« La multitude des droits reconnus aux Sahrahouis contraste cependant avec la rareté de leur mise en application dans les prétoires de par le monde. A tel point que l’on en vient à se demander si ce ne sont pas les systèmes judiciaires nationaux et internationaux eux-mêmes qui en seraient la cause, en ce qu’ils ne fourniraient pas de cénacle approprié à la mise en œuvre des droits que leurs systèmes juridiques prétendent protéger »
Antoine Quéré interroge en regard du droit (français, européen, international) les qualifications possibles des pratiques des sociétés françaises au Sahara occidental, inscrit en 1963 sur la liste des « territoires non-autonomes » de l’ONU, territoire occupé par l’Etat marocain, territoire revendiqué par le Front Polisario et la République Arabe Sahraouie Démocratique.
L’auteur revient sur l’histoire de ces territoires en particulier après la colonisation par le Roi d’Espagne à la fin du XIXème siècle.
Il me semble important de souligner la Mission des Nation Unies pour un Référendum au Sahara Occidental (MINURSO) et que « Ce référendum n’a jamais été mis en œuvre en raison de désaccords des parties sur la constitution des listes électorales ». Les colonisateurs ne reconnaissent jamais la légitimité des seules populations colonisées pour leur autodétermination.
Antoine Quéré parle aussi du rapport de la diplomatie française avec cette question, dont la non-reconnaissance de l’existence de l’Etat sahraoui et des conséquences possibles en termes de « qualification de l’infraction de participation au transfert de population en territoire occupé ». A noter que ce « crime de transfert de population occupé » a été reconnu dans d’autres situations d’occupation dont celle des colonies israéliennes…
« Notre étude se focalisera sur les entreprises françaises personnes morales ayant des activités économiques au Sahara Occidental et donc sur les organes et représentants qui peuvent être des personnes physiques ». Antoine Quéré aborde les activités économiques, les ressources en phosphates, les ressources halieutiques, l’utilisation du sable et du sel, l’eau des nappes phréatiques, la prospection de pétrole, la question des ventes d’armes…
Il discute très en détail du domaine juridique, de « crime de transfert de population en territoire occupé », de « crime de colonisation de peuplement », de « territoire occupé », de « conflit armé international », de Conventions internationales, de la Déclaration du Caire des droits de l’homme en islam (5 août 1990) signée par le Maroc qui énonce entre autres : « La colonisation, sous toutes ses formes, est strictement prohibée en tant qu’une des pires formes d’asservissement. Les peuples qui en sont victimes ont le droit absolu de s’en affranchir et de rétablir leur autodétermination. Tous les Etats et peuples ont le devoir de les soutenir dans leur lutte pour l’élimination de toutes les formes de colonisations et d’occupation. Tous les peuples ont le droit de conserver leur identité propre et de disposer de leurs richesses et de leurs ressources naturelles ».
L’auteur traite de multiples questions liées aux précédentes, de la conjugaison de « la liberté de commerce » avec le respect du droit à l’autodétermination des peuples et à leur souveraineté territoriale, de la « qualification de la situation géopolitique au Sahara Occidental », de la responsabilité pénale des entreprises françaises pour leurs activités en lien avec le Sahara Occidental…
Il aborde, entre autres, l’imbroglio lexical et le contournement d’un terme tabou « occupation », des décisions internationales équivoques, des décisions administratives « en soutien de la diplomatie française », le constat « d’une occupation notoire issue d’un conflit armé international », l’élément moral du « crime constitué par la publicité de l’occupation »…
« Notre deuxième partie vise donc à démontrer que d’une part des entreprises françaises participeraient au transfert de Marocains au Sahara Occidental et que d’autre part, le crime de colonisation pourrait leur être imputé. Démontrer l’imputation, c’est à dire le rattachement entre l’acte interdit (le transfert qu’il s’agira de prouver) et l’auteur (les entreprises transnationales françaises), est un défi juridique ».
Je ne vais pas aborder les différentes questions et les réponses possibles proposées par l’auteur dans cette seconde partie. Je me contente de souligner un problème plus général, la construction institutionnelle et juridique de l’irresponsabilité des personnes morales, des conseils d’administration et des grands actionnaires des firmes transnationales (cela est aussi vrai pour toutes les formes de sociétés commerciales dites à responsabilités limitées des actionnaires SARL, SAS, SA). Ce sujet bien évidement dépasse le cadre du Sahara Occidental. Je l’ai récemment évoqué à propos des agissements de Total en Ouganda et en Tanzanie (https://entreleslignesentrelesmots.blog/2020/11/19/le-petrole-contre-les-droits-humains/).
« L’occupation du Sahara Occidental par le Maroc est légitimée grâce aux investissements étrangers qui développent ainsi ses prétendues « provinces du Sud ». Parmi ces investissements et activités économiques figurent ceux des entreprises transnationales française, présentes au Sahara Occidental. Certaines de leurs activités semblent s’apparenter à une participation au transfert, direct ou indirect et par une puissance occupante, d’une partie de sa population civile dans le territoire qu’elle occupe. C’est un crime de guerre selon l’article 421-26 du Code pénal et la responsabilité pénale des entreprises française pourrait vraisemblablement être engagée ».
Antoine Quéré : Crime de colonisation par peuplement
Etude de cas sur les activités économiques de sentreprises françaises au Sahara Occidental
Apso Editions, Aubagne 2020, 96 pages, 8 euros
Didier Epsztajn
Source : Entre les lignes entre les mots, 2 déc 2020
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