Richesses naturelles et industrialisation au Maghreb

Le destin commun du monde méditerranéen est une donnée de l’histoire. Mais entre le nord et le sud de la Méditerranée, bien des incompréhensions issues de la méconnaissance se maintiennent. Par la fréquence et la qualité de ses publications, le Centre de recherche et d’études sur les sociétés méditerranéennes (C.R.E.S.M.) met à la disposition du public francophone une abondante série d’études historiques, actuelles ou prospectives sur la vie économique, sociale et politique du Maghreb indépendant. Deux ouvrages récents devraient aider à combler le fossé des malentendus.

Le premier porte sur la question des matières premières énergétiques et minérales au Maghreb : principalement sur le fer, les hydrocarbures et les phosphates (1). Thème d’actualité que les auteurs abordent conscients du poids stratégique considérable des richesses du sous-sol dans le procès de développement national des Etats maghrébins : ceux-ci ne se résignent à l’exportation massive de produits brutes qu’avec le souci d’acquérir les capitaux et la technologie nécessaires à la fabrication sur place de produits finis. L’aperçu historique sur les pratiques coloniales en matière de ressources minières et le rappel des données géographiques essentielles qui ouvrent le recueil permettent de mieux comprendre l’analyse des stratégies propres à chacun des pays.
L’indépendance ne saurait se limiter à la seule maîtrise de la production plus importante est celle de la transformation des matières premières et surtout de leur commercialisation. Une étude de synthèse montre la diversité des formules associatives entre Etats producteurs et compagnies privées et leur récente évolution. Le marché des matières premières s’est constitué à l’échelle mondiale ; les regroupements internationaux, tel l’OPEP, y interviennent de façon croissante : élargissant ses perspectives, l’ouvrage se clôt donc sur l’analyse de l’influence que peuvent exercer les stratégies maghrébines sur le réaménagement en cours de l’ordre économique mondial et met une fois de plus en relief le rôle de « fer de lance du tiers-monde » qu’y joue l’Algérie.
L’utilisation des ressources naturelles aux fins d’industrialisation, pour laquelle ont opté les pays du Maghreb, pose un problème de transfert de technologie sur quel mode et avec quel partenaire ? Dans un ouvrage qui a la clarté de présentation d’un manuel (2), Dimitri Germidis analyse minutieusement la position de la France vis-à-vis du Maghreb dans ce domaine. Soulignant la différence de choix entre l’Algérie et ses deux voisins — la première aspirant à l’autonomie technologique quand les deux autres ne souhaitent que s’intégrer au processus international de production — il indique que, malgré une vive concurrence et de nombreuses vicissitudes, les entreprises françaises conservent une place de choix dans l’industrialisation de ce pays. Au terme d’une étude menée par pays et par branche industrielle, il ne manque pas d’évoquer le danger latent d’une dépendance technologique du Maghreb, dans la perspective d’une nouvelle division internationale du travail où la France abandonnerait les activités industrielles peu sophistiquées, se réservant celles qui font appel à une main-d’œuvre très qualifiée et apportent une forte valeur ajoutée.
C’est précisément de dépendance que traite le deuxième volume du C.R.E.S.M. (3). Ses chercheurs poursuivent l’objectif original et ambitieux de repérer, au sein du Maghreb arabe, les phénomènes de dépendance idéologique et de transfert de modèle en provenance du centre franco-européen. Dans quelle mesure et par quels engrenages des pays indépendants sont-ils conduits à reproduire les schémas culturels, institutionnels ou économiques de métropoles dont ils ont secoué, non sans de lourds sacrifices, la tutelle coloniale ? Partant de la constatation que la pénétration coloniale a durablement déstabilisé et déstructure les systèmes sociaux autochtones, les auteurs en viennent à privilégier le rôle des classes moyennes maghrébines pour le maintien et la reproduction du système capitaliste, tout en reconnaissant les difficultés d’un choix différent en l’état actuel du rapport des forces internationales. Ces trois points constituent le fil rouge que l’on peut suivre tout au long du recueil malgré la diversité des thèmes abordés : mimétisme juridique et institutionnel, développement de l’émigration, discours politique des quotidiens maghrébins. Ce dernier article, qui fait appel aux techniques les plus modernes de l’analyse de contenu et de la cybernétique, conclut à l’unité idéologique fondamentale de la presse maghrébine. Les différences ne sont pas tant marquées entre, les journaux de tendances ou de régimes opposés qu’entre une presse de langue arabe et une autre de langue française, soulignant l’importance, par-delà les frontières, de ce clivage de culture et de classe.
Ces livres, en révélant l’incessante confrontation entre des mécanismes de dépendance et l’affirmation nationale, entre un héritage historique assumé et une domination imposée, éclairent l’ampleur des difficultés auxquelles doivent aujourd’hui faire face les Etats du Maghreb, dans leur effort de développement comme dans leur intervention sur la scène internationale.

Christophe Batsch

(1) Les Stratégies. des matières premières au Maghreb, ouvrage collectif, Centre national de la recherche scientifique, Paris 1976, 205 pages, 42 F.

(2) Le Maghreb, la France et l’enjeu technologique, Dimitri Germidis, éditions Cujas, Paris, 1976, 219 pages. 34 F.

(3) Rapports de dépendance au Maghreb, ouvrage collectif, Centre national de la recherche scientifique, Paris, 1976, 320 pages, 70 F.

Le Monde diplomatique
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