Aux portes de l’Afrique sub-saharienne, à 2 000 km de l’Europe, la ville algérienne de Tamanrasset vit au rythme des candidats à l’émigration qui s’y côtoient et partagent les mêmes rêves, parfois les mêmes désespoirs
C’est le printemps à Tamanrasset, ville du sud de l’Algérie, proche du Niger et du Mali. Les touristes européens quittent la ville à l’approche des chaleurs. Les camions dont descendent chaque jour des immigrés venus de toute l’Afrique sub-saharienne, eux, ne connaissent pas de saison.
Tamanrasset est une porte d’entrée pour des milliers de candidats africains à la migration vers l’Europe. « Je me sens chez moi ici à Tam. Mes compatriotes et tous les autres Africains me font oublier l’exil, explique Oulatara, un jeune ivoirien. Je préfère patienter ici que d’aller errer au nord de l’Algérie où je risque le refoulement à tout moment. »
Tam, comme l’appellent ses habitants de passage, abrite des immigrés africains légaux et illégaux. Les clandestins ont plus de chance de s’y fondre dans la masse, mais aussi d’y trouver un logement moins cher que dans les villes du nord du pays, où la législation oblige le propriétaire à déclarer à la police l’identité des locataires. Ce n’est pas le cas à Tam où les « villages africains » se sont formés et continuent à être rythmés par la clandestinité. Ce sont des ghettos où même les forces de sécurité n’osent pas pénétrer.
Proche d’une bande frontalière de 1 550 km, la région de Tamanrasset reste le passage privilégié des candidats à l’exil. 2 000 à 3 000 personnes franchissent illégalement les frontières sud de l’Algérie chaque année, selon la Gendarmerie nationale. Mais beaucoup d’autres entrent sur le sol algérien munis de visas de trois mois. À leur expiration, la plupart d’entre eux n’ont pas encore réussi à quitter Tam. Parmi ces clandestins, les Maliens et les Nigériens sont de loin les plus nombreux, mais il y a aussi d’autres Africains et – phénomène apparu ces deux dernières années – des Asiatiques (d’Inde et du Bangladesh) qui tentent de s’introduire par là en Europe.
La vie en transit
À Guetâa El Oued, Tahaggart, Imechouane, « villages africains » édifiés dans Tamanrasset, la cohabitation entre immigrés n’est pas idéale. Dans ces ghettos, les rapports de force s’établissent en fonction des nationalités, de l’ancienneté, de l’importance de la communauté. Les Maliens et les Nigériens ne se plaignent pas de leur vie ici. Les liens historiques, la proximité géographique de leur pays d’origine et le fait qu’ils soient les seuls à disposer de consulats en Algérie facilitent leur vie quotidienne. L’intégration est plus difficile pour les immigrés issus de pays anglophones. Souvent organisés en clans, ils sont vite pointés du doigt dans des affaires liées à des vols et des agressions. Ces villages dans la ville sont au fil des années devenus des lieux où tout se négocie : passeports, argent, travail au noir, femmes pour des travaux de ménage ou pour la prostitution, enfants à adopter, etc.
Aux premières lueurs de l’aube, des centaines de clandestins se postent aux carrefours, à la sortie de la ville. Ils guettent camions et camionnettes pour dénicher un travail occasionnel qui leur permette de survivre. Des entrepreneurs, mais aussi des particuliers, y passent prendre de la main-d’œuvre bon marché et corvéable à souhait, en raison de sa précarité. Le transit par Tam peut durer des semaines, des mois voire des années.
Certains se résolvent à demander des papiers d’identité algériens ou des titres de séjour leur permettant de travailler en toute légalité, alors que la grande majorité végète dans la clandestinité et la précarité. Les ateliers de confection sont devenus le monopole des Nigériens et des Maliens. Les autres ont le choix entre les ateliers de mécanique, de soudure ou les chantiers de construction.
Refoulement, pas rapatriement
Alhassane, la vingtaine à peine entamée, arrive du nord du Cameroun. Il jure qu’il n’y retournera pas, même si on le refoule cent fois : « Tout le village a cotisé pour me payer le voyage. Ils attendent que je m’établisse en Europe et que je commence à leur envoyer de l’argent. Je préfère mourir qu’y retourner les mains vides. »
En Algérie, les refoulements sont fréquents tout autant que les possibilités de retraverser la frontière dans l’autre sens. En 2005, les services de la gendarmerie locale ont eu à traiter 1 603 affaires liées à l’immigration clandestine, impliquant 2 229 personnes sans compter celles qui passent à travers les mailles du filet et continuent leur traversée du désert pour gagner le Nord. La tendance n’a pas fléchi en 2006. La majorité des gens interpellés sont refoulés à la frontière, mais pas rapatriés. Les opérations de refoulement sont coûteuses et supportées pour le moment par le Trésor public algérien.
L’Union européenne avait pourtant promis, à Oran, l’an dernier, d’aider les pays nord-africains dans la lutte contre l’immigration clandestine. Mais les fonds tardent à être débloqués. En raison des coûts, le choix de la destination du refoulé s’impose : 398 km séparent Tamanrasset du poste d’Ain-Guezzam (frontalier avec le Niger) et 508 km de celui de Tin-Zaouatine (avec le Mali). Selon la prépondérance des Maliens ou des Nigériens dans le lot des personnes, les clandestins seront refoulés à l’un ou l’autre endroit. À contresens de leur rêve…
Source : Blog de Said Bouamama, 2006
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