Un mouvement actif au Rif: Le MAK du Maroc

Pour ceux qui ne le savent pas encore ou qui l’auraient oublié, il existe un vigoureux mouvement autonomiste, voire même indépendantiste, berbère au Maroc. Le noyau territorial de son assise géographique est le Rif en général et le Rif Central en particulier.

Rien d’étonnant à cela car le Rif n’est pas seulement un espace amazighophone naturel. C’est l’aire de prédilection historique du particularisme berbère au royaume chérifien, et le lieu de naissance de la mythique République du Rif créée en 1922 par le légendaire Muhend Abdelkrim Aït Khattab, mieux connu sous le nom d’Abdelkrim El Khattabi.

Pour rappel, le Rif s’étend, selon les critères physiques, ethniques, linguistiques et historiques, de la ville de Targuibt à la rivière de la Moulouya, intégrant les provinces d’Al Hoceima (Rif Central) et Nador (Rif oriental). Ensemble délimité au Nord par la Méditerranée et au Sud par les montagnes du Rif. C’est à partir de ce «Rifland», du reste du pays et de l’étranger que s’exerce un activisme protestataire et revendicatif, divers et pluriel, s’appuyant sur des mouvements politiques porteurs de l’exigence identitaire et de la revendication d’autonomie ou d’indépendance.

Il possède un tissu associatif dense et fait notamment preuve d’un cyber-activisme riche, intelligent et assidu, assurant une veille 360 degrés d’une certaine qualité. Veille informationnelle et politique utilisant moteurs généralistes et méta-moteurs, moteurs de flux, moteurs d’actualité et micro-blogging. Réseau dense de centaines de sites Web, d’associations, d’organisations et de médias en ligne. Avec un activisme particulier sur YouTube, Viméo et naguère sur Daily Motion, ainsi que sur les réseaux sociaux les plus fréquentés, Facebook, Twitter et Instagram.

Fait remarquable, le mouvement général compte aussi des relais médiatiques au sein de la communauté rifaine en Europe et aux Etats-Unis, tout particulièrement en Espagne, en Belgique, en France et aux Pays-Bas où il dispose de radios et télés sur le Web. On distingue, entre autres vecteurs dynamiques, Rif-Media et Canal-Rif en Belgique, Radio Planète-Rif depuis la Hollande et Rif-Melody et Radio Alhuceima-Info en Espagne. Une vraie toile dans la Toile !

Ses mouvements politiques les plus en vue, sont le MAR, le Mouvement pour l’Autonomie du Rif, le Mouvement du 18 Septembre pour l’Indépendance du Rif et, le plus dynamique, le MARC, le Mouvement pour l’Autonomie du Rif Central. Cette dernière organisation bénéficie de son propre organe d’information, l’actif Tabrat.Info. De façon générale, le mouvement développe des références idéologiques et se base sur un mythe fondateur essentiel : la figure légendaire d’Abdelkrim El Khattabi. L’icône révolutionnaire joue dans ce cas le rôle de «mythomoteur» qui en fait, a lui tout seul, un cadre idéologique fédérateur pour tous les Rifains. Si certains militants particularistes réclament pour l’instant l’autonomie du Rif dans sa totalité ou uniquement dans sa partie orientale, d’autres, plus engagés, militent pour la «fondation d’un Etat moderne et démocratique qui est la République du Rif». Il y a par ailleurs entre tous ces mouvements un fil rouge, à savoir le «Drapeau du Rif», de couleur rouge sang, qu’il est strictement interdit d’exhiber en n’importe quel point du royaume, sous peines de lourdes conséquences policières et judiciaires.

Il y a d’autre part comme autres mythes fondateurs, le martyrologe rifain symbolisé aussi par le premier résistant à la présence militaire espagnole, le cadi Mohamed Ameziane. S’y ajoute la mythologie guerrière représentée d’abord par les victoires mythiques que sont la bataille d’Anwal et celle du Ravin-du-Loup, toutes deux humiliantes pour l’Espagne coloniale. Ensuite, contre l’occupant français, la grande bataille de Ouargha qui vit la cuisante défaite de ses troupes (5 000 morts sur 20 000 engagés). Une débâcle qui avait précipité la chute du maréchal Hubert Lyautey et son remplacement par le maréchal Philippe Pétain. Mais la symbolique héroïque la plus forte est représentée par la bataille d’Anwal dont les anniversaires sont interdits de célébration, sur le lieu même de ce que l’historiographie espagnole a appelé «el desastre de Annual».

Une incroyable bérézina pour l’armée espagnole, avec 16 000 soldats tués, 24 000 autres blessés et 150 canons et 25 000 fusils perdus. Une hécatombe enregistrée dans la région de Temsamane, capitale symbolique de tous les Rifains. Catastrophe qui marqua le début de la Guerre du Rif. Mieux même, un tournant de la résistance rifaine au double protectorat espagnol et français imposé à tout le Maroc.

On le voit donc, le mouvement autonomiste et/ou indépendantiste rifain possède un socle territorial, une idéologie, des mythes fondateurs, un emblème et des instruments de lutte, sans oublier ses prisonniers politiques, références militantes suprêmes, tels Achour Elaamraoui, Abderrahim Idoussalah et Mohamed Jalloul. Enfin, on pourrait dire que le Maroc a désormais son MAK et le Makhzen une écharde subversive au pied. Quant à lui, le Palais royal, qui a désormais une équation séparatiste à résoudre, il ne se gêne pas pour autant d’encourager chez son grand voisin de l’Est le séparatisme version Ferhat Mhenni.

On se souvient à ce propos qu’un diplomate de haut rang de Mohamed VI à l’ONU y avait évoqué la Kabylie, dans ces termes : « L’un des plus anciens peuples de l’Afrique qui continue d’être privé de son droit à l’autodétermination». Et d’y exprimer alors, dans la foulée, le soutien de la diplomatie marocaine à «son droit à l’autonomie et la reconnaissance de son identité culturelle et linguistique».

Cocasse contradiction chez le voisin alaouite qui veut imposer, à tout prix, le fait accompli colonial au Sahara occidental, tout en refusant le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. Et celui des Rifains par ailleurs.

Le Jeune Indépendant, 12 jan 2021

Tags : Maroc, Rif, Hirak, MAK,

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