Les enfants des présumés terroristes des attentats de Casablanca se souviennent de l’arrestation de leur père comme si c’était hier. Depuis, ils sont marginalisés par la société. Encore plus que les autres enfants aux conditions précaires, ils n’ont d’autre choix que de s’en remettre à Dieu. Témoignages à Sidi Moumen, quartier qui a vu naitre des kamikazes du 16 mai.
par Hicham Bennani
Les enfants du bidonville des carrières Thomas, en périphérie de Casablanca vivent toujours dans des conditions précaires. Mais certains sont plus marginalisés que d’autres. En ce lieu appelé «Kariane Toma», un grand nombre de présumés terroristes ont été arrêtés par la police, suite aux attentats de Casablanca du 16 mai 2003. Selma Mouhim avait 5 ans, lorsque son père Abdelhak a été enlevé à son domicile. Abdelhak Mouhim, 36 ans, peintre en bâtiment, a été condamné à trente ans de prison ferme. «Je m’en souviens comme si c’était hier. Une vingtaines d’hommes en civil ont pénétré par la force dans la maison. En nous injuriant, ils nous ont demandé où était mon père. L’un d’eux m’a violemment frappé à la jambe. Ma mère venait d’accoucher, ils ont alors dit «mabrouk ziada» (bienvenue au nouveau né) !», témoigne la jeune fille aujourd’hui âgée de 12 ans. Après cela, Selma a continué de se rendre à l’école. «Les premiers mois, mes camarades m’insultaient et me traitaient de fille de terroriste. Une institutrice m’a reproché de porter le voile. Ils me disaient : comment se fait-il que tu obtiennes de très bonnes notes, alors que tu es fille de terroriste, tu ne le mérites pas ! Lorsque je rentre à la maison, je me réfugie dans le travail et je pleure. Je veux que l’innocence de mon père soit faite par la justice», lance Selma en éclatant en sanglots. Pour acheter leurs livres et leur matériel scolaire, les enfants de ceux qui ont été incarcérés après les attentats de Casablanca font avec les moyens du bord, car leurs familles sont coupées de toutes aides extérieures. Et personne n’a le droit de leur apporter de l’assistance. «Nous sommes surveillés en permanence, les voisins sont solidaires, mais on leur passerait les menottes s’ils nous donnaient quoi que ce soit», assure Khamissa Rtimi, sœur de Abderazak Karaoui, condamné à 30 ans de prison ferme.
Où est mon père ?
«A chaque rentrée des classes, Sidna envoie des cartables aux élèves, nous ne bénéficions plus de la totalité de ce don depuis les attentats !», déplore K. Rtimi qui ajoute que sous prétexte que les enfants sont «fils de terroristes», ils ne bénéficient pas des mêmes avantages. Cette femme âgée de 42 ans ajoute qu’: «avant les attentats, la préfecture nous convoquait régulièrement pour nous donner de la nourriture, mais depuis les condamnations nous n’en bénéficions plus, alors que nous faisons partie des habitants des bidonvilles les plus défavorisés du Maroc».
Naima Karaoui habite à Kariane Toma. Elle est l’épouse de Abderazak Karaoui, qui purge sa peine à la prison de Kénitra. Cette femme de 50 ans est mère de sept enfants. L’un d’eux, Othman, 22 ans, a arrêté ses études. «Une enseignante le traitait d’enfant de terroriste. Il était pénalisé dans ses notes et ne supportait pas le regard de ses camarades», raconte Naima Karaoui. Hamza, 14 ans, ne va plus au lycée depuis qu’il a été victime d’un accident de voiture. Selma et Assia, deux jumelles âgées de 8 ans sont très marquées par l’enlèvement de leur père. Elles ne ratent jamais la série mexicaine «Ayna abi ?» (où est mon père ?) diffusée sur la chaîne Al Aoula. «C’est notre feuilleton préféré. Nous espérons retrouver notre père à la fin de chaque épisode. Nous cherchons notre père à chaque fois dans l’image», précise Assia.
Naima Karaoui lance un dernier cri du cœur : «Nous sommes des islamistes, pas des terroristes ! Nos enfants moisissent. Nous demandons à Sidna, commandeur des croyants, que Dieu le garde, d’intervenir. Nous n’avons aucun autre espoir pour eux !»
Tous les deux mois, les enfants Karaoui rendent visite à leur père à Kénitra. «A l’entrée de la prison, Imane a été dénudée dans une petite pièce et fouillée, je ne sais même s’ils l’ont violenté… Les enfants sont traumatisés par la police. Ils ne peuvent pas voir un policier sans changer de trottoir», constate Khamissa Rtimi. «Un petit garçon dont je ne vous dirais pas le nom nous a dit : quand je grandirais, ma mission sera de tuer les policiers pour me venger !», atteste Naima Najari, mère de Abdelaziz Chafai, 29 ans, ancien marchant ambulant, condamné à 30 ans de prison. Après un long périple jusqu’à Kénitra, une attente interminable et une petite heure passée avec leur père qui est atteint d’une sciatique et survit dans des conditions difficiles, «nos enfants ne peuvent que devenir des voyous, des terroristes et maudire l’Etat, vu ce que l’on nous inflige», conclut Naima Karaoui.
Même son de cloche du côté de Rachid Mesli, directeur juridique du Forum Al Karama, association pour les droits de l’homme dans les pays arabes basée à Genève. Selon lui, dans tout le monde arabe, on retrouve à peu près la même situation critique au niveau des familles. «Lorsque le principal soutien de famille est arrêté et détenu, elles sont systématiquement marginalisées. Cela a des conséquences sur la situation matérielle de ces familles et engendre de graves problèmes pour la société», constate Rachid Mesli qui explique qu’une fois devenus adultes, les enfants suivent les traces de leur père. A long terme, leur devenir peut être «assez imprévisible», prévient R. Mesli.
«Il n’y a pas de droits, de l’homme, pas de droits des femmes, pas de droits des enfants au Maroc», martèle Naima Karaoui en désespoir de cause. A chaque fois que les familles tentent de faire entendre leurs voix sous forme de manifestations pacifiques dans la rue, elles sont matées par les forces de l’ordre.
Le «rêve» danois
Changement de décor. Mercredi 20 janvier 2010. Non loin du bidonville Kariane Toma, dans un quartier modeste, proche de Sidi Moumen, les enfants de Omar Maarouf, s’apprêtent à partir dans l’après-midi pour le Danemark, pays où ils ont grandi. En juillet 2003, la Cour d’Appel de Casablanca avait condamné Omar Maarouf, considéré comme faisant partie des principaux accusés dans l’affaire des 31 membres de la «salafia jihadia», à la peine capitale. Ses enfants Hamza, 16 ans, Zineb, 14 ans, Mouad, 11 ans et Amar, 9 ans possèdent la double nationalité. Omar Maarouf a été interpellé à Tanger, alors qu’il s’apprêtait à quitter le territoire marocain. «Je n’ai jamais compris ce qui s’est passé. Le jour de son arrestation, mon père m’a dit qu’il avait un problème avec le service des douanes», se souvient Hamza. «Notre pays c’est le Danemark. Quel avenir au Maroc ? On se sent vraiment bien à Copenhague. Nous sommes chez nous. Personne ne nous fait de réflexions déplacées… », soutien l’ainé. A entendre la famille Maarouf, le Danemark, un pays dont la réputation a été ternie avec les pays musulmans, suite à la publication de caricatures du prophète Mohammed, est de toute évidence moins dur à vivre lorsqu’on est étiqueté «enfants de terroriste» que le Maroc. Le Danemark est même «un véritable rêve! Personne ne nous fait sentir que nous sommes des marginaux. Les gens qui nous connaissent de près ou de loin nous demandent même régulièrement des nouvelles de mon mari, indique Araba Hassania, femme de Omar Maarouf, L’école danoise nous a donné des vacances supplémentaires pour que les enfants puissent se remettre de leurs émotions.» Une fois par an, ces enfants passent leurs vacances au Maroc. Tous les deux jours, ils rendent visite à leur père. Et comme tous les autres enfants qui ont un père présumé terrori
ste, ils subissent l’humiliation à l’entrée de la prison de Kénitra. «On nous isole, on nous dénude, on nous fouille… », témoigne la petite Zineb. La veille, Mouad, le plus jeune, avait été très choqué par les conditions de détention de son père. «Il vomi et est couvert de boutons depuis qu’il l’a vu…», fait remarquer la mère. A chaque rentrée scolaire, les enseignants demandent aux enfants de raconter par écrit ce qu’ils ont fait de leurs vacances. Pas étonnant qu’en étalant au grand jour le contraste de leur vie entre les deux royaumes, ils soient totalement déboussolés. Au Danemark, les quatre enfants de Omar Maarouf sont suivis par un psychiatre. «Amar est le plus atteint. Il souffre d’une grave maladie mentale», atteste Araba Hassania. Pour cette femme, «le Maroc est notre pays. Mais c’est le Danemark qui nous a aidé. J’ai écrit plusieurs lettres au roi, qui sont restées sans réponse. Omar ne peut pas rester en prison. La lumière apparaitra. Ce n’est pas un homme qui est pénalisé, c’est une famille toute entière !»
Pour Fatiha Mejjati, veuve de Karim Mejjati, soupçonné d’être un des organisateurs des attentats de Madrid, tous ces enfants restés sans père, qui sont souvent des «innocents derrière les barreaux», sont démunis de leur citoyenneté. De véritables «bombes à retardement».
Article paru dans le dernier numéro du Journal Hebdomadaire (426)
Source: Maroc Infos, 2 fév 2010
Tags : Maroc, terrorisme, attentats de Casablanca, 16 mai 2003,