Occupé par le Maroc depuis 1975, le Sahara occidental est, selon l’ONU, le dernier territoire à décoloniser en Afrique. Pour imposer sa souveraineté contestée, le royaume use de la stratégie du fait accompli en militarisant et en peuplant la zone, tout en exploitant illégalement les ressources naturelles. Celles et ceux qui luttent contre cette colonisation s’exposent à des violences policières systématiques et à de lourdes peines de prison, ce qui les pousse parfois à l’exil. C’est le cas de Fatimatou Iaazza, militante indépendantiste sahraouie, arrivée en France à la mi-mars.
Je rencontre Fatou à Paris en novembre 2018. Tout juste âgée de 20 ans, elle s’efforce de sensibiliser les Français au sort des Sahraouis au cours d’une tournée express : Paris, Grand Est, Normandie, Bretagne. Lourde tâche, tant les médias et les politiciens français ignorent le sujet ou prennent largement parti pour le Maroc. En février 2019, tandis que je suis en mission d’observation dans les territoires occupés, Fatou me met en contact avec des activistes à Laâyoune et Smara. En raison de mon expulsion par la police marocaine [1], je ne pourrai malheureusement pas la rencontrer à Tan-Tan où réside sa famille [2].
Lorsque j’apprends en mars dernier que Fatou est à Paris et demande l’asile politique, je suis stupéfait. Que lui est-il arrivé ?
Un ami qui prend vingt ans
« Ma famille a toujours été pour l’indépendance du Sahara occidental, commence-t-elle. Mon grand-père s’est engagé au sein du Front Polisario [3] et a été estropié par une mine marocaine en 1987 au cours de la guerre d’indépendance [4]. Mon père est un défenseur des droits humains, je le considère comme un modèle. Il a été arrêté en 2004, en 2006 et la dernière fois en mars 2008. On l’a accusé d’être responsable de la mort d’un policier lors d’une manifestation à Tan-Tan le 28 février 2008. Il n’était pas à cette manifestation, mais il a été torturé puis condamné sans la moindre preuve à 15 ans de prison. Aujourd’hui encore, mon père est en détention à Bouizakarne, au Maroc. J’avais 10 ans le jour de son arrestation et ma sœur cadette était un bébé. »
Côté militantisme, Fatou n’est pas en reste : « Je suis membre de l’Association pour la protection des détenus sahraouis dans les prisons marocaines. J’ai également participé à l’organisation de plusieurs manifestations à Tan-Tan et à Laâyoune, la capitale des territoires occupés. En avril 2018, c’est là que nous avons organisé l’accueil de Horst Köller, l’envoyé personnel du secrétaire général des Nations unies pour le Sahara occidental. C’était sa première visite sur place. Ce jour-là, j’ai été battue dans la rue par la police puis transférée à l’hôpital. À Laâyoune, où j’ai fait mes études d’assistante sociale, nous manifestions très souvent : il ne se passait pas une semaine sans que nous ne sortions dans la rue avec des drapeaux. »
En mars dernier, invitée en Espagne par Amnesty International, Fatou participe à un séminaire sur les droits de l’Homme au Sahara occidental, à l’Université de Jaén. Depuis l’Andalousie, elle apprend qu’un autre militant sahraoui, Khatri Faraji, vient d’être condamné à vingt ans de prison ferme à l’issue d’une parodie de procès [voir encadré]. « Khatri est un ami, nous avons participé à de nombreuses actions ensemble, à Tan-Tan et à Smara. J’ai été très choquée, car j’ai toujours pensé que nous avions le même destin. »
« J’ai pris la menace au sérieux »
À son retour à Casablanca, ses bagages sont fouillés, puis elle est longuement interrogée dans une petite pièce de l’aéroport et menacée d’être arrêtée à son arrivée à Laâyoune. « Je savais qu’il est plus facile d’arrêter les activistes au Sahara occidental que dans cet aéroport sous le regard d’étrangers, explique Fatou. C’est pourquoi j’ai pris au sérieux la menace de la DGST [5] et malgré mon billet sur un vol dans la soirée pour Laâyoune, j’ai décidé de rester à Casablanca jusqu’à ce que la situation se calme. Le lendemain ma mère m’a appelée et m’a dit que la police était à ma recherche, qu’elle avait encerclé et fouillé la maison. J’ai eu très peur et j’ai appelé mon oncle pour lui demander conseil. Il m’a dit qu’il ne voulait pas que je connaisse le sort de mon père ou de Mahfouda Lefkir [voir l’encadré]. Il m’a suggéré de m’enfuir en France pour éviter l’arrestation et les traitements qui vont avec. J’ai accepté par peur de la torture. Je suis jeune, je veux vivre. »
Le 10 mars dernier, Fatou, dont le visa Schengen est encore valide, prend le bus pour Tanger puis monte dans un camion de marchandises qui la dépose à Paris six jours plus tard. Depuis, elle est hébergée par une cousine qui vit dans l’Eure, avec son mari et leurs trois enfants.
La jeune femme a entamé la procédure de demande d’asile. En attendant son audition par l’administration, elle aide les enfants du couple à suivre l’école à distance pendant le confinement.
Intimider, emprisonner, forcer à l’exil : le Maroc affaiblit la résistance sahraouie en privant sa jeunesse de perspectives. Une stratégie coloniale dont a largement usé la France en son temps.
Nicolas Marvey
CQFD, mars-juin 2020
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