Les trois facettes de la Françafrique

Françafrique : la fin d’un système nocif (1)

Sortir des rapports vicieux

Les Etats francophones d’Afrique et l’ex-puissance coloniale, la France, sont aujourd’hui à la croisée des chemins. On ne pourra certainement plus étouffer la voix qui sourd de toutes les souffrances des peuples africains opprimés et la France ne pourra certainement plus nier le constat de l’échec du système “françafrique”. Lors de la dernière visite d’Etat de Dramane Ouattara en France, le quotidien “Aujourd’hui” a barré sa Une d’une image fortement parlante : Un maigrelet qui portait sa pitance à la gueule grandement ouverte d’un repu.

La dernière “Une” de l’hebdomadaire “Jeune Afrique”, l’organe panafricain le plus françafricain ne pouvant plus étouffer l’émergence de la question ne dit que ceci : « France-Afrique : le grand débat. Sur l’Afrique et le mode arabe, Hollande n’a rien à proposer ; Sarkozy a échoué, une autre politique est possible». Tout un programme révélateur d’une préoccupation naissante dans le cheminement des peuples que l’histoire a lié dans un destin commun. Les ex-colonies françaises vont-elles continuer d’être les marchepieds d’une France qui leur prend presque tout dans une “coopération” inique qui plombe aussi sa propre croissance ? Pendant que tous ces Etats d’Afrique, cinquante ans après leur indépendance, trainent encore les tares des accords dits de défense qui sont en fait des contrats occultes de prédation de leurs ressources, la France, elle-même, comme un enfant gâté qui attend tout d’une Afrique nourricière, n’a pu se construire une économie compétitive en Europe.

La voilà, malgré tous ses tentacules coloniaux, à la traine de l’Allemagne qui en a pourtant été dépouillée après la deuxième guerre mondiale. Aussi sommes nous fondés à penser que cette problématique qui pointe à l’horizon de cette nouvelle ère de notre relation avec l’Occident, l’est pour la véritable renaissance de nos peuples. Si, selon “Jeune Afrique”, Hollande n’a pas de solution, c’est certainement parce qu’il sait que la méthode Gaullienne héritée de la conférence de Berlin de 1885 et du projet nazi de l’assujettissement totale de la France ne peut plus prospérer après ce que Nicolas Sarkozy en a fait dans son rapport avec l’Afrique. En n’ayant vraiment rien à proposer, Hollande nous offre là une bonne opportunité de vider le contentieux de plusieurs décennies de relations mafieuses improductives et d’écrire une nouvelle page de notre histoire commune.

A ce propos, la conférence-débat sur le thème « et si le colonialisme n’était que l’histoire de l’exploitation forcée des ressources matérielles et humaines des colonisés ? Point de vue d’africains» qui a eu lieu le lundi 27 février 2012 à Paris est à recommander souvent pour que les autorités françaises comprennent que nous avons compris que dans l’intérêt de tous, nous refusons désormais de nous enfermer dans cette mentalité de sous-hommes …



Françafrique : la fin d’un système nocif (2)



L’houphouétisme, un autre nom de la Françafrique

Pour la petite histoire, le mot françafrique a été employé pour la première fois dans un cadre officiel par feu Félix Houphouët Boigny. D’après Bernard Doza, dans son essai politique : “Liberté confisquée, le complot franco-africain”, c’est en 1955, lors du congrès du RDA en Guinée Conakry, que Houphouët scelle le sort des 14 Etats africains colonisés par la France dans le concept de la françafrique. « Notre vœu ardent, est que toutes les familles spirituelles françaises comprennent que le RDA est tourné vers l’ensemble du peuple français avec le désir de bâtir avec lui une communauté durable où les inévitables querelles de famille ne nuiront pas à la loyauté, à la confiance ni à la volonté de vivre ensemble. Qui peut douter que l’expérience françafrique constitue le meilleur espoir de l’Union Française ? Personne je crois…» dixit Houphouët Boigny qui, selon les investigations de Bernard Doza, sera récompensé plus tard par un strapontin dans le gouvernement français de Guy Mollet en 1956. Il venait ainsi de vendre la lutte du RDA en lâchant le parti communiste français pour s’apparenter à la droite Française.

