La fabrication du consensus – Les médias marocains et le Sahara Occidental

Par Denis Vericel

Après avoir examiné la presse écrite marocaine, l’on peut constater que les journaux francophones sont « Le Matin », « Aujourd’ui le Maroc », « Au fait ». Ceux-là de langue arabe sont « Al Alam », « Al Maghribia ». Les nouvelles internationales sont comme ailleurs, alors que les locales parlent de politique, sport, télévision et beaucoup d’événements banales. Jusqu’ici rien n’est différent. Rien excepté une chose : chaque jour, depuis plus de 30 ans, tous les journaux marocains s’occupent d’une question : le Sáhara Occidental. Aucune mise en question n’existe, uniquement une certitude : le Sáhara Occidental est une partie du Maroc et le Maroc se bat pour l’Union Nationale et pour l’Intégrité de son Territoire.

Histoire du Sahara Occidental

Le Sáhara Occidental a été colonisé d’abord par l’Espagne, qui voulait ce territoire désertique comme protection pour ses Îles Canaries situées à peu de kilomètres de la côte. Dès les années 60, ont commencé les manifestations contre cette occupation et ont été violemment réprimées par l’armée espagnole. La situation a changé dans les années 70 lorsqu’un autre protagoniste a décidé de déclarer sienle territoire et se battre pour le retour de ces terres au « Grand Maroc ».
Quand le roi Hassán II a organisé la « Marche Verte » dans laquelle 350.000 Marocains sont entrés dans ce qui étatit, à l’époque, le Sáhara Español, « armés uniquement du Sacré Coran », avait dit le roi, sa stratégie allait beaucoup trop au-delà d’un désir pacifique pour libérer le Sáhara. Après deux coups d’État et beaucoup de manifestations contre le régime monarchique, Hassán II avait besoin non seulement d’unir le peuple marocain pour une cause commune mais aussi de se protéger des meneurs militaires qui avaient déjà essayé de lui tuer deux fois. La situation du Sáhara est apparue comme la solution parfaite pour les deux problèmes.

Cependant, la pacifique Marche Verte était plustôt une annexion devant les yeux de la Communauté Internationale, puisque le général Dlimi et l’armée marocaine ont pénétré dans le territoire saharaui juste quand les membres de la marche ont croisé la frontière symbolique. Dans le plan de Hassán II, il y avait un facteur unique inconnu : la résistance saharaui. Organisée dès 1973 comme un front par la liberté saharaui dénommé POLISARIO, l’insurrection saharaouie contre la nouvelle colonisation s’est transformée en guerre qui a duré 16 ans. Exilée dans le désert de Tindouf (Algérie), la République Arabe Saharaui Democrática (RASD) attend la célébration du référendum pour l’indépendance promis par les Nations Unies. Actuellement, le Sáhara Occidental continue d’être le dernier territoire africain, dans l’agenda de l’ONU, qui espère être décolonisé.
Depuis le cessez-le-fe de 1991, le Maroc a renforcé sa politique d’occupation et de colonisation et en plus des avantages évidents politiques de cette colonisation, le Maroc bénéficie aussi de beaucoup de cadeaux de cette terre, comme les phosphates et la pêche. Plus que l’armée, la Police marocaine est omniprésente dans le Sáhara Occidental, en essayant de contrôler chaque haleine de la population saharaouie. Les manifestations sont interdites, les journalistes contrôlés et les activistes surveillés. De nos jours, 34 ans après que le Maroc contrôle le Sáhara Occidental, le royaume continue de violer encore les lois internationales après avoir repoussé la célébration du référendum, de spolier les ressources naturelles du territoire ( voir Western Sahara Resource Watch) et d’ignorer les droits de l’homme en opprimantà la population saharaouie.

Mais il y a quelque chose de plus : le Maroc ment quotidiennement à sa propre population. L’un des objectifs principaux du Royaume a été, et continue d’être, de persuader les Marocains que sa politique est correcte, légale et reconnue par la Communauté Internationale. Pendant des années, les journaux marocains, la télévision et la radio racontaient la même vieille histoire : que le Maroc est victime des attaques du POLISARIO ; que l’intention unique du Maroc est de libérer cette terre au nom de la liberté ; que le Maroc veut uniquement libérer les Marocains des provinces sahariennes d’une séparation injuste. Ainsi, jour après jour et année après année, le même discours dans les journaux a réussi à créer un consensus national sur le Sáhara Occidental.
Que disent les journaux sur le Sahara Occidental?

Si nous lisons quotidiennement les journaux marocains, nous pouvons constater en premier lieu q’il y a , presque tous les jours, un article sur le Sáhara. La plupart des fois, ces articles appartiennent au même journaliste (comme Latifa Cherkaoui pour « Le Matin ») ou ne sont pas signés, émis par Maghreb Arab Press, l’agence de presse de l’Etat. Les articles ont l’habitude de parler de la crise saharaouie et, surtout, de comment le Maroc travaille pour résoudre le problème ; de comment le POLISARIO fait pour déstabiliser les négociations ; de comment les conditions humaines dans les camps de Tindouf sont terribles ; de comment les Nations Unies et d’autres nations soutiennen le plan d’autonomie proposé par le Maroc.

Dans ce sens, les journalistes ont créé leur propre vocabulaire pour le Sáhara Occidental (le terme qu’ils n’utilisent jamais en préférant « Sáhara Marrocain » ou les « Provinces Sahariennes »). Si nous jettons un coup d’oeil aux termes utilisés dans les articles, nous pouvons voir, à l’instant, que le sujet ne permet qu’une vision unique. Chaque fois qu’un journaliste écrit sur le « Sahara Marrocain », la dite expression vient associée aux mots suivants : « Nos provinces, union sacrée, souveraineté nationale, unanimité, intégrité territoriale, légalité internationale, peuple marocain, patrie, orgueil national, unité, sacrifice ».

Lorsque les articles se rapportent au plan d’autonomie, le vocabulaire non seulement est dûment orienté, mais en plus il ne laisse pas d’opportunité pour un autre point de vue. La position du Maroc est toujours qualifiée de : « juste, sérieuse, croyable, réaliste, raisonnable, sans aucune ambiguïté ». Beaucoup d’expressions sont utilisées : « Une solution politique et définitive. Bien reçu par le Conseil de Sécurité et par la Communauté Internationale. Une alternative sérieuse et crédible. Paix négociée. L’unique et définitive solution démocratique valable et sûre ». Ces expressions s’emploient à la lettre dans tous les médias.

La même stratégie est suivie lorsque les journalistes parlent du mouvement indépendiste. Quand sont mentionnés les mots POLISARIO et Camps de Tindouf, sont toujours liés liés à : « Mercenaires du POLISARIO, endoctrinement polisarien à Cuba, action terroriste, pseudo-RASD, connexion avec le mouvement terroriste, violation des Droits de l’homme, prison sécrète, population séquestrée, traite des êtres humains, isolement stalinien, torture, absence de liberté, camps de la honte ».

Mais le vocabulaire arrive à être encore plus violent et agressif ainsi que les sujets traités. Actuellement, les journalistes construisent une nouvelle image du POLISARIO plus « moderne ». Les derniers articles expliquent comment le POLISARIO vend des armes aux groupes terroristes, comment celui-ci est lié à Al Qaida, comment le Front est composé en réalité par des trafiquants de drogue qui arrivent au Maroc depuis l’Algérie pour vendre des drogues et des cigarettes, etc…
Quand nous voyons l’agressivité qui caractérise les journaux envers le Sáhara Occidental, moyennant l’utilisation quotidienne du même vocabulaire unilatéral et en le liant avec les pires démons de notre société, comme les drogues et le terrorisme, il ne nous reste plus que rappeler la définition suivante :

« Le secret de la propagande moderne : simplifier tellement les choses complexes que même le moins intelligent peut entendre ce que je dis. Simplifie et répète chaque jour. Simplifier et répétir, voici le secret de la propagande moderne ».

Cette définition de la propagande est de Fritz Hippler, metteur en scène du Troisième Reich.

Aucune opinion alternative n’est possible

Mais pourquoi n’y a-t-il pas d’alternative à cette opinion quotidiennement imposée ? L’une des réponses se trouve dans de la Loi marocaine. Si vous jettez un coup d’oeil à la Constitution marocaine et au Code de Presse, vous verrez qu’aucune offense n’est permise au roi ou à la « intégrité territoriale ». Parler du Sáhara Occidental ou de n’importe quelle alternative à la position marocaine est quelque chose qui est immédiatement réprimé. Et cette loi non seulement existe pour protéger le roi et le point de vue marocain mais c’est, en plus, la méthode légale de poursuivre n’importe quel activiste, journaliste ou citoyen qui n’accepte pas la vision marocaine. Grâce à cette loi, les tribunaux marocains ont condamné nombreux saharaouis à des peines de beaucoup d’années de prison. De cette façon, participer à une manifestation est suffisant pour aller en prison, alors que la brutalité policière est légitimée par la dite loi.

Les journalistes marocains sont victimes de cette loi. Ali Lemrabet, un éditeur de « Demain Magazine » attend la sentence judiciaire et une peine de 3 à 5 ans de prison par « injures à l’encontre de la personne du Roi » (voir l’article de Reporters Sans Frontières : «  »Warning for the independent press » »). Le droit à la liberté d’expression est reconnu comme un derecho humano dans l’Article 19 de la Declaración Universal de Derechos Humanos, cependant, la Constitution marocaine a trouvé la solution pour protéger son peuple de cette liberté. Le Maroc, et le nouveau roi Mohamed VI, voulaient que sa nouvelle constitution soit « moderne », « démocratique » et « respectueuse », mais, finalement, la presse et les journalistes continuent de manquer de la liberté pour écrire ; les citoyens peuvent être condamnés pour parler du roi ou de « l’intégrité territoriale » et, même, l’homosexualité est encore considérée comme une offense (voir le Informe de Amnistía Internacional 2009).

Il faut souligner que plusieurs journaux marocains sont étroitement liés au régime. Ses chefs, ses propriétaires et ses actionnaires, les compagnies qui paient la publicité, tous font partie du système contrôlé depuis là-haut, par le propre roi Mohamed VI. Par exemple, Moulay Ahmed Alaoui, cousin de Hassán II et ex-ministre, est le président de « Maroc Soir », le groupe que publie « Le Matin », dont il est aussi un « directeur politique ». Un autre journal, « Al-Anbaa », est tout simplement géré par le Ministre de l’Information.

La fabrication du consensus sur le Sáhara Occidental est une tâche quotidienne pour les journaux et les autorités marocaines. Le rôle des médias est confondre la population marocaine moyennant le point de vue officiel. Les autorités peuvent interdire n’importe quelle autre opinion en condamnant les individus « insoumis ». Ils peuvent aussi utiliser d’autres méthodes comme fermer l’accès du Maroc à ARSO qui est la page Web la plus importante sue le Sáhara Occidental.
La manipulation de l’opinion publique et les pressions très agressives utilisées par le Royaume du Maroc pour imposer son plan aux autres pays constituent ses armes les plus importantes dans ce conflit. Mais c’est, aussi, la raison de la situation interminable actuelle, l’obstacle devant toute solution au Sáhara Occidental.

Bellaciao : 12 août 2009

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