Il y a, cependant, des ruptures périodiques dans le fil du récit qui fait du triomphe de l’Amérique sur le racisme l’une des principales caractéristiques de cette société. En 1955, en pleine Guerre froide, le meurtre d’Emmett Till fait voler en éclats le discours de la supériorité morale et démocratique de la société états-unienne. Le mouvement Black Freedom des années 1960, qui éclate au moment même où les USA livrent une guerre au Vietnam (soi-disant au nom de la liberté), fait apparaître au grand jour à quel point le pays dans son ensemble est profondément raciste et réfractaire aux revendications d’égalité et de libération noires.
Plus récemment, en 1992, les émeutes de Los Angeles relancent le débat sur la persistance des inégalités raciales. En 2005, la réponse honteuse de l’administration Bush à l’ouragan Katrina submergé momentanément les brillantes auto-congratulations des dirigeants états-uniens a une période où le pays se trouve, à nouveau, empêtré dans la guerre et l’occupation militaire au nom de la liberté et de la démocratie, cette fois respectivement en Irak et en Afghanistan.
S’il est presque toujours impossible de dire quand et où surgira une mouvement, le fait que dans de telles conditions un mouvement finira tôt ou tard par éclater relève, lui de la certitude. Aujourd’hui, la naissance d’un mouvement contre le racisme et la police révèle une fois de plus l’illusion d’une société américaine « indifférente à la race » ou « post-raciale ». Aux cris de « Hands Up, don’t shoot », « I can’t breathe » et « Black lives matter », des dizaines de milliers de citoyens ordinaires se mobilisent pour mettre un terme à une violence policière et des meurtres d’Afro-Américains quotidiens.
Chaque semaine, les réseaux sociaux sont inondés d’histoires de violences policières subies par des citoyens ordinaires ou de meurtres de jeunes noirs presque toujours désarmés. L’apparition de ces moyens de communication a presque rendu simultanées la survenir d’un incident et l’information du public. Là où les grands médias ont, comme d’habitude, sous-estimé voir ignorer les plaintes du public contre la corruption et les abus de la police, la prolifération des smartphones a donné à tout un chacun la possibilité d’enregistrer ces incidents et de les diffuser très largement sur diverses plateformes virtuelles.
Si, historiquement, les émeutes ont presque toujours été déclenchées par des épisodes de violences policières, celles-ci n’ont jamais constitué que la partie émergée de l’iceberg. Et cela n’a pas changé. L’apparition d’un mouvement contestataire noir sous la présidence d’Obama peut surprendre, et pourtant, à cause de la réticence de cette administration à se mobiliser sur ne serait-ce qu’un seul des problèmes de fond auxquels est confrontée la population noire, sa situation a empiré sous les mandats d’Obama.
Séduits par ses promesses d’espoir et de changement, et par sa déclaration selon laquelle « oui, on peut » arrêter la guerre en Irak, les Afro-Américains se sont mobilisés de façon historique pour le soutenir en 2008 et en 2012. Surtout, ils espéraient se libérer de l’indifférence ahurissante dont l’administration Bush avait fait preuve vis-à-vis des souffrances des noirs, pleinement illustrée par la catastrophe de l’ouragan Katrina. Mais les Afro-Américains ont, à tous points de vue, subi sous la présidence d’Obama la même indifférence et la même discrimination active ; dans certains cas, elles ont même empiré. Le chômage des noirs s’est maintenu à des taux à deux chiffres, et même les diplômés noirs de l’université ont deux fois plus de chances de se retrouver au chômage que les diplômés blancs. En 2014, 12% d’entre eux, contre 4,9% des diplômés blancs, étaient sans emploi. En d’autre terme même ceux qui « ne se sont pas cherché d’excuses », sont allés à la fac et – comment disait Bill Clinton – « ont respecté les règles » réussissent toujours significativement moins bien que leurs camarades blancs. »
Keeanga-Yamahtta Taylor « Black Lives Matter. Le renouveau de la révolte noire américaine». Éditions agone/contre-feux. P. 26-28.
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