Le recours de Mohammed VI à la diplomatie transactionnelle qui lui a permis de troquer l’établissement de relations diplomatiques officielles avec Israël contre une reconnaissance hypothétique par le Président sortant US de l’annexion du Sahara Occidental n’est que l’ultime expression de la propension naturelle de la monarchie alaouite à la traîtrise. La trahison est inscrite dans l’ADN historique du Makhzen, notamment à l’endroit de l’Algérie. Les faits historiques, qui en sont autant de jalons déshonorants, sont implacables.
Les racines de la félonie du Makhzen à l’égard de son voisin maghrébin remontent d’abord au Traité de Tanger du 10 septembre 1844, et qui a constitué, de prime abord, un revirement important dans la relation politique franco-marocaine. À la suite de la défaite cinglante des troupes marocaines qui soutenaient l’Émir Abdelkader à la bataille d’Isly (14 août 1844), le sultan Abderrahmane Ibn Hicham demanda alors la paix. Le Traité de Tanger, signé le 10 septembre 1844, oblige le Maroc à reconnaître la colonisation de l’Algérie. Et, de ce fait, le roi alaouite cessait tout soutien officiel à l’Emir Abdelkader, déclaré par les deux parties contractantes hors-la-loi au Maroc et en Algérie. Dans un élan de soumission zélée, le Sultan s’est même engagé à interner l’Émir s’il tombait entre ses mains !
Le Traité de Tanger sera suivi le 18 mars 1845 de la « Convention de Lalla Maghnia » entre le sultan Moulay Abderrahmane et un représentant du roi Louis-Philippe, et qui fixera, avec une relative souplesse, les frontières entre l’Algérie et le Maroc. En son article premier, cet accord précise que « les limites qui existaient autrefois entre le Maroc et la Turquie resteront les mêmes entre l’Algérie et le Maroc ». Les deux parties avaient alors défini une limite « devenue aussi claire et aussi évidente que le serait une ligne tracée », ce qui fait que « ce qui est à l’Est de cette limite appartient à l’Algérie, et tout ce qui est à l’Ouest appartient au Maroc » (article 2). Après avoir délimité les lieux de passage de ladite ligne (article 3), la Convention ne précise toutefois pas, avec la rigueur nécessaire, le tracé dans les territoires sahariens frontaliers, laissant aux « souverains respectifs » le soin « d’exercer de la manière qu’ils l’entendront toute la plénitude de leurs droits sur leurs sujets respectifs au Sahara » (article 4).
La trahison du Maroc ne s’est pas arrêtée au lâchage historique de l’Émir Abdelkader et, comme on le verra plus tard, au non-respect des accords au sujet des frontières territoriales. La déloyauté et la scélératesse royales se manifesteront de nouveau, à la faveur de ce qui aura constitué le premier acte de piraterie aérienne et de terrorisme spatial dans l’histoire de l’humanité, commis par la France. Ce sera à l’occasion du détournement du DC-3 de la compagnie chérifienne Air-Atlas devant transporter cinq dirigeants historiques. Nous sommes alors en octobre 1956. Le poste du SDECE à Rabat, informé discrètement par des sources au cabinet royal dirigé alors par le prince héritier Hassan II, informe sa hiérarchie que Ben Bella, Khider, Boudiaf, Lacheraf et Aït Ahmed vont, sous de fausses identités, se rendre de Rabat à Tunis. Les services spéciaux français s’assurent alors de la collaboration du pilote de l’avion et du reste de l’équipage, appuyé notamment par l’hôtesse principale qui était une honorable correspondante du SDECE. Le plan de vol initial est modifié pour permettre à l’avion de se poser finalement à Alger, après avoir été escorté par un chasseur de l’armée française qui avait décollé de Blida.
