Algérie / Santé : vide effarant

par Abdelkrim Zerzouri


S’il est admis que la santé en général se porte mal en Algérie, la santé mentale, elle, échapperait à toute évaluation conséquente en l’absence de données sur le nombre exact de personnes atteintes de troubles mentaux, ni même d’un cadre réglementaire adéquat. Même si on tente de rassurer sur le sujet, quand le ministre délégué chargé de la Réforme hospitalière, Smaïl Mesbah, affirme à l’occasion de la de la célébration de la Journée mondiale de la santé mentale, coïncidant avec le samedi 10 octobre, que l’offre de soins en santé mentale a connu, ces dernières années, «une nette amélioration», la situation ne serait pas moins déficiente sur le plan de la prise en charge de ceux qu’on désigne pudiquement sous le nom de patients atteints de déficience mentale.

D’ailleurs, le ministre avoue dans la foulée que «des défis restent à relever» sur ce plan, dont l’inadéquation des structures existantes, le poids des tabous, l’intégration de la notion de santé mentale comme composante à part entière de la santé et la place de la prévention, par rapport à celle du soin médico-psychologique proprement dit, qui demeure très aléatoire malgré le développement de la science sur ce registre, y compris dans les pays les plus avancés.

Et les mots restent encore assez tendres pour décrire une situation des plus inquiétantes. Serait-on exagérant si on avance que l’Algérie figure parmi les premiers pays consommateurs de médicaments antidépresseurs ou tranquillisants ? On n’aurait aucune donnée statistique pour le prouver, mais on peut apprécier à travers un recoupement de données parcellaires que la consommation des médicaments en question, acquis sur ordonnance auprès de l’officine pharmaceutique ou sur le marché noir des médicaments psychotropes, bat son plein et touche pratiquement tous les âges et toutes les franges de la société, avec une prévalence de propagation du phénomène dans le milieu juvénile quand il s’agit de se procurer ces médicaments sur le marché noir. Près de deux millions de comprimés psychotropes, destinés à l’écoulement sur le marché noir, ont été saisis par les services de la police judiciaire de la sûreté nationale durant les huit premiers mois de l’année en cours ! Combien en a-t-on vendu légalement et quelles quantités de marchandises sont passées entre les mailles des filets des services de sécurité ? C’est tout simplement alarmant.

Le nombre des patients atteints de troubles mentaux pris en charge dans les structures psychiatriques n’est pas connu, comme on le reconnaît officiellement, puisque une enquête nationale a été initiée au mois d’avril 2019 pour identifier le nombre des porteurs de ces pathologies, sans parler des addicts aux psychotropes, des malades qui s’ignorent, et qui ferait sauter le compteur si leurs effectifs sont pris en considération. Comment en est-on arrivé à cette déplorable situation ? Est-ce parce qu’il n’y a personne pour défendre les droits des malades mentaux, abandonnés par la société, jusque y compris au sein de leurs propres familles ? Et, justement, quand tout s’effondre autour des franges fragiles de la société, c’est à l’Etat de combler le vide effarant.

Un sérieux effort devrait être déployé, et en urgence, pour élaborer un cadre réglementaire de l’offre de soins en santé mentale en Algérie, dont l’élaboration des textes d’application de la loi sanitaire en matière de modalités d’hospitalisation, encore inexistants (!), et la mise en place dans ce sillage des conseils juridiques dans les hôpitaux et services de psychiatrie. Ce n’est pas une mince affaire d’hospitaliser ou d’interner (le mot exact) une personne dans un hôpital psychiatrique, qui sera privée de ses facultés mentales et par extension de ses responsabilités civiles et pénales.

Le Quotidien d’Oran, 13 oct 2020