Sahara Occidental : «Le Maroc doit tirer les leçons de son arrogance» (Diplomate)

MOHAMED YESLAM BAISSAT, AMBASSADEUR DE LA RASD EN AFRIQUE DU SUD : «Le Maroc doit tirer les leçons de son arrogance»

Entretien réalisé par Tarek Hafid

Représentant en Afrique du Sud du Front Polisario de 1998 à 2003, Mohamed Yeslam Baissat est revenu à Pretoria en qualité d’ambassadeur de la République arabe sahraouie démocratique. Ce diplomate expérimenté, qui a notamment été en poste à Alger, Washington et Bruxelles, décrypte pour Le Soir d’Algérie les derniers événements au Sahara Occidental.

Le Soir d’Algérie : Jeudi 19 novembre, vous avez pris officiellement vos fonctions d’ambassadeur de la RASD à Pretoria après avoir remis vos lettres de créances au Président Matamela Cyril. L’Afrique du Sud est-elle toujours aussi engagée auprès du peuple sahraoui ?

Mohamed Yeslam Baissat : Nos deux pays entretiennent une relation très solide, qui s’est forgée durant de longues années de luttes communes contre le colonialisme et l’Apartheid. C’est une camaraderie d’armes que nous avons bâtie avec nos frères du Congrès national africain (ANC). Une relation de fraternité, d’amitié et de lutte.

Durant les années 80, l’administration Reagan avait fait la bêtise d’inscrire l’OLP, l’ANC et l’Organisation du peuple du Sud-Ouest africain (Swapo) sur la liste des organisations terroristes. En réaction à cette décision, feu Mohamed Abdelaziz avait invité Oliver Tambo, le président de l’ANC, à effectuer une visite officielle au Sahara Occidental en 1987. Au dernier jour de sa visite, le Front Polisario lui a remis une quarantaine de blindés légers Panhard repris à l’armée marocaine. Ces blindés avaient été livrés par le régime de l’Apartheid à l’armée de Hassan II dans le cadre d’un accord secret. Nous avons fait de même avec nos camarades namibiens de la Swapo. C’était la contribution du Front Polisario à la lutte de libération des peuples d’Afrique du Sud et de Namibie.

Actuellement, les relations entre la RASD et l’Afrique du Sud sont diversifiées: gouvernementales, diplomatiques, parlementaires et entre nos collectivités locales. Le Front Polisario et l’ANC entretiennent également des rapports des plus importants. Les groupes de solidarité, les organisations de la société civile sud-africains sont également très actifs. Le Forum de solidarité avec le Sahara, les Western Sahara Friends encore l’Action solidaire figurent parmi les organisations citoyennes les plus actives dans la cause sahraouie.

Le Maroc et ses principaux alliés semblent avoir été surpris par la réaction du Front Polisario qui a décidé de reprendre la guerre suite à l’agression de Guerguerat. Finalement, la stratégie du statu quo entretenue par le Maroc était-elle basée sur la thèse que les Sahraouis ne reprendraient jamais les armes ?

Le Maroc a toujours eu le même problème : créer des mensonges destinés à son opinion publique et se retrouver victime de ses propres mensonges.

Le régime colonial a affirmé que le peuple sahraoui n’existe pas, que le Polisario est une organisation fantoche, que l’Afrique a changé d’opinion, que le Maroc a fait une réécriture du droit international… Nasser Bourita, le ministre marocain des Affaires étrangères, est un spécialiste en création de mensonges. Mais il a un gros souci, c’est qu’il finit par croire à ses propres mensonges. Lorsque le régime marocain a commis l’irréparable en intervenant militairement à Guerguerat contre les militants sahraouis pacifistes. C’est une violation majeure de l’accord de cessez-le-feu. Effectivement, les Marocains étaient persuadés que le Front Polisario n’allait pas riposter. Avant de réagir, nous avions pourtant averti le secrétaire général de l’ONU, les membres permanents du Conseil de sécurité et l’ensemble de la communauté internationale. D’ailleurs, le Maroc a été le premier à être prévenu.

Le Maroc a été surpris par notre réaction. Aujourd’hui, il ne veut toujours pas croire que la situation idéale dont il a bénéficié durant 30 années est définitivement terminée. Ses dirigeants sont dans une situation de déni de la réalité. Cela relève d’un problème psychologique de ne pas reconnaître que des obus tombent au quotidien sur les têtes de ses soldats et de ses officiers. Mais cela ne peut pas durer, dans les prochaines semaines, ils finiront par croire en la réalité. Les Marocains comprendront alors qu’ils ont créé une situation dangereuse, pour leur pays, la région et pour la communauté internationale.

Quelles sont les nouvelles du front militaire ? Nous assistons depuis le 13 novembre à un conflit qui se déroule presque à huis clos. Sur le plan de la communication, le Front Polisario se limite à donner des informations générales sur les opérations qu’il mène sur le terrain et de son côté le Maroc impose un véritable embargo médiatique sur ce conflit. C’est une situation très étrange à l’ère de l’hypermédiatisation.

Effectivement, c’est une situation atypique. Mais il faut comprendre que ces opérations se déroulent dans une zone qui est très étendue car le mur de la honte (mur de séparation marocain) est long de 2 750 km. Les unités de l’Armée populaire de libération sahraouie (APLS) bombardent jour et nuit les positions marocaines sur ce mur. Les forces armées de nos sept régions militaires sont engagées dans cette nouvelle phase de la guerre qui nous oppose au Maroc. Je pense que cette question de communication se réglera dans les prochains jours.

Pour sa part, le Maroc ne dit absolument rien sur les pertes qu’il subit. Dans un monde marqué par la puissance des mass media et des réseaux sociaux, il ne pourra pas cacher longtemps ce qu’il se passe sur le terrain militaire. D’ailleurs, certaines familles marocaines bravent l’interdiction qui leur est imposée et commencent à publier des annonces de décès de leurs proches. Le Makhzen ne pourra pas cacher longtemps la réalité.

Pour avoir été en poste à Washington et à Bruxelles, pensez-vous que la nouvelle administration américaine et l’Union européenne pourront jouer un rôle dans la situation actuelle ?

En 1991, les États-Unis étaient les garants de l’application de l’accord que nous avions signé avec le Maroc. En 1997, ils étaient là encore les garants de l’accord de Houston qui a été signé entre les deux parties. Malheureusement, ils n’ont pas assumé leur responsabilité morale qu’imposait ce rôle de garant. Les Américains n’ont pas défendu ces accords. Nous avions constaté qu’il y avait une certaine volonté de régler la situation sous l’administration du Président Barack Obama, dont Joe Biden était vice-président. Donc, le retour aux affaires de Biden peut susciter des espoirs. La nouvelle administration américaine peut investir son poids, sa crédibilité morale et aussi son statut de garant pour appliquer ces accords historiques.

L’Union européenne est la force mondiale la plus proche de notre région. Et c’est à cause d’un membre (la France) de cette Union que nous sommes face à la situation problématique actuelle. J’espère que l’UE tirera la conclusion de tout ce qui s’est produit. Il faut que l’Espagne et la France, les deux pays européens à l’origine de ce conflit, deviennent une partie de la solution et non une partie du problème.

Pour l’heure, le Front Polisario se concentre sur la guerre ?

Le Maroc doit revenir à la raison et à la légalité. Il doit tirer les leçons de son arrogance. La reprise de la guerre est notre façon d’attirer l’attention des Marocains et de l’opinion internationale pour dire que la situation ne peut pas continuer. Le Maroc ne peut pas signer un accord et renier tous ses engagements en répétant son stupide discours de souveraineté qui n’existe que dans la tête de ses dirigeants. La guerre, c’est aussi notre façon de dire aux États-Unis et à l’Union européenne que soutenir les thèses du Maroc va s’avérer contreproductif pour les intérêts de ce pays et les intérêts des Occidentaux.

Depuis quelques mois, des pays africains et arabes ont ouvert des consulats dans la ville de Laâyoune occupée. Quelle est la valeur de ces décisions ?

Les autorités sahraouies ne sont pas du tout gênées par l’ouverture de ces kiosques consulaires. Ce sont des actes de petite propagande. D’ailleurs, il n’y a aucun ressortissant de ces pays qui réside à Laâyoune occupée. Le Maroc doit comprendre que seuls les Sahraouis peuvent lui accorder la souveraineté du Sahara Occidental à travers l’organisation d’un référendum d’autodétermination. La République fédérale des Comores et les Émirats arabes unis ne lui donneront rien. Khalifa ben Zayed Al Nahyane peut donner les îles Tunb à l’Iran mais il ne pourra jamais donner le Sahara Occidental au Maroc. Le Sahara appartient aux Sahraouis. D’un autre côté, nous encourageons le Maroc à ouvrir plus de consulats à Laâyoune. Les 193 États du monde doivent tous avoir leurs représentations consulaires pour que tous les pays constatent qu’il existe un territoire occupé et un peuple opprimé.

Depuis la reprise du conflit, l’ONU est pratiquement effacée. Et que fait la Mission des Nations-Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara Occidental (Minurso) ?

La Minurso a été transformée en annexe médiocre de l’administration coloniale, surtout à l’époque du Canadien Colin Stewart, qui était devenu l’adjoint-maire de Laâyoune occupée.
Depuis son arrivée à la tête de l’ONU, Antonio Guterres s’est montré plus préoccupé par le passage des biens et de personnes vers la Mauritanie que par l’application du droit international. Pourtant, son bureau était inondé par nos correspondances au sujet des violations multiples du régime colonial marocain.
Il n’a jamais réagi.

Le Soir d’Algérie, 24 nov 2020

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