Le feuilleton de la trahison traditionnelle du Makhzen connaîtra un nouvel épisode avec la Guerre des Sables, agression marocaine caractérisée contre une Algérie qui venait juste de sortir d’une longue et épuisante guerre de Libération. Le Maroc, dont le parti ultra-nationaliste et expansionniste de l’Istiqlal avait déjà sorti sa fameuse carte du Grand Maroc qui s’étend jusqu’au fleuve Sénégal et englobe un quart du Sahara algérien à l’Ouest, viole ainsi le Traité frontalier de Maghnia et attaque l’Algérie, dans l’espoir de récupérer les territoires de Tindouf et de Béchar. Il viole en même temps le protocole signé le 6 juillet 1961 entre le gouvernement du Maroc et le GPRA. Cet accord prévoit que le Maroc soutient le GPRA dans ses négociations avec la France sur la base du respect et de l’intégrité du territoire algérien ; et le GPRA reconnaît, pour sa part, le problème territorial posé par la délimitation imposée par la France coloniale entre les deux pays. À la condition sine qua non, que ce problème trouvera ultérieurement sa solution dans des négociations entre les deux gouvernements, la création d’une commission algéro-marocaine ayant été prévue à cet effet.
La fourberie du palais royal s’illustrera encore à travers un épisode retentissant d’espionnage au profit d’Israël et dont l’agent exécutant numéro un ne fut autre que le roi Hassan II lui-même ! Selon les témoignages des plus hauts responsables du Mossad et du Shin-Bet israéliens de l’époque, publiés dans la presse israélienne, le monarque chérifien avait alors fourni des enregistrements top secrets des discussions à huis clos à Casablanca entre les dirigeants arabes avant la guerre de 1967. Israël avait largement remercié à la suite Hassan II d’avoir grandement contribué à la victoire militaire contre ses ennemis arabes pendant la guerre de 1967. En 1965, le roi Hassan II avait en effet transmis tous les enregistrements d’une rencontre cruciale entre les dirigeants arabes qui discutaient de leur préparation à la guerre contre Israël. Meir Amit, chef du Mossad à l’époque, avait décrit l’opération marocaine comme « l’une des gloires suprêmes du renseignement israélien » dans un mémo adressé à Levi Eshkol, Premier ministre.
Suite, et pas encore fin, du feuilleton historique de la trahison consubstantielle à la monarchie, cette fois-ci à la lumière du conflit du Sahara Occidental. Déjà, et bien avant la célèbre Marche verte dont l’idée avait été soufflée au roi Hassan II par ses amis israéliens, le Président Boumediène, dans un discours à la TV algérienne, raconte qu’il avait proposé à Hassan II et aux autres dirigeants du Maghreb la création d’une task-force maghrébine pour obliger l’Espagne, puissance coloniale occupante du Sahara Occidental, à le quitter au cas où elle aurait refusé la voie pacifique. Le chef de l’État algérien, visiblement en colère, avait alors souligné que ce sont le roi du Maroc et le Président mauritanien de l’époque (Mokhtar Ould Dadda) qui avaient trahi l’engagement de principe de déloger l’Espagne, préférant se partager alors les deux grands territoires sahraouis, le Rio De Oro et la Saguia El Hamra.
Enfin, et bien avant l’expulsion de milliers d’Algériens en 1994 après l’attentat terroriste perpétré par des islamistes marocains à Marrakech, et la fermeture de la frontière terrestre avec l’Algérie par le Maroc, il y a eu l’acte d’agression militaire important que fut Amgala 1. La première bataille d’Amgala eut lieu entre les 27 et 29 janvier 1976 autour de l’oasis d’Amgala, dans le Sahara Occidental, lorsque des unités de l’ANP, en simple appui logistique, ont été attaquées par des unités des FAR dans la nuit du 27 janvier. Les Algériens se sont retirés après avoir combattu pendant 36 heures.
La normalisation diplomatique avec Israël, acte de trahison suprême en soi, n’a rien donc de surprenant étant donné qu’elle consacre l’ouverture de bureaux de liaison, de part et d’autre, en 1994 et 1995. Elle s’inscrit surtout dans cette longue histoire de forfaiture, de reniement, de parjure, de tromperie, de déloyauté et de duperie qui sont des caractéristiques génétiques et culturelles du Makhzen.
Le Soir d’Algérie, 15 déc 2020
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