L’ancien conseiller spécial du secrétaire général de l’ONU pour le Yémen, Jamal Benomar, a livré un témoignage de son expérience amère de la détention dans les geôles marocaines dans les années 1970 en raison de son militantisme pour le changement démocratique au Maroc, disant ne pas regretter son engagement malgré le lourd tribut qu’il a payé.
Par Amel N.
«Quelle ignominie que de jeunes manifestants pacifiques soient emprisonnés alors que nos bourreaux sont en liberté. C’est injustifiable et il faut que ça cesse immédiatement, car persister sur cette voie c’est faire injure à tous ceux qui se sont sacrifiés pour la liberté et la dignité», a écrit M. Benomar sur sa page Facebook, 45 ans après avoir été emprisonné et torturé au Maroc.
Jamal Benomar a été arrêté en 1976 avec le groupe «Ila Al Amam» (En avant) dont le militant politique Abraham Serfaty était l’un des piliers, au cours des «années de plomb» au Maroc. Il avait alors été accusé de complot contre le régime.
Jamal Benomar s’est remémoré, avec beaucoup d’amertume, son arrestation.
«Il y a 45 ans jour pour jour, j’ai été enlevé par la sécurité politique marocaine et emmené au poste de police de Rabat où j’ai été torturé toute la nuit», a-t-il précisé.
Durant toutes ces années, il n’est pas parvenu à effacer l’image de ce bourreau qu’il garde toujours en mémoire.
«Ce n’était autre que le dénommé Mohamed El Khalti qui avait torturé et supervisé la torture de dizaines d’activistes dans les années 70», a-t-il dit. Il subit, par la suite, une interminable torture après son transfert dans un centre de détention secret à Casablanca «Derb Moulay Cherif» où il a été détenu, des mois durant, menotté et les yeux bandés à longueur de journée.
Benomar a de nouveau subi une humiliation et une torture barbare du principal bourreau El Youssoufi Kaddour qu’il a dénoncé aux journalistes au milieu des années 90, étonné de le voir au siège de l’ONU à Genève parmi une délégation gouvernementale officielle qui venait présenter un rapport à la commission de l’ONU chargée de la torture.
Benomar est resté prisonnier des autorités marocaines, huit années durant, juste pour s’être opposé pacifiquement à un régime tyrannique et avoir aspiré à la justice et à la liberté.
Tous ses droits légitimes ont été déniés, de même qu’il n’a pas été autorisé à jeter un dernier regard sur son père avant sa mort ni à assister aux obsèques.
L’exil, une solution pour fuir la prison et l’humiliation
Il est libéré en 1983, suite aux pressions exercées sur le Maroc par des organisations des droits de l’Homme, dont Amnesty international.
L’ex-opposant quitte son pays clandestinement pour rejoindre Amnesty international à Londres avant de se rendre aux Etats-Unis où il est passé d’opposant qui a fui la tyrannie des autorités de son pays au cercle de la diplomatie internationale.
Le diplomate rappelle qu’il n’a pas tourné la page de ces années d’intimidation après sa libération, tel qu’il le croyait, le harcèlement et la persécution s’étant poursuivis.
«J’ai été incarcéré une seconde fois suite aux massacres perpétrés par l’armée dans certaines villes du nord du Maroc en janvier 1984 lorsque la population est sortie dans les rues pour protester», a-t-il précisé.
Ensuite, il a été contraint de fuir le pays secrètement dans un bateau de pêche pour rester en exil pendant plus de 20 ans, et là il s’est rappelé d’un souvenir malheureux lié à la mort de sa mère, déplorant le fait de ne pas l’avoir vue au cours des cinq dernières années de sa vie car, a-t-il dit, sa santé ne lui permettait pas de lui rendre visite à New York.
M. Benomar a par ailleurs affirmé «ne pas regretter du tout son militantisme dont il a payé un lourd tribut», ajoutant : «Je suis fier d’avoir soutenu les militants engagés contre la tyrannie et d’avoir contribué de manière très modeste à notre lutte pour le changement démocratique».
Il a en outre regretté que beaucoup de ses camarades détenus d’opinion aient été tués avant de voir le véritable changement politique auquel ils aspiraient, mais nombre de nos tortionnaires sont toujours en vie, profitant de leur retraite et bénéficiant de la protection de l’Etat et d’une impunité honteuse, a-t-il dit.
«Je ressens un mélange de chagrin et de colère, car après 45 ans de la terrible nuit durant laquelle j’ai été arrêté, il y a encore des prisonniers d’opinion au Maroc», a-t-il ajouté. Dénonçant la peine de 20 ans de prison confirmée pour les manifestants pacifiques dans la région du Rif qui réclamaient l’amélioration des prestations gouvernementales en matière de santé et d’éducation, Djamel Benomar a indiqué qu’il «est dommage que les jeunes manifestants pacifiques soient emprisonnés alors que nos tortionnaires restent en liberté. C’est injustifiable et il faut y mettre fin immédiatement, car sa poursuite est une insulte pour nous et pour tous ceux qui ont sacrifié leur vie pour la liberté et la dignité», a-t-il conclu.
A. N.
Le jour d’Algérie, 16 jan 2021
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