Le choix de ne pas s’impliquer militairement et sa volonté de promouvoir la résolution des conflits par le dialogue et la négociation jouent en sa faveur et octroie à l’Algérie une place de choix dans le rééquilibrage géostratégique dans la région. Longtemps en berne, la diplomatie algérienne tend à retrouver ses marques sans pour autant avoir, en aucun moment, dérogé à ses fondamentaux.
Le rôle d’Alger s’exprime lors de chaque événement majeur, l’engageant de près ou de loin.
Républicains ou démocrates, pour les émissaires américains, c’est une escale d’importance et qui est incontournable.
Ce jeudi 1er octobre, le chef du Pentagone (ministre de la Défense), Mark Thomas Esper, a atterri dans la capitale avec un agenda dicté par les évolutions politiques dans la région du Maghreb et, partant, l’Afrique du Nord. La partie américaine parle de renforcement des relations bilatérales et les perspectives de développement «dans tous les domaines». Au Palais d’El-Mouradia, l’on se contente d’évoquer la volonté de «concertation et de coordination pour la paix — dans le respect de l’unité et de la souveraineté des pays de la région». Il faut observer que la démarche du représentant de Washington s’inscrit dans la tradition des périples périodiques américains dans la région du Maghreb, commençant par la Tunisie pour se terminer au Maroc, son allié de toujours, après l’escale d’Alger.
La situation exceptionnelle que vit depuis ces dernières années la sous-région nord-africaine, inhérente à la chute du régime d’El Kadhafi, l’émergence du terrorisme et le commerce transfrontalier des armes et de la drogue apportent donc leur lot de priorités. Ce sera donc le cheval de bataille des administrations américaines qui alternent à la tête du pouvoir, républicains ou démocrates. Dans un cas comme dans l’autre, les États-Unis n’entendent pas perdre la main au Sahel et plus largement en Afrique, aujourd’hui le centre de toutes les convoitises et des plans de partage de zones d’influences. D’abord la Libye et ses immenses réserves pétrolières, derrière la guerre par procuration que se livrent des puissances régionales comme l’Égypte et un nouvel arrivé, les riches Émirats arabes unis.
Si l’impasse faite à la paix dans ce pays paraît évidente malgré les diverses initiatives visant à réconcilier les frères ennemis, l’on ne peut «zapper» le fait que le sol libyen est devenu un espace de prédilection des groupes et autres milices armées, du commerce des armes, et une porte ouverte à l’immigration clandestine qui fait trembler l’Europe profonde. Fait aggravant : l’intrusion sur la scène libyenne de la Turquie et, plus encore, ses ambitions en Méditerranée orientale en matière d’exploitation des gisements de pétrole off-shores. Mais pas seulement puisque ses désirs de puissance la poussent à revendiquer un rôle d’influence susceptible de mettre en cause l’ordre établi, d’où les cris au loup de la France d’Emmanuel Macron, relayé en cela par des monarchies du Golfe. Les Américains, conscients de tout cela, veulent donc sortir de leur attentisme face aux ingérences dans la guerre civile libyenne, bien qu’ils soutiennent la partie du maréchal Haftar. Pour eux, le danger prend de l’ampleur avec l’implication de la Russie de Poutine qui entend ne pas perdre une place forte dans cette région du Maghreb que lui confèrent ses liens passés avec El Kadhafi, un héritage qu’elle compte préserver. Et c’est aussi la Méditerranée orientale qui est au centre de l’intérêt de la Russie.
Pour Washington et ses alliés d’Europe et du Moyen-Orient, il n’est pas question de se laisser doubler, d’où le regain d’activisme de sa diplomatie à l’endroit des pays de la région. Faire bouger les lignes pour sortir de l’impasse actuelle est dans ses calculs. Le conflit libyen, aux yeux des États-Unis, ne peut se poursuivre encore plus longtemps si l’on prend en compte, par ailleurs, leur projet du GMO (Grand-Moyen-Orient), avec en filigrane arracher la reconnaissance de l’État d’Israël, y compris par les pays les plus récalcitrants à cette éventualité.
Les Émirats arabes unis et Bahreïn ont, d’ores et déjà, ouvert la voie. Donald Trump, en course pour un second mandat, jubile à chaque nouvelle reconnaissance et dit ouvertement en attendre beaucoup d’autres. Sur ce sujet, l’Algérie, par la voix de son Président Abdelmadjid Tebboune, a, une fois de plus, réitéré la position de principe sur le sujet, et entend se démarquer de cette effervescence. Pour autant, Mark Thomas Ester aura eu l’opportunité de tâter le terrain sur un sujet qui fâche nos officiels.
A contrario, la contribution de l’Algérie à la stabilisation de la région lui importent, et il a exprimé le point de vue américain sur les capacités de lutte contre le terrorisme de l’armée algérienne et la sécurisation de la région, en dépit de la recrudescence des groupes djihadistes particulièrement actifs ces derniers mois.
Au demeurant, la coordination stratégique algéro-américaine dans la lutte contre le terrorisme ne date pas d’aujourd’hui.
Pragmatiques, les Américains ont déjà eu à apprécier la justesse des choix des politiques étrangères de l’Algérie. Ce fut le cas lors de la crise des otages américains en 1979-1981, la médiation dans la région des Grands-Lacs dans les années 90 et au Mali notamment. Du reste, aux yeux des Américains, Alger est une place forte pour leurs émissaires. Mark Thomas Ester, le chef du Pentagone, ne vient-il pas après son prédécesseur, Donald Rumsfeld qui était en 2006 ministre de la Défense de George Bush, en pleine guerre d’Irak ? Alger a eu également à accueillir la sulfureuse secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Madeleine Albright, en décembre 2000, Colin Powell en 2003, Condoleezza Rice en 2008 et Hillary Clinton himself en 2012 !
Visiblement, Mark Thomas Ester veut donner un coup d’accélérateur aux évolutions politiques dans la région, en espérant que celle-ci ne deviendra pas l’otage des ambitions hégémoniques des uns et des autres.
Brahim Taouchichet
Le Soir d’Algérie, 3 oct 2020
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