L’ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia vient-il de lâcher une «bombe» médiatique dont personne ne pourrait évaluer les conséquences sur l’opinion publique nationale ? Affirmer devant un tribunal avoir vendu pas moins d’une soixantaine de lingots d’or offerts par des émirs du Golfe au marché parallèle relèverait, à ce niveau de responsabilité, soit de la déchéance d’un prévenu qui ne croit plus à son innocence ou plutôt d’une parade d’un fin manœuvrier qui sait très bien ce qu’il fait et surtout où il veut parvenir.
Au-delà des effets médiatiques qu’un tel aveu pourrait générer, il y a fort à parier que l’ex-homme fort du système est loin de jouer dans le «spectaculaire» mais qu’il aurait très bien calculé l’impact de ses dires. Le prévenu a toujours bien pesé ses propos depuis le début de ses procès et ce n’est pas aujourd’hui qu’il va se permettre un dérapage lourd de conséquences. Ahmed Ouyahia s’est toujours montré en tant qu’«homme d’Etat» qui a servi «avec honnêteté et loyauté» un chef d’Etat en poste, en l’occurrence Abdelaziz Bouteflika. Il a souvent rappelé devant les juges qu’il ne faisait qu’appliquer, à la lettre, les directives et autres instructions du Président.
L’ex-Premier ministre, faut-il le rappeler, est poursuivi dans le cadre des procès intentés contre une poignée d’oligarques qui ont dilapidé les caisses de l’Etat, et plus précisément il est considéré comme «complice» et non pas accusé directement dans ces affaires. Seul grief relevé à son encontre, à ce jour, ce sont les sommes d’argent, en millions de dinars, trouvées dans ses comptes bancaires et considérées par le tribunal comme preuves de pots-de vin. Au départ, l’accusé Ouyahia aurait invoqué «des cadeaux offerts par des amis», déclaration qu’il a niée lors de la séance de ce samedi au tribunal, et comme pour justifier l’origine de cet argent il invoque cette affaire de lingots d’or offerts par des princes du Golfe.
Dans cet imbroglio, la concentration s’est focalisée sur l’acte illégal de vente de ces lingots au marché parallèle par un haut responsable de l’Etat, un fait de «banditisme» caractérisé en soi, mais dans cette furia d’indignations on oublie l’essentiel de la déclaration ou plutôt où veut Ouyahia mener le tribunal et quelle orientation veut-il donner à son procès. L’accusé, ex-Premier ministre, précise bien dans sa déclaration que ces fameux lingots d’or ont été offerts à la plus haute institution de l’Etat algérien, à savoir la Présidence de la République, ce qui ramènerait à dire que ces cadeaux n’étaient pas destinés à sa personne mais qu’il a eu l’autorisation de procéder à l’illégalité de l’opération et il est fort probable que les faits remontent non pas à l’époque où l’accusé occupait le poste de Premier ministre mais quand il était ministre-conseiller auprès du président de la République. Tel est le nœud gordien vers lequel Ouyahia veut mener ses juges, droit vers le Président déchu, actuellement malade et peut-être inapte à se présenter devant un tribunal.
L’accusé Ouyahia voulait, par ce pavé lancé dans la mare judiciaire, pousser le juge à mettre un pied dans une sorte de nasse que lui-même veut tisser autour de ses accusateurs.
Tout en sachant qu’une convocation de l’ex-Président n’est pas envisageable, pour une raison ou une autre, Ouyahia semble loin d’être un naïf qui se jette dans une manœuvre hasardeuse. Il semble avoir bien élaboré sa stratégie de défense, une stratégie basée, semble-il, sur le «pourrissement» du procès pour arriver au bout du compte à un «deal politique», ou dans les pires des cas, à une réduction maximale des peines. L’évolution de l’atmosphère politique globale du pays peut, pense-t-il, lui ouvrir des brèches. Qui sait ?
M. H.
Le Jour d’Algérie, 10 jan 2021
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