Le Nigeria va dissoudre la Brigade spéciale anti-banditisme (SARS), accusée de meurtres et de brutalité


Emmanuel Akinwotu

Traduit par Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي


L’annonce intervient après des protestations croissantes, mais les critiques disent qu’elle ne va pas assez loin

Après des jours de protestations contre les brutalités policières, le gouvernement nigérian a dissous une unité de police tristement célèbre, qui faisait l’objet d’allégations d’exécutions extrajudiciaires et d’abus.

Une vague d’indignation a été alimentée la semaine dernière par l’apparition en ligne de séquences graphiques et d’expériences partagées d’abus commis par la Special Anti-Robbery Squad [litt. Escouade spéciale de lutte contre le vol), communément appelée SARS.

La campagne #EndSars a débuté comme un mouvement largement en ligne, faisant un buzz international sur les médias sociaux et gagnant le soutien de personnalités telles que le footballeur Marcus Rashford et l’acteur John Boyega. Beaucoup de ceux qui défilent à Lagos et dans les villes du Nigeria ont la vingtaine ou la trentaine, protestant pour la première fois et motivés par leur expérience personnelle ou par des liens avec les abus des forces de sécurité.

« L’Escouade spéciale de lutte contre le vol (Sars) de la police nigériane a été dissoute avec effet immédiat », a déclaré dimanche le bureau du président Muhammadu Buhari.

L’Inspecteur Général Mohammed Adamu, qui avait auparavant écarté la perspective de la dissolution de l’unité, a également annoncé de nouvelles mesures « en réponse aux aspirations du peuple nigérian ». Les agents de la SARS seront redéployés dans d’autres unités, a-t-il dit, et un « nouveau dispositif policier » pour la remplacer sera bientôt annoncé.

Étant donné la récurrence cyclique de vagues d’indignation publique au Nigeria, suivies de promesses gouvernementales qui sont ensuite perçues comme n’ayant pas apporté de changement tangible, l’annonce a été accueillie par un mélange d’euphorie que les autorités aient été forcées d’agir et de frustration que les mesures ne soient pas allées assez loin.

Le directeur d’Amnesty International Nigeria, Osai Ojigho, a déclaré : « L’annonce ne répond pas aux demandes de reddition de comptes et de justice pour les abus commis par l’unité et la police en général.

« Les autorités policières doivent affirmer avec force les mesures concrètes qu’elles prendront pour que tous les agents soupçonnés d’avoir commis des violations des droits humains fassent l’objet d’une enquête et soient traduits en justice ».

La SARS a été créé en 1992 pour faire face à l’augmentation des crimes et délits violents, mais beaucoup ont accusé l’unité de refléter progressivement les groupes qu’elle a été créée pour arrêter. La police armée de la capitale, Abuja, a fait usage de la force contre les manifestants qui défilaient au moment où la décision de la a été annoncée.

Plusieurs vidéos diffusées sur les médias sociaux ont montré des agents tirant à balles réelles et utilisant des gaz lacrymogènes et des canons à eau sur des manifestants en fuite, dont beaucoup ont été blessés.

Une manifestante a déclaré avoir vu un groupe de six agents battre une femme avec des bâtons et des matraques, confirmant la vidéo mise en ligne.

Un manifestant, Jimoh Isiaka, a été abattu par la police dans l’État d’Oyo, au sud-ouest du pays, a déclaré le gouverneur samedi, et un policier, Etaga Stanley, a également été tué lors d’affrontements dans l’État du Delta, au sud du pays.

« Nous ne pouvons pas être des étrangers dans notre pays »

De nombreux manifestants qui se sont rassemblés ces derniers jours ont décrit les appels à la dissolution de la SARS comme le début d’une réforme de la police au Nigeria. « D’abord c’est la SARS et ensuite c’est tout le système policier, parce que même avec des policiers et des policières ordinaires, on n’est pas en sécurité », dit Anuola, 26 ans, à Lagos.

« Il ne s’agit pas seulement de la SARS, il s’agit de mettre fin à la brutalité policière », dit Ikechukwu Onanuku, un musicien de Lagos, qui dirigeaient le chœur de slogans alors qu’un millier de personnes marchaient dans le quartier huppé d’Ikoyi, bloquant un pont et un rond-point.

« Nous ne nous arrêterons pas, nous serons ici demain et le jour suivant et l’année prochaine jusqu’à ce qu’il y ait du changement. Les gens en ont marre, pas seulement ici mais dans le monde entier », a-t-il déclaré, ajoutant qu’il avait failli laisser sa peau dans une rencontre avec l’unité SARS. « J’aurais pu ne pas être ici », dit-il.

Le droit de manifester est inscrit dans la loi nigériane, mais les mouvements de protestation sont régulièrement réprimés car les forces de sécurité les considèrent souvent comme des menaces pour la stabilité. Les expériences d’abus policiers sont presque omniprésentes.

Lors de la manifestation d’Ikoyi, des médecins assistaient les manifestants debout dans la chaleur, en leur fournissant gratuitement du glucose et du paracétamol. Les organisateurs ont récolté des milliers de livres pour acheter de l’eau, de la nourriture et des fournitures pour les manifestants dans différentes régions du pays. Des centaines d’avocats se sont portés volontaires pour assister les personnes interpellées.

Rinu Oduala, une influenceuse présente à un sit-in devant le siège du gouvernement à Lagos, a déclaré qu’elle estimait que les protestations alimentaient l’espoir. « C’est inspirant parce que des gens du monde entier ont donné de l’argent, de la nourriture et tout le reste, dit-elle. Je suis pleine d’espoir parce que le monde entier nous regarde ».

NdT

Les manifestations ont continué lundi, malgré l’annonce de la dissolution de la SARS. Un homme de 55 ans a été tué et de nombreuses personnes ont été blessées par balles à Surulere, une zone de Lagos. Les manifestants onc cinq revendications :
1. La libération immédiate de tous les manifestants arrêtés
2. Justice pour les personnes tuées par des brutalités policières et indemnisation de leurs familles
3. Un organisme indépendant chargé d’enquêter sur les cas de mauvaise conduite et d’engager des poursuites
4. Des évaluations psychologiques indépendantes et une nouvelle formation pour les agents de la SARS licenciés qui souhaitent être redéployés
5. Une augmentation de salaire pour les policiers afin qu’ils soient « correctement rémunérés pour la protection de la vie et des biens des citoyens ».

Source : Tlaxcala, 12 oct 2020

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