en occultant d’autres assassinats prémédités, comme celui de Larbi Ben Mhidi?
Le Jeune Indépendant, 20 jan 2021
Tags : France, Algérie, Colonialisme, Colonisation, mémoire, crimes, Guerre d’Algérie,
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