Par Mahmoud Benmostefa
Sommes-nous à la veille d’un changement de paradigme dans la région du Sahel ? L’impasse croissante de la stratégie française en particulier, et atlantiste en général, dans la gestion des risques terroristes pousse les Etats de la région à chercher une alternative crédible, durable et acceptable à la traditionnelle mainmise française.
Cette dernière a su, à travers les péripéties et les aléas du moment, muter de la Françafrique, chère à Jacques Foccart, à la coopération dans le cadre de la zone du Franc CFA et de la francophonie, avant de finir dans le cadre de l’opération Barkhane, réminiscence de l’impérialisme colonial.
En cette fin 2020, les pays du Sahel confirment davantage leur volonté de changement de partenaire. En effet, il y a un besoin pressant de Russie et de Chine qui se fait ressentir. Ces deux puissances, ne représentent pas dans la mémoire collective des Africains, des pays prédateurs, impérialistes et encore moins colonialistes. Contrairement aux puissances traditionnelles européennes (France et Grande-Bretagne) et dans une moindre mesure, les Etats-Unis durant la Guerre froide.
Les médias mainstream français omettent de relayer les informations qui desservent la cause de leur pays dans la Région ! C’est ainsi que l’information de l’attaque en l’espace de quelques heures, le 30 novembre dernier, de trois bases françaises dans le Nord et l’Est du Mali est passé inaperçu. Les camps, situés à Kidal, Ménaka et Gao ont été touchés par des «tirs indirects», a déclaré Thomas Romiguier, le porte-parole de l’opération Barkhane. Seule la base de Kidal a subi des dommages, a-t-il ajouté. La base de Kidal abrite également des contingents de la Minusma, la mission des Nations unies au Mali.
Et pourtant, ils sont quelques 5.100 soldats français qui sont déployés dans toute la région dans le cadre de l’opération Barkhane. Ces attaques à répétition contre les forces françaises dénotent de l’impasse sécuritaire dans laquelle se trouvent ces forces et les limites objectives de la stratégie de Paris dans le Sahel. D’ailleurs, la mise en place d’une force « locale», le G5 Sahel, qui regroupe la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad et le Burkina Faso, n’a eu qu’un impact limité sur la dynamique de la stabilisation de la région.
La dérobade de Barkhane
C’est pourquoi le chef de la force conjointe du G5 Sahel, le général nigérien Oumarou Namata Gazama, a jugé risquée une réduction de la force Barkhane envisagée par la France. Barkhane semble se dérober de ses responsabilités aux yeux du militaire du Niger où la France compte quatre bases militaires contre cinq américaines.
Dans un entretien diffusé jeudi par Radio France Internationale, le général dit que la montée en régime de Takuba, groupement de forces spéciales européennes mis en avant par la France pour évoquer la nécessité d’un plus grand partage des tâches, ne suffit pas pour l’instant à envisager une diminution de Barkhane.
«Pour l’heure, l’apport de Takuba est certainement très bénéfique mais Barkhane est un partenaire privilégié pour la force conjointe, Barkhane permet de compenser les déficits de nos forces armées nationales», dit le général Oumarou Namata Gazama, qui a précisé que «pour nous en tant que force conjointe, ce serait prématuré d’envisager une réduction de Barkhane et hasardeux pour le G5 Sahel». Autrement dit, une partie de l’élite politico-militaire des pays du Sahel continue de considérer la France comme le «Grand Frère» protecteur, même si le président français Emmanuel Macron a déclaré fin novembre qu’il aurait, «dans les prochains mois, des décisions à prendre pour faire évoluer Barkhane».
Et il semble que le président Macron ai fait acte d’un désintérêt africain croissant quant à la présence française en Afrique. Dans un entretien à l’hebdomadaire Jeune Afrique, le chef de l’Etat français a déclaré : «Il y a une stratégie à l’œuvre, menée parfois par des dirigeants africains, mais surtout par des puissances étrangères, comme la Russie ou la Turquie, qui jouent sur le ressentiment post-colonial». Ainsi, l’argument des néo-colonialistes est la dénonciation d’un «ressentiment post-colonial» ! La France coloniale se permet de fustiger une volonté africaine de diversification des partenariats, au nom du passé commun «colonial».
Grands concurrents de Paris dans la région, la Chine et surtout la Russie ambitionnent d’assoir une présence stratégique multiforme : militaire, économique et culturelle. Pékin, à travers sa stratégie de la Ceinture et la Route (la nouvelle Route de la Soie), Moscou, par le biais d’un activisme diplomatique sans cesse croissant.
Pour satisfaire ses objectifs géoéconomiques et politiques en Afrique subsaharienne, la Russie va réinvestir le continent de multiples manières, en affirmant dans son discours son adhésion aux principes de justice, de droit international, de respect des droits de l’homme et de la souveraineté des nations africaines par opposition, dit-elle, à l’Occident qui ne chercherait qu’à s’approprier les ressources de l’Afrique et à y renforcer sa sphère d’influence. Un retour qui veut s’inscrire dans la durée et dont le point d’orgue sera, en octobre 2019, le premier sommet de Sotchi où Vladimir Poutine rassemblera autour de lui une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement africains.
Reste que les fantasmes néocoloniaux, développés par les tenants de l’ordre ancien, ont la peau dure. Le dernier coup d’Etat au Mali qui a déposé l’ancien président Ibrahim Boubakar Keita (IBK) aurait été l’œuvre de militaires à la solde de Moscou. La preuve ? Ces soldats auraient été formés dans les académies militaires russes. Preuve très mince d’autant que les propagateurs de ces fantasmes font mine d’oublier les facteurs internes liés au ras-le-bol du peuple malien quant à ses conditions de vie socio-économique quotidienne et à l’impasse politique dans laquelle se trouvait le Mali du fait des interférences françaises à répétition et les atermoiements de Paris à propos de l’application de l’accord de paix d’Alger.
C’est cette impasse française qui explique les décisions prises par l’Elysée, et la dernière en date, la négociation pour la libération des otages français au Mali moyennant la libération de prisonniers terroristes, via le paiement d’une rançon. Une stratégie contre-productive non seulement pour le Mali, mais surtout pour la France qui perd ainsi toute crédibilité dans la région. C’est le message qu’avait lancé Alger à Paris.
Le Jeune indépendant, 5 déc 2020
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