Les indépendances que la France a même trop tardé à accorder aux Etats africains dont les tirailleurs sont morts au front de la guerre contre le nazisme, ont été données contre la volonté d’Houphouët Boigny qui voulait faire de la Côte d’ivoire un Dom Tom français. Et c’est lui-même qui l’avoue le 7 décembre 1960 à travers cette formule devenue célèbre « Pour se marier il faut être deux, or la France n’a pas voulu aller à l’église, je suis resté sur les parvis avec les fleurs fanées à la main…». Tout ce rappel pour dire que l’houphouétisme est l’autre nom de la françafrique. «Tous ceux qui s’en réclament sous les tropiques en mesurent-ils suffisamment la portée ?» Est-on quelque fois naïvement obligé de se le demander !

Mais qu’on ne s’y trompe pas parce qu’on ne peut plus se leurrer en s’enfermant comme une autruche dans des arguments brumeux, prétendument pertinents d’exclusion, de mauvaise gouvernance ou même d’anticolonialisme dogmatique pour ne pas comprendre que c’est la défense de l’empire français au détriment des intérêts de son propre peuple que mènent tous les houphouétistes du monde. Et quand un empire, comme tout empire, sort de ses gonds pour se défendre, armes au poing, contre l’idée de sa remise en cause, comme c’est le cas depuis le 19 septembre 2002 en Côte d’Ivoire, son déclin n’est plus loin.



Françafrique : la fin d’un système nocif (3)


Mentalité d’esclavagiste

A ce stade de l’analyse, on ne peut pas objectivement occulter l’idée qui consisterait à défendre et à présenter l’houphouétisme ou la françafrique comme une idéologie au sens où on serait tenté de le définir comme une pratique rationnelle. Il aurait alors la même valeur que les autres pratiques politiques qui, pour être combattues les unes par rapport aux autres n’ont pas besoin de disparaitre. Dans toutes les sociétés politiquement bien structurées, les deux pôles idéologiques capitaliste et socialiste existent, s’alternent et se tiennent dans une sorte d’équilibre sociopolitique.

Dans ces sociétés qui avancent à la vitesse de la lumière malgré ces confrontations idéologiques, les citoyens passent d’une conviction à une autre sans perdre leur âme parce que, ce qui différencie le capitalisme du socialisme est en fait un accessoire pratique face au fond rationnel qui les unit. Le libéralisme ou le capitalisme, le communisme ou le socialisme partent tous de l’idée essentiellement rationnelle que tous les hommes sont égaux et ils se valent tous en droit. Leur différence réside en ceci que les premiers créent à travers l’Etat les conditions d’une libre concurrence des citoyens ; les derniers, redoutant les clivages sociaux que crée la liberté totale de s’approprier selon sa capacité toutes les ressources existantes, exigent une plus forte implication de l’Etat dans la production et la redistribution équitable des biens publics.

Apparemment, à cause du fil de la rationalité qui les tient tous, c’est en toute logique que l’alternance politique se régule seule. Quand le peuple pense par exemple que le libéralisme a trop approfondi les clivages sociaux au point de mettre à mal les fondements de l’Etat de droit, c’est lui qui change de système de gouvernance en donnant son suffrage au socialisme. Dans cette saine confrontation idéologique pour le contrôle de la république, c’est une dérive politique que de parler de race supérieure, d’ethnie, de rattrapage ethnique, de descendance égyptienne à qui doit échoir naturellement le ?trône présidentiel?. Toute chose à relent d’irrationalité que brassent les animateurs décomplexés de la Françafrique et qui fonde à penser que cette dernière n’est pas une idéologie.

La Françafrique ou l’houphouétisme est simplement une mentalité, celle de l’esclavagiste. Imaginez tout ce qu’un esclave doit à son maître et tout ce qu’un maître attend de son esclave et vous saisirez mieux le type de rapport que la France officielle perpétue dans la Françafrique avec ses ex-colonies. Et vous comprendrez mieux pourquoi, tous autant qu’ils sont, les adeptes occidentaux de la Françafrique comme leurs relais africains sont allergiques au concept de souveraineté, de nationalisme et de la démocratie sous les tropiques.

Joseph Marat

Source : Le destin de la Côte d’Ivoire